Le surlendemain de l’agression (voir épisode #2), je décide d’appeler le 3117, le fameux numéro "victimes ou témoins, donnez l'alerte" mis en place par la RATP, largement diffusé dans les campagnes de communication contre le harcèlement dans les transports en commun les mois précédents (voir épisode #1). En appelant, j’espère y trouver un espace d’écoute, d’accompagnement et de conseil. La réalité est toute autre. Après deux sonneries, un homme décroche le téléphone. Premier étonnement : je ne m’attendais pas à avoir à raconter à un homme les circonstances de mon agression. Je lui explique la scène. Raisonnant en gestionnaire qui applique les critères qu’on lui a fournis, il se contente de me dire qu’il ne peut rien faire car le délai est dépassé : plus de 24h sont passées. Puis il me pose une dernière question : « vous avez été frappée ? ». La question m’étonne, ainsi que l’usage de la forme passive pour me demander ce qui m’est arrivé. Ce à quoi je lui réponds : « Non, il m’a menacée avec une bouteille de bière ». « Ah... Bon bah il faut aller au commissariat déposer plainte. J'espère que j'ai répondu à votre question. Merci, au revoir madame. » me répond-il. Accompagnement expéditif.
Je décide donc d’aller le lendemain au commissariat de police pour déposer plainte, afin qu’il y ait une trace et que cette agression soit comptabilisée, mais également pour être informée si des démarches peuvent être engagées pour retrouver l’agresseur. Au commissariat, après avoir déclaré à l’accueil que je souhaite déposer plainte pour agression sexiste, je suis accueillie par un fonctionnaire de police -à nouveau un homme-. Il écoute ma situation, me pose quelques questions auxquelles je réponds, il prend note. À aucun moment il ne m’informe de mes droits, de la différence entre un dépôt de plainte et une main courante, des différents types de qualification des faits en fonction de ce qui m’est arrivé. Je ressors du commissariat une dizaine de minutes plus tard avec une main courante pour injures.
Plus de dépôt de plainte, pas de mention d’agression ni encore moins du caractère sexiste de l’agression. Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer cela ? Je ne peux faire ici que des suppositions : mauvaise interprétation de la loi par le fonctionnaire de police, classement en main courante pour éviter d’ouvrir une information judiciaire qui engorgerait encore davantage des services déjà saturés, point de vue masculin ayant tendance à minimiser les faits...
La scène vécue correspondait cependant bien à une agression ayant fait l’objet d’injure verbale à caractère sexiste. J’aurais sans doute pu porter plainte au vu de la Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. La réalité a été toute autre1.
Le récit des différentes étapes de cette scène d’agression ordinaire met en évidence l’ensemble des dimensions structurelles qui contribuent à invisibiliser l’ampleur des agressions faites aux femmes : délais de prescription, erreur dans la qualification des plaintes, manque d’accompagnement…
À l’évidence, les moyens mis en place pour lutter contre les violences faites aux femmes dans les transports en commun comme ailleurs sont encore bien insuffisants voire défaillants, et contribuent à ce que perdurent les violences structurelles dont elles font l’objet. Il est urgent d’y remédier.
1 Voir plus en détail les termes juridiques définissant les types d’injures ici, ainsi que la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ici.