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« C’est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place ce qui est digne et ce qui ne l’est pas. » Virginie Despentes.
Victime collatérale des violences physiques et viols infligés à sa mère par son père, Bianca B. témoigne suite à l'acquittement de ce dernier et réclame #justicepourBlandine
Blandine et Mr sont mes parents. Ce n’est pas un terme qui définit un lien d’affection ici, puisqu’aucun des deux n’a assuré ce rôle pleinement. En revanche, « parent » désigne le lien de sang et l’histoire intrinsèque qui nous réunit : les violences conjugales.
Il y a une semaine mon père et ma mère se sont déchirés une dernière fois sous mes yeux.
Une dernière fois, parce qu’il y en a eu tout un temps, dans le lieu le plus intime de leur relation, une dernière fois, parce que je suis certaine que s’il la recroise, elle meurt.
Ils se sont rencontrés très jeunes, encore adolescents, lui un an plus vieux. C’était les années 80, ils étaient au lycée à Voiron en Isère. C’était l’amour fou : Blandine fugue à peine majeure pour le retrouver contre la volonté de ses parents. Ils se marient, il tire à la carabine sur la place publique. L’amour fou.
Mon père est un homme solitaire dont j’admirais l’humeur taciturne, persuadée que c’était le charme des sages. Très doué de ses 10 doigts, il manipulait le bois avec beaucoup de savoir-faire. Lui, souffre du suicide de son père ; elle, pense le sauver à l’aide de son amour inconditionnel. Ils ont eu trois enfants, Théophile, Lucie et Bianca - aujourd’hui majeurs.
Mon frère, ma sœur et moi avons témoigné du climat violent et incestuel dans la maison familiale isolée en Chartreuse.
Nous avons raconté un père qui n’était jamais présent dans les actes, à part pour partir des weekends entiers à la chasse. Un père qui nous encourageait à faire de la musique mais qui n’est pas venu une seule fois aux auditions, aux spectacles. Raconté un homme qui mettait des torgnoles à ne plus pouvoir s’assoir pendant plusieurs jours. Parlé d’un homme qui jette une chaise sur sa fille la veille de son anniversaire. Un père qui adorait nous chatouiller pour en réalité nous arracher des cris de douleur. Un père dont le quasi-rituel était de me dire bonne nuit tout nu. Un mari ayant fait du chantage au suicide, un canon dans la bouche et dont le rituel certain était fellation-pénétration vaginale-pénétration anale dans la chambre maritale. Rituel imposé. Rituel non-consenti. Viol conjugal. Viol.
Le viol conjugal est reconnu par la loi depuis 1990. Pour parvenir à condamner quelqu’un, il faut donc un dépôt de plainte qui ne soit pas classé sans suite, des années d’instruction, des expertises psychologiques, des témoignages en long et en large, des enquêtes de personnalité, un procès, un verdict. Pour que le viol soit reconnu, c’est un champ de bataille miné.
24 ans de viols conjugaux, 5 ans d’instruction, 23h de procès, 1 verdict.
Mon père a quitté le domicile familial fin août 2011, en vidant les comptes en banque. Ce sont nous, enfants qui ont dû nous positionner, lui imposer de partir. Je n’avais pas encore 12 ans. Toute ma vie je n’ai jamais connu ma mère « saine ». Pendant la première moitié, elle était sous emprise. Incapable de se positionner, de nous sortir de la violence intra-familiale. Incapable de se sauver elle, de trouver la détermination, l’amour nécessaire à sa survie. Incapable de concevoir son mari violeur. Pendant les onze années écoulées depuis la séparation de mes parents, j’ai assisté à sa lente descente aux enfers, vu sa dépression s’installer, la maladie fleurir. Aujourd’hui, j’ai 23 ans et j’en ai passé la moitié en thérapie.
A vous tous, qui avez détourné le regard depuis tant d'années, je vous souhaite du courage.
Du courage, au médecin qui en 2011 n'a pas voulu mettre d'ITT sur le certificat demandé par ma mère en voyant ses bleus, afin qu'elle ne puisse pas réclamer de dommages et intérêts.
Du courage aux flics qui n'ont pas emmené Mr en garde à vue en juillet 2011 après violences au domicile familial. Du courage aux flics qui n'ont pas interrogé ma mère sur « les violences sexuelles », le rituel abusif qu'elle a mentionné dans son dépôt de plainte de 2011, alors que ce n'est pas la même catégorie de violences.
Du courage pour ceux qui sont venus témoigner, complètement perdus, pétris de schéma patriarcaux et misogynes devant une femme juge comme présidente de la Cour.
Du courage pour ceux qui n'ont pas voulu se mouiller, choisir un côté à défendre, prendre un risque, prôner la douleur : le côté de la vérité.
Il y a une semaine, mon père et ma mère se sont déchirés une dernière fois sous mes yeux. C’était le 27 octobre 2022, au tribunal de Grande Instance de Grenoble. Nous nous sommes écroulé.es à 22h45 devant la cour criminelle après 2 heures de délibération.
Du courage pour venir regarder ma mère dans les yeux et lui dire non, « acquitté ».
Tout le monde croyait voir la famille parfaite, digne de « la petite maison dans la prairie ». A l’extérieur.
Malgré des aveux déguisés dans sa déposition, malgré les expertises psychologiques et psychiatriques commandées par la Justice, qui affirment sa dangerosité (si faits avérés), malgré les témoignages concordants de la « famille-nucléaire ».
Malgré le fait que ma mère, seule, droite devant les juges, ait expliqué pendant trois heures comment il la violait.
Malgré la requête de l’avocate générale : 8 à 10 ans de réclusion criminelle assortis de 5 ans de suivi socio-judiciaire. Mon père est acquitté. Il y a un violeur impuni.
Si Kubrick voulait réaliser notre histoire en scénario, le film ne sortirait jamais en salle, car le verdict est « non coupable ».
- Bianca B.