Sachez, tout là-haut,
Qu’ici-bas, dans nos cabinets de psychothérapie, nous en prenons plein les oreilles. Ce qu’on entend, en ce moment, ce sont des horreurs : abus sexuels, viols, incestes. Toute la journée, les yeux baissés, les gens balbutient, depuis que les langues se délient. Et même parmi les anciens patients, qui soudain, osent y penser.
Prescription ou pas, la question de la plainte se pose. Nous la savons importante, pour la réhabilitation sociale et intime de la personne. Et en même temps, nous savons aussi que le premier accueil de cette étape décisive est souvent une deuxième violence. Les policiers ne sont pas formés ? Sûrement. Ils ne veulent pas entendre ? Peut-être. Est-ce leur façon d’éradiquer le problème, de faire peur à l’horreur, qu’elle retourne au placard, sous le tapis, dans le tiroir ? La question me vient… C’est si facile de retrancher cette parole qui peine à se dire. Un doute, un sarcasme, un ton brutal, la femme s’en va, en vrai ou en elle, c’est pareil, affaire vite classée.
Alors, comme tout ce qui se fait rare et caché, savez-vous ce qui circule sous le manteau ? Les bonnes adresses ! D’un bon dealer ? D’une bonne cam’ pour se soulager ? Non, le nom d’une policière. Une gentille policière, une douce commissaire. On se donne le mot pour une écoute « safe ». Ce que ça veut dire ? Un policier, une policière qui ne fait aucun commentaire déplacé. Demandez Cynthia P. au commissariat de. Et le nom est divulgué. Et oui, on en est là. Seulement là. On pourrait se dire en progrès ! On en trouve quelques-unes, on s’organise ! ELLES s’organisent, oui, avec le rien. Le très peu, il y a bien sûr des gentils policiers hommes, parfois. J’ai horreur de me réjouir de si peu.
Et puis, d’imaginer à quel point, elle doit être demandée cette personne gentille, et aussitôt charriée par ses collègues. Car la donneuse du nom précise qu’il faut quand même se fader les sarcasmes des autres, autour. En passant. Et aussi, pendant la déposition. Alors, mes patientes hésitent, pèsent le pour le contre, sont-elles prêtes. Je les écoute et pendant ce temps, je réalise que la déposition ne se fait pas systématiquement dans un bureau fermé. Et non… la déposition d’une violence intime, dans laquelle on demande des détails – pénétré où ? Plus fort, s’il vous plait, j’entends pas – peut se faire dans un bureau ouvert. Logique ! Pleins de regards et d’oreilles curieuses. Mais peut-on en être encore là ? Comment le béaba de la bienveillance peut -il être bafoué ? Ne me dites pas qu’on veut entendre, quand toutes les conditions sont réunies pour faire taire. Dans quel état d’esprit sommes-nous ? Je ne me résous pas à croire en la mauvaise volonté des policiers. Je veux croire au manque de moyens, à leur posture obligée de fermeté. A leur blindage psychologique fait de détachement et de sarcasme protecteur. Pourtant, le choix de ce métier est avant tout un choix de protection (si on écarte le rêve de bagarre du petit garçon qui on l’espère doit être dépassé). Alors comment dérive-t-on de la protection à la dérision. Où est passé l’exemplarité, le sacerdoce. Doucement coulé. Dommage. Pour eux, pour elles, pour nous tous. Alors, la gentillesse, dans les commissariats se doit d’être clandestine, c’est ça ?
Monsieur le Président de la République, Monsieur le Ministre de l’intérieur, ne les envoyons pas au pilori. Ça n'est pas dans les commissariats que cette violence-là, doit être recueillie. Décidez de créer des lieux prévus à cet effet, ouvrez des bureaux spéciaux, composés de femmes de préférence. Ces policières, candidates, auront reçues des notions de psycho-traumatologie et d’écoute. Elles seront soutenues lors d’une réunion supervisée par un psy. Elles n'y passeront pas non plus leur plein temps.
Ça n’est pas long à faire. Pas besoin d’expertise, de Ségur, d’audit. De la bonne volonté, de l’humanité et un travail d’équipe.
C’est urgent. Merci.
En attendant, je griffonne moi aussi, dans mon carnet, les bonnes adresses. Je les note à G comme Gentille policière. Honteusement.