Billet de blog 7 octobre 2014

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Philippe LEGER

Ancien journaliste. Secrétaire général du Comité Européen Marseille.

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Le quartier de la Belle de Mai... laboratoire du futur ?

Le quartier de la Belle de Mai (3e arr.) poursuit sa métamorphose.

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Illustration 1
Cinéma le Gyptis © Philippe Léger

 La place Caffo vient d'être réhabilitée et l'ancien théâtre Gyptis, intégré dans le pôle image de la Friche Belle-de-Mai, redevient un cinéma tout en étant dédié aux arts de la scène. Samedi 4 octobre, journée consacrée aux inaugurations, le public était au rendez-vous. Les représentants de l'État et des collectivités territoriales ont proclamé « la fin du  tunnel en vue » pour ce quartier populaire qui compte 13 770 habitants, en majorité des personnes en difficultés. L'occasion pour les lecteurs du Club Mediapart de faire connaissance avec un quartier de Marseille qui renaît sur les cendres de ses "industries" ( la manufacture de tabac érigée par la Seita au 19e siècle, près de la raffinerie de sucre Saint-Charles, était devenue une friche industrielle ).

« Non le quartier n'est pas abandonné ! Les choses changent ! » s'est félicitée dans lors de l'inauguration Lisette Narducci (PRG), maire du 2e secteur (2e-3e) et vice présidente du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Depuis plus de 20 ans, elle se bat sur tous les fronts pour faire bénéficier les habitants des équipements et services indispensables et juguler la pauvreté.
Délimité par les voies ferrées, la passerelle de Plombières, le boulevard national et les transversales Arnal-Toussaint-Loubon, cet ancien faubourg industriel associé depuis la fin du 19e siècle au port de La Joliette et à la gare Saint-Charles connaît depuis depuis plusieurs années une situation économique et sociale difficile. 
À la fin du 20e siècle, le quartier s'est retrouvé k.o. avec la perte de ses industries et la montée inexorable de l'économie mondialisée. Une situation qui prévaut, semble-t-il, dans plus d'une localité en France.
Aujourd'hui, boulevard National, rue Loubon, la misère recule, des programmes d'immeubles neufs voient le jour. 
Plus difficile est de mettre fin au chaos urbain de ce quartier enclavé, concède Lisette Narducci, mais « les choses se font petit à petit... »

« La réhabilitation est en bonne voie »
Après la place Bernard Cadenat, la preuve s'affiche avec la place Caffo, réhabilitée dans un temps record, et la nouvelle formule du Gyptis, il y a encore peu de temps un théâtre dirigé avec foi et persévérance  par Françoise Châtot et Andonis Voyoucas. Après avoir rendu hommage à leur travail, Lisette Narducci, émue, a salué la mémoire de Françoise Châtot, disparue brutalement en Grèce, sans même goûter une retraite plus que méritée. 
Le Gyptis reste un lieu dédié aux Arts de la scène tout en étant intégré dans ce pôle numérique de la Friche Belle-de-Mai qui a fait la réputation internationale du quartier.
Pour Lisette Narducci, la réhabilitation est en bonne voie. Sa leçon est d'optimisme : « après la reconversion de la Friche, celle de la caserne du Muy va contribuer également à changer le quartier. »
C'est aussi le sens de la plupart des autres interventions, notamment celles de M. Eric Diard (UMP), Maire de Sausset-les-Pins et Membre de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, de Mme Anne-Marie d'Estienne d'Orves (UMP), adjointe au maire de Marseille à l'action culturelle. Mme Aïcha Sif (Europe Écologie), Conseillère Régionale, qui se revendique de la diversité, a fait entendre sa différence par des propos critiques, engagés et bien ciblés, probablement justifiés mais loin de présenter un état des lieux exhaustif du quartier. La comédienne a travaillé 3 ans à la Friche à l'invitation de Philippe Foulquié (directeur et fondateur du lieu). 
Le préfet de la région Paca et des Bouches-du-Rhône était représenté par M. Denis Louche, directeur régional des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur, vice- président du Frac – Fonds Régional d'Art contemporain. Ses propos ont fait ressortir « trois symboles-clés pour la réussite de ce quartier: la Friche Belle-de-Mai ; l'innovation (accompagnée de l'hybridation) et la jeunesse.»

 Au cinéma le Gyptis, la projection est « au niveau de l'excellence mondiale » 
À quelques mètres de la place Caffo, derrière la façade décorée par l'artiste JR avec les portraits des habitants du quartier, on trouve un grand écran de cinéma et une salle de 127 fauteuils bleus où même Gulliver pourrait déployer ses jambes de géant.
Tout est fait pour le confort du spectateur, à commencer par le format retenu pour la projection numérique. C'est du 4K (4096 pixels par ligne x 2160 pixels par colonne), comparable à la définition d'une pellicule 70 mm (la projection traditionnelle ne se fait qu'en 35 mm). Sa qualité surclasse la vidéo-projection et la télévision à haute définition. « C'est du jamais vu à Marseille et encore peu connu en France. Le cinéma de la Belle de Mai est à un niveau d'excellence mondiale et frise la perfection...  », selon la presse locale. Qu'on se le dise !
Aujourd'hui, journée inaugurale, on projette en avant-première le film ovni de Thomas Salvador : « Vincent n'a pas d'écailles ©.
La programmation confiée après un appel d'offre à la société de distribution cinématographique Schellac, marseillaise depuis 10 ans, mêle cinéma populaire et cinéma d'art et d'essai. 

Comme au bon vieux temps
Le hall d'accueil du Gyptis présente actuellement une exposition de dessins dédiés à Jacques Tati, en préambule à la semaine du 8 au 15 octobre. Pendant une semaine, les cinéphiles marseillais vont se régaler d'une rétrospective intégrale des films de ce génie du burlesque français. Le peuple de Marseille pourra visionner avec plaisir, et en famille, ces moments de la France profonde et vraie, filmée avec la verve savoureuse et la bonne humeur de Jacques Tati... « Les Vacances de Monsieur Hulot » ; « Trafic » ; « Parade », « Jour de Fête » ; « Mon Oncle » ; « Playtme »... Autant d'étoiles qui vont resplendir dans la salle obscure de la Belle de Mai.
Aujourd'hui, le grand public a le recul nécessaire pour juger de l'œuvre de cet immense réalisateur français, catalogué d'emblée comme génial à l'étranger et considéré comme l'égal des Buster Keaton, Max Brothers ou Laurel et Hardy.
Au Gyptis, toutes les séances sont spécialement étudiées pour le jeune public et d'autres pour les familles, jours, horaires mais aussi des tarifs très attractifs (2,50 €). C'est l'esprit du cinéma « Paradisio » de l'après guerre que le public de la Belle de Mai retrouve avec cette salle de spectacle nouvelle formule. Un conseil : réservez vos places ! Philippe LEGER

Ajout du vendredi 2 septembre 2016 :
L'État vient d'accorder au cinéma le Gyptis le titre de cinéma Art et Essai. Une décision qui amène un soutien financier et garantit au public une programmation de qualité.

NB : "Une consultation s'est ouverte, à la demande de la Mairie. Gérée par Res Publica, une entreprise de consultation, les habitants sont conviés à s'exprimer et imaginer l'avenir du quartier. Un blog est à leur disposition (http://quartierslibres.jenparle.net/ )"

Découvrir un autre aspect du quartier de la Belle de Mai sur le site "Tour de France des alternatives"
Brouettes et Compagnie : "Un collectif citoyen tente de se réapproprier son quartier"

Lire aussi sur Marsactu, “l'interview de Lisette Narducci, maire des 2e-3e, accordée à Benoît Gilles : Lisette Narducci tire un premier bilan de son "accord de gestion" avec Gaudin.“

 Photos : Philippe LEGER


Jour d'Inauguration ! 
Au centre, avec le médaillon, Mme Lisette Narducci, maire du 2e secteur (2e-3e arr.); vice présidente du Conseil général des Bouches-du-Rhône et vice-présidente d'Euroméditerrranée. À l'extrême droite sur la photo, Mme Dominique Giner-Fauchoux, 2ème Adjointe d’arrondissement, déléguée au Commerce, à l’Artisanat et au Tourisme. Entre les deux élues, des
 citoyennes actives et dévouées de l'association "la joie de vivre à la belle de Mai" (tee shirt blanc).

Monument "Aux Italiens tombés sur le champ d'honneur dans les rangs de la Résistance au cours de la Seconde Guerre mondiale, au service de la fraternité franco-italienne, de la liberté et de la paix des peuples."
Pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d'Italiens se sont retrouvés dans les rangs de la Résistance et ont sacrifié leur vie pour la France. Proche de la gare et des voies de chemin de fer, le quartier de la Belle de Mai a aussi subi les dommages collatéraux des bombardements alliés. L'église qui donne sur la place Caffo a été entièrement détruite. La foi chevillée aux corps, les fidèles du quartier, en majorité d'origine italienne, l'ont fait reconstruire dans les années 50. Son prêtre héberge aujourd'hui dans sa sacristie deux familles Rom.

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UN PEU D'HISTOIRE !
Vinea bella de mai
Étrange destin que celui de ce quartier qui doit son nom à une vigne tardive - vinea bella de mai »... « La Belle de Mai  ! » Apparu pour la la première fois dans des textes au 16e siècle, ce nom de « Belle de Mai » indique un lieu de villégiature de la noblesse marseillaise. 
Au cours des temps, le lieu va assoir sa réputation grâce à son atmosphère campagnarde, ses vergers, ses guinguettes et ses bals populaires. 

La port de commerce responsable de l'enclavement du quartier
Au milieu du 19e siècle, c'est tout naturellement vers cette campagne de la Belle de Mai, située à proximité du port de commerce de la Joliette dont on achève la construction, que les dockers tournent leurs regards pour installer leurs écuries. À l'époque, les chevaux tractent et actionnent les lourdes charges.
La colline Saint Charles, à son tour, devient un lieu obligé mais pour y pour construire la gare. On l'avait initialement envisagée au sud, de l'autre côté de la ville. La construction du port à la Joliette a changé tous les plans. On l'édifie dans un cul de sac. Depuis cette époque, les trains qui s'arrêtent à Saint-Charles, sans en faire leur terminus, font machine arrière pour reprendre leur cheminement ! Une décision qui a sauvé nos calanques mais qui s'est avérée lourde de conséquence pour le futur, c'est à dire pour les contribuables qui doivent aujourd'hui allonger la monnaie pour la construction d'une gare TGV sous la colline Saint-Charles !
Le 19e siècle a décidé de la physionomie de notre cité. La Belle-de-Mai n'y a pas échappé en accueillant les usines de raffinement de sucre (Les Sucres Saint-Charles) et l'usine des allumettes, et d'autres encore. 
À la même époque, on a construit le Boulevard National afin de relier la gare au port de commerce. Il s'agissait de faciliter l’acheminement des marchandises, entrées par le port, transformées dans les manufactures du quartier (d'où de nombreux emplois) et destinées à repartir, par bateau ou par voie ferrée, en France et dans le monde entier. 
Toute médaille a son revers : la Belle de Mai s'est retrouvée enclavée par la gare, cernée par les voies rapides. Adieu la vigne, les guinguettes et l'atmosphère campagnarde ! Même si le quartier a conservé des voies, des cours et des jardins  bien arborés.

Les raisins de la colère
En 1868, l'emplacement de l'ancienne raffinerie de sucre cède officiellement la place à la Manufacture des tabacs. La direction emploie une main d’œuvre composée à 90% de femmes. Le quartier devient au cours du siècle des Napoléon, le deuxième du nom en particulier, un quartier presque exclusivement ouvrier.
Au début du 20e siècle, peuplé majoritairement d'Italiens ayant fui la misère et le chômage, le quartier accède au premier rang des luttes syndicales et socialistes. Le communard Clovis Hugues, maire de la Belle de Mai, devient en 1881 le premier député ouvrier socialiste au parlement.
Ultime survivante à entretenir la flamme « d'un passé industriel glorieux » (à en croire les nostalgiques), l’ancienne manufacture de tabac construite en 1868 a mis définitivement la clé sous la porte en 1990. Deux ans après sa fermeture, elle est occupée par les artistes de la mouvance « Système Friche Théâtre » (soutenue par l'adjoint délégué à la culture, à l'époque Christian Poitevin). Dans l'ancien quartier rouge, les artistes vont s'accrocher à la Friche comme des arapèdes sur un rocher. Grâce eux, la Friche représentera plus que le symbole d'un quartier qui ne veut pas mourir ou "de Marseillais qui préfèrent crever sur place plutôt que de s'exiler..." Elle va devenir le véritable couteau suisse de la culture grâce à des activités multiples et sans cesse renouvelées : théâtre, marionnettes, musique en attendant le marché paysan. La culture sous toutes ses formes ! Leur combat va rebondir et donner une nouvelle espérance, une nouvelle dimension à la Belle de Mai...

La Friche, « point d'ancrage de la redynamisation du quartier »
Philippe Foulquié, fondateur et ancien directeur de la Friche considère que « sa situation et son insertion dans ce programme d’aménagement d’intérêt national fait de la Friche l’un des points d’ancrage essentiel de la redynamisation urbaine du quartier. »
Le site est en effet inscrit dans le périmètre Euroméditerranée depuis 1994. La suite, tout le monde la connaît. Achevé en 2004, le pôle média audiovisuel a généré plus d'un demi-millier d'emplois et s'est s’imposé comme le lieu privilégié des activités de l’image, du son et du multimédia en Provence. Il regroupe les studios de cinéma et de nombreuses entreprises et associations à vocation culturelle. Une de ces vocation est d’offrir des équipements de qualités permettant aux producteurs de terminer leurs projets sur place.
Les studios de « Plus Belle de la vie », produit par France 3, la chaîne marseillaise « LCM » ont choisi d’implanter leur plateaux et locaux sur ce site.


Philippe Foulquié, fondateur et ancien directeur de la Friche Belle-de-Mai.

Succédant à Philippe Foulquier en septembre 2011, Alain Arnaudet est depuis le nouveau directeur de "Système Friche Théâtre" qui gère la Friche de la Belle de Mai. Il a été administrateur général des Rencontres internationales de la photographie d'Arles, directeur du Centre culturel français du Cambodge, et directeur du développement culturel au centre des monuments nationaux…
Dopée par la capitale européenne 2013, la réhabilitation de la Belle de Mai commencée en 1994 avec le programme Euroméditerranée s'est brutalement réveillée et accélérée.
La caserne Bugeaud a changé de casquette en accueillant les collections non exposées et les réserves du Mucem. L'ancienne maternité est sur le point d'accoucher d'un beau projet ("De quoi accouchera l'ancienne maternité de la Belle de Mai ?" par Clémentine Vaysse - Marsactu du 11 septembre 2013), même s'il ne fait pas l'unanimité.
Aujourd'hui, c'est tout le quartier de la Belle de Mai qui se prépare à renaître en pleine lumière, par la grâce des arts et de la culture, la création numérique et les pépinières d'entreprises innovantes. Le tout sur fond d'ouverture à l'international. Philippe LEGER

http://www.lafriche.org

La friche Belle de Mai en chiffres 

- Crée en 1992
- Un village de 45 000 m2
- 70 structures professionnelles aujourd’hui installées sur le site
- 80 ateliers dispensés tous les ans dans tous les domaines artistiques
- 180 partenariats internationaux
- 400 professionnels du spectacle ou de la culture présents sur le site
- 500 événements artistiques ou culturels par an
- 1 000 artistes français et étrangers accueillis par an
- 5 000 m2 d’espaces d’événements, de spectacles, de concerts...
- 40 000 m2 d’espaces de travail (bureaux, ateliers, lieux de répétitions...)
- Plus de 150 000 spectateurs/visiteurs chaque année

Blog de Philippe Foulquié sur Mediapart

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