
Les Tunisiens de l'étranger sont appelés aux urnes les 24 et 25 octobre 2014 à Marseille, comme partout en France, en Europe et dans le monde. Le lendemain, dimanche 26 octobre, ce sera au tour de leurs compatriotes en Tunisie. Il s'agit de désigner les représentants de l'Assemblée des Représentants du Peuple pour un mandat de 5 ans, selon un scrutin proportionnel plurinominal conformément à la Constitution promulguée le 10 février 2014.
Les citoyens de la diaspora tunisienne étaient présents samedi dernier (11 octobre) au théâtre de la Mer, quartier de la Joliette, pour assister à une conférence-débat animée par Sonia Hassine, tête de liste « France Sud » (elle réside à Toulouse) du Front Populaire, aux côtés de Lofti Hammami, « cadre du Front Populaire France » résidant à Paris, et de Zina Saïd, candidate à la députation sur la liste « France Sud », une blogueuse marseillaise de la société civile, ancienne correspondante de presse.
L'occasion pour Sonia Hassine de faire de point sur les problèmes qui se posent aux Tunisiens de France, « problèmes en relation avec la Tunisie ». Et de découvrir le programme du Front Populaire grâce à Lofti Hammami.
Le drame des Tunisiens qui résident en France avec un passeport périmé
Débutant le meeting marseillais, Sonia Hassine, diplômée de l'École supérieure des Sciences et Techniques de Sousse, a fait le point sur les problèmes qui se posent aux Tunisiens de France.
« Comme beaucoup de migrants maghrébins, ils sont considérés comme étrangers par le pays d'accueil... et leur patrie. »
Cette mère de famille a parlé de la situation dramatique de Tunisiens qui disposent d'un passeport périmé... « Sans titre de séjour, un passeport tunisien ne peut être renouvelé ». Les Tunisiens deviennent des sans-papiers exploités dans le monde du travail, domiciliés dans des logements indignes quand ils ne sont pas Sdf. Elle a aussi évoqué le sort de jeunes laissés à eux-mêmes, qui se livrent à la délinquance ou sont exploités par les mafias. « Tous ces Tunisiens, travailleurs avec un passeport périmé comme jeunes délinquants, sont traités de la même manière quand ils remettent les pied en Tunisie : tous punis ! » Il ya aussi le problème lancinant des centres de rétention : « Le front Populaire exige que les autorités tunisiennes s'impliquent dans la défense des ressortissants tunisiens auprès des autorités françaises et fassent respecter leurs droits et leur dignité... Pour tous ces problèmes, l'attente des Tunisiens de France est énorme. »
Lofti Hammami : « Ennahdha endoctrine les enfants dans les crèches et fait campagne avec les fonds du Quatar »
À sa suite, à la tribune du théâtre de la mer, Lofti Hammami a présenté le programme du Front Populaire qui sert d'étendard à 8 partis venus de tous les horizons de gauche, du marxisme à la social-démocratie.
Le Front populaire, très sourcilleux sur la laïcité comme sur l'indépendance nationale, reproche à Ennahdha « d'endoctriner les enfants dans les crèches et de faire campagne avec les fonds du Quatar. »
Pour le Front Populaire, « il faut mettre fin aux activités des responsables religieux qui confondent religion et politique. »
Les militants du Front Populaire sont inspiré par une vision panarabe et panafricaine comme plus de 80% de leurs compatriotes.
Ils ont une vision laïque de la société, comme leurs compatriotes, en majorité musulmans sunnites de rite malékite. Contrairement au sentiment qu'en ont les Français, le parti Ennahdha n'est pas en odeur de sainteté auprès de la majorité des Tunisiens.
Une économie tunisienne « phosphatée »
Pour le cadre frontiste, il importe que les Tunisiens « reprennent le contrôle économique du pays. »
Selon lui, « la Tunisie ne manque pas de richesses naturelles, on y trouve aussi du pétrole ». Mais sont-elles rétribuées à leur juste valeur sur le marché international ?
Il cite les mines de phosphates de Gafsa, dans le Sud-Ouest tunisien à proximité de l'Algérie.
« Les travailleurs d'une des régions les plus pauvres de Tunisie extraient une richesse qui place la Tunisie comme un des plus grands producteurs mondiaux ! » Ils sont loin d'en profiter !
Sur le marché mondial, les cours sont tout le temps, ou presque, au niveau le plus bas. Lofti Hammami dénonce les « multinationales ».
L'exploitation des phosphates est très révélatrice de pratiques en usage dans notre monde mondialisé, où les coûts d'exploitation sont maintenus aux niveaux les plus bas par les oligopoles.
La production mondiale et les marchés de la filière économique du phosphate brut sont de nature oligopolistique en raison de la position dominante de l'OCP (Office Chérifien du Phosphate - Maroc) et de Phosrock (un groupe de 8 entreprises américaines) (1).
Le coût d'exploitation des gisements est maintenu au niveau le plus bas afin d'empêcher la pénétration du marché par de nouveaux producteurs.
Lofti Hammami dénonce une situation dramatique pour « les mineurs tunisiens et leurs familles qui, comme tout le reste du pays et dans beaucoup de secteurs économiques, font les frais d'une concurrence aux mains d'oligopoles ».
Une concurrence non libre et totalement faussée, qui aboutit à des marché verrouillés au profit des « exploiteurs », dans tous les sens du terme. Cela n'est pas sans conséquence sur les échanges.
Ne disposant pas de ressources suffisantes, les travailleurs vivent dans la précarité... Les besoins existent, mais le marché intérieur ne peut pas y répondre ! Les consommateurs n'ont d'autres solutions que d'acheter les marchandises des "pays émergents", dont les coûts de production, très bas, sont totalement contrôlés par d'autres oligopoles.
Des entreprises ne peuvent pas être créées par des nationaux qui ne peuvent ni faire crédit ni prendre crédit ! Comme les autres, ils subissent, et sont confinés aux « petits boulots», au bénévolat et au système « D » (comme débrouille)... ou à l'émigration ! C'est toute l'économie du pays qui est lésée, « phosphatée », par les pratiques des multinationales... comme partout dans le monde et dans beaucoup de secteurs !
Lofti Hammami pose aussi le problème de l'eau, vitale pour la Tunisie (2) et celui des transports en commun, inexistants ou obsolètes, sous-dimensionnés, à l'image du « métro » (tramway) de Tunis.
Lofti Hammami a mis l'accent sur « la dépendance économique » de son pays, mis en avant la « culture nationale », replacé la Tunisie au sein du monde arabe et souhaité qu'elle soit "un trait d'union entre le Maghreb arabe, l'Afrique et l'Europe".
Après le débat, tous les participants se sont retrouvés autour d'un sympathique verre de l'amitié, en attendant de glisser le bulletin de vote dans l'urne à la fin du mois... Philippe LEGER
Photos de la réunion : voir en bas de page
Selon une étude intitulée « Dynamique et comportements stratégiques sur le marché international du phosphate » qu'on peut se procurer sur internet (suivre ce lien ; la lecture en mode zen, c'est ici), publiée dans « Mondes en développement » (2003/2 n° 122 Éditeur De Boeck Superieur), « le contrat de vente de phosphate brut entre l'OCP et Phosrock constitue une alliance stratégique, empêchant toute nouvelle crise du marché international du phosphate. Le prix issu de ce contrat de vente, portant sur plus d'une décennie et révisé systématiquement chaque année, est actuellement de l'ordre de 40/45 dollars la tonne ; il est inférieure au coût d'exploitation de nouveaux gisements (90/100 dollars la tonne) et empêche la pénétration du marché par de nouveaux producteurs. »
L'exploitation des mines de phosphates posent aussi de très sérieux problèmes écologiques. Selon le Ritimo - Réseau d’information et de documentation sur le développement durable et la solidarité internationale, « pour une production de 8 millions de tonnes par an de phosphate marchand, on consomme environ 10 millions de m3 d’eau qui sont perdus. L’eau est versée dans des oueds, elle s’écoule sans alimenter les nappes profondes puisque la boue est formée d’argile imperméable. Après 20 ou 30 kilomètres parcourus dans une atmosphère sèche et chaude, l’eau s’évapore sans même alimenter la nappe phréatique. Cette quantité n’est pas du tout négligeable dans une région où il n’y a ni pluies ni rivières.
Il arrive qu’une partie des phosphates soit transformée dans la région même en engrais. C’est le cas par exemple de l’usine de Mdhilla qui est située juste à coté de Gafsa, chef lieu du bassin phosphatier. Le problème devient alors beaucoup plus grave puisqu’on estime à 2,2 m3 la quantité d’eau nécessaire pour transformer en engrais une tonne minerai de phosphate titrant 30% d’anhydride phosphorique. Comme les usines sont énormes, de grandes quantités d’eau sont utilisées. Une bonne partie de ces eaux est utilisée dans le lavage des fumées très chargées en fluor. Après lavage, ces eaux chargées en fluor, sont reversées dans le milieu naturel. »Quelques chiffres
Plus de 600 000 Tunisiens habitent en France, soit plus de la moitié des Tunisiens résidants en Europe ou dans le monde, selon les chiffres 2012 de l'Office des Tunisiens à l'étranger, un organisme de la République tunisienne.
Marseille accueille 8% des membres de la diaspora tunisienne résidant en France.
Depuis son indépendance, recouvrée en 1956, la Tunisie a pratiquement triplé sa population. Elle compte aujourd'hui pas moins de 10 millions d'habitants.
Superficie totale : 163 610 km2 dont plus de 30 % occupée par le désert du Sahara, le reste étant constitué de régions montagneuses et de plaines fertiles.
La Tunisie est le berceau de la civilisation punique, fondée par les Carthaginois (Phéniciens originaires de Tyr), qui atteignit son apogée au 3e siècle, avant de devenir le « grenier à blé » de l’Empire romain. Les Berbères sont aussi une composante essentielle de cette civilisation, une des plus anciennes et des plus illustres de la Méditerranée.

La tribune vue de la salle. De gauche à droite : Zina Saïdi, Sonia Hassine, Lofti Hammami.

Un moment du débat
VIDÉO (sur Youtube)