Pourquoi tant de morts ?
La fonction du Collectif Les Morts de la rue n'est pas seulement de célébrer les morts ni même de jouer le rôle de signal d'alarme. Pour être utile, il a, avec les autres acteurs du système d'aide, les associations qui le composent, l'ardente obligation de rechercher les causes de ces morts et les failles de ce système. N'ayant pas pour fonction quotidienne de parer à ce qui semble d'abord le plus pressé, abriter les sans-abri, il peut et doit adopter un point de vue plus distancié, plus global.
A ce titre, nous osons dire : si l'on veut que les personnes de la rue en sortent autrement que par une mort prématurée, il ne suffit pas de les abriter, il faut aussi les accompagner. Or il manque actuellement au système une politique réfléchie de l'accompagnement, laquelle implique sans doute une réforme de ce système d'aide, et un redéploiement de ses moyens. Des éléments de réponse existent, actuellement dispersés, dans certaines expériences innovantes d'hébergement ou dans des propositions pour une autre gouvernance. Un débat doit les réunir, pour une autre politique.
CONSTAT : UN SYSTÈME D'AIDE INEFFICACE
Le constat est général mais le Collectif Les Morts de la rue peut apporter quelques précisions à partir d'une étude statistique en cours sur ce que nous avons appris de ces morts. Elle incite à la prudence, tant l'information est partielle. Mais cette carence est déjà une indication essentielle. On ne sait pas grand chose du monde de la rue, par manque de suivi dans l'information et de concertation entre les différentes instances qui l'approchent : police, santé, justice, associations. D'où le caractère très artisanal de ce travail.
Une chose est sûre : nous apprenons de plus en plus de décès +150% sur trois ans, entre 2006 et 2008 en Ile-de-France et ce sont toujours des morts prématurées (moyenne 48 ans) par rapport à la moyenne nationale. Deux explications possibles : ou bien notre réseau étant plus large, nous sommes mieux informés des décès, ou bien on meurt plus dans et de la rue. La vérité est sans doute entre les deux.
Les causes des décès sont rarement connues de nous pour les raisons susdites. On peut au moins constater que la mort soudaine représente la grande majorité des cas (en 2008 pour l'ensemble de la France, 83% de morts soudaines dont 53% de morts violente). Ce qui signifie que la rue est un lieu à haut risque, et que sa population est livrée à elle-même dans la plus grande insécurité. Si les femmes ne sont que 4%, une des raisons ne serait-elle pas une (relativement) meilleure prise en charge ?
Deux données intéressantes concernant les lieux du décès en Ile-de-France : Si le nombre des personnes décédées dans des lieux de prise en charge (Hôtel, Hôpital, hébergement) reste stable durant les 3 dernières années, celui des personnes mourant à la rue ou dans des abris de fortune a plus que doublé durant le même temps. Est-ce la saturation des lieux de prise en charge ? le refus par les personnes de la rue d'un système inadéquat ? la réponse inadaptée à une demande plus ou moins exprimée ? Le nombre de personnes mourant en abri de fortune a plus que triplé durant le même temps. Est-ce le souci d'un coin à soi ?
Nos constats sur les morts corroborent les constats non chiffrés qu'on peut faire sur les vivants. En dépit de l'évolution des lois et des pratiques (lois pour les usagers de 2002, loi DALO, etc.), le nombre de gens dans la rue ne paraît pas baisser. Les hébergements d'urgence, même rénovés, semblent trop souvent maintenir les usagers dans une survie où ils s'enlisent. Les personnes placées depuis deux ans dans des établissements dits de stabilisation sont-elles réinsérées dans la vie sociale ? Ont-elles accédé à un logement ?
Parmi les personnes dont nous apprenons les décès, plusieurs avaient renoncé à appeler le 115 depuis des années.
- Le logement à l'hôtel, faute de structures adaptées, est d'un prix exorbitant et ne permet pas un suivi satisfaisant.
- La chaîne du logement, sans quoi rien ne peut se faire, est complètement bloquée, depuis l'accueil d'urgence jusqu'au logement véritable (1/3 des hébergés seraient aptes à en bénéficier), en passant par les CHRS, et les différentes structures intermédiaires, du fait de la crise du logement social et du manque de solutions provisoires.
Au total on peut au moins conclure que le système d'aide actuel est objectivement inefficace : il ne permet pas à l'immense majorité de sortir vraiment de la rue et humainement d'avancer.
Le système remis en cause
Il est permis de se demander si le temps n'est pas venu d'ouvrir un débat sur la pertinence du système lui-même. Ne devrait-il pas reposer sur l'accompagnement autant que sur le logement. ? Pris par l'urgence de trouver un lit et un abri, on n'a guère pris le temps de poser la question de base, la plus difficile, celle de l'homme : comment un homme peut-il se refaire, après l'épreuve de la rue, et rétablir le lien social ? La question avait certes été posée par la Charte du Canal Saint-Martin. Mais on est resté pris dans le système préexistant dont la clé est le SAMU social, c'est-à-dire le dispositif du téléphone 115, l'hébergement de masse et la logique de l'urgence.
Nous ne sommes pas les seuls à nous interroger. Ces temps-ci, on commence à voir poindre, ici et là, une mise en cause du système. Dans une tribune du Monde, restée curieusement sans écho ni du côté politique ni du côté associatif, Martin Hirsch demandait récemment une remise à plat, globale qui permette une vision transversale de la question « SDF ». La revue de la Fondation Abbé Pierre titre sur « la lente dérive de l'hébergement », constatant, par le double effet de l'interdiction légale de remettre à la rue et de l'insuffisance de la construction, le blocage de la chaîne de l'hébergement d'urgence jusqu'au logement social, relève d'autre part l'insuffisance de l'accompagnement. La FNARS réclame localement « un diagnostic des priorités à donner ». Un article de Nicole Guedj, affirmant qu' « il est illusoire de croire qu'on réglera le problème uniquement en les abritant », prend en compte « les problèmes spécifiques des gens de la rue (...), dans le respect des droits de l'homme ». Un article du Monde (25.12 08) signé Patrick Doutreligne, Xavier Emmanuelli et Patrick Henry, explique « qu'il faut rétablir progressivement la confiance qui a disparu. Il faut les reconnaître, les réconcilier avec la communauté, entendre, à travers leur rejet (...) leurs demandes... » Une enquête du Samu social sur la mort de quelques uns de ses usagers conclut à « une carence de coordination du dispositif de veille sociale à Paris. (Il a manqué) une prise en charge cohérente ». A Lyon une enquête, interrogeant pour la première fois les « usagers » précisément sur leurs besoins révèle une typologie très hétérogène des personnes en situation extrême, bien plus diversifiée que la représentation simpliste que l'opinion se fait du SDF. Une autre enquête auprès des intéressés montre pour quelles raisons les personnes de la rue refusent d'avoir recours au 115, c'est-à-dire aux structures qui leur sont offertes. Ces raisons se résumeraient assez bien dans un mot : dignité. Médecins du Monde a enquêté sur les Morts de la Rue à Marseille. et constate que les personnes décédées pour des maladies prises en charge tardivement étaient pourtant venues aux urgences jusqu'à 30 ou 40 fois « elles étaient bien en demande de soin, mais leur demande n'a pas été perçue ». Des observations proches sont faites par Yann Benoist, ethnologue dans son travail sur la prise en charge au CHAPSA de Nanterre.
Tous les questionnements actuels, de la Conférence de consensus jusqu'au rapport d'Etienne Pinte vont dans la même sens. Ils convergent vers une unique question : comment rendre une personne qui a été à la rue à sa dignité d'homme, quels sont les bons outils de reconstruction personnelle?
Il faut donc changer de problématique. La politique du logement n'est qu'un préalable (On attend toujours une vaste politique du logement social) Mais la véritable révolution pour l'aide aux personnes de la rue serait de passer d'une logique de l'urgence et de l'accueil en nombre à une logique de l'accompagnement individualisé.
Héberger n'est pas loger. A quand un Collectif pour l'accompagnement ?
A qui fera-t-on croire qu'un individu peut se reconstruire en se faisant embarquer tous les soirs par un bus pour l'asile de nuit, et même que ce difficile travail sur soi que représente la sortie de la rue peut se faire si on ne retrouve pas l'espace d'un « chez soi », c'est-à-dire une chambre individuelle, et le temps personnel, variable selon les individus, de se refaire une santé physique et morale, sans laquelle rien n'est possible ? C'est pourtant ce qu'on fait semblant de croire. Or héberger n'est pas loger, et être hébergé n'est pas habiter, même dans un habitat communautaire, s'il y manque la liberté, l'autonomie, la participation, la responsabilité qui font un homme. On reproche aux gens de la rue d'être des assistés et on les maintient dans une situation d'assistés. Tout le monde le sait, mais on ne veut pas le savoir.
Le gouvernement a pris des demi-mesures et chacun bricole dans son coin. Chacun transforme à sa manière en hébergement de stabilisation, on construit quelques maisons-relai. On rénove et humanise. On réduit des dortoirs en box à deux ou trois. Mais est-on chez soi quand il faut en sortir à 8 heure du matin et y revenir le soir ?
Les associations ont créé un Collectif pour le logement .A quand un Collectif pour l'accompagnement où les mêmes associations confronteraient leurs expériences pour définir une politique en cette matière? Il n'y a pas de politique d'ensemble et on est resté pour l'essentiel dans la logique de la concentration et de l'urgence. Il y a de l'argent, mais pour quoi faire ? On peut dépenser autrement, cesser de faire de l'accueil d'urgence (le symbolique 115) la clé de voûte du système, et mener en priorité une réflexion sur les outils de la reconstruction individuelle.
Ouvrons le débat.
PROPOSITIONS POUR UN DÉBAT AUTOUR DE L'ACCOMPAGNEMENT
Nous proposons trois axes de réflexion, donc trois débats distincts, dont la priorité commune serait l'accompagnement.
1. L'humanisation de l'accueil et la construction de véritables lieux de vie. La chambre individuelle en est la clé.
2. L'accompagnement proprement dit ou le suivi individualisé. La création d'un guichet unique et d'équipes pluridisciplinaires en est la clé.
3. Gouvernance et financement. La création d'une structure transversale par l'Etat en est la clé ;
1er débat : De l'hébergement au logement. Structures d'accueil et lieux de vie
Est-ce que tout le monde s'entend bien sur le sens du mot « humanisation » ? Suffit-il de rénover la façade et de poser quelques cloisons pour faire des dortoirs de 3 au lieu de 30 ou bien s'agit-il d'inventer de véritables lieux de vie pour un réapprentissage de la vie individuelle et sociale, adaptés à la situation de chacun, où il retrouvera progressivement autonomie, liberté, responsabilité dans la gestion commune de la maison, avec chacun sa clé ? Le débat devrait permettre de distinguer clairement les étapes de la sortie de la rue, et chaque fois un type d'accueil, dont les modèles existent et qu'il faut généraliser.
En deçà de l'hébergement
Avant même l'hébergement, en particulier pour rétablir très vite le lien avec ceux qui viennent d'arriver dans la rue, ne faut-il pas multiplier :
- Les maraudes, elles doivent être pluridisciplinaires et pas uniquement liées à des travailleurs sociaux mais avec un professionnalisme et une dynamique de territoire afin de favoriser une proximité et une approche globale de la personne. Il faut définir ce que l'on entend par maraude, du médicale, de l'alimentaire.....
- les bagageries ou les lieux de domiciliation qui respectent la première errance ?
- Les accueils de jour proposant des prestations sociales, des services et aussi de l'activité.
« Une première, à Pau. Des ateliers d'adaptation à la vie active vont être mis en place dès le mois de mai.
Il s'agit de proposer à des personnes identifiées comme « en errance » d'échapper quelques heures à la rue, où les phénomènes de groupe incitent à l'alcoolisation et à la mendicité, en travaillant. Ceci, contre ce qui n'est pas considéré comme une rémunération, mais un « pécule » compatible avec le Revenu minimum d'insertion.
Pour l'ensemble de ces questions, il est utile de réfléchir sur la notion de territoire, les maraudes et espaces d'accueil doivent être dans une logique de proximité, si nous voulons réellement être efficaces. Il est nécessaire de définir les actions et les territoires afin d'adapter nos pratiques face aux problématiques rencontrées.
De l'hébergement au logement
Comment faire fonctionner correctement la chaîne qui va du premier accueil dans un hébergement d'urgence jusqu'à l'attribution d'un véritable logement ? Elle est actuellement bloquée par deux raisons essentielles :
1. A la suite du mouvement des Don Quichotte , il fut interdit de remettre quiconque à la rue 5article 4 de la loi DALO) . Cela impliquait la création de nombreuses petites structures adaptées où orienter rapidement les nouveaux hébergés. Il n'y en eu que très peu. Les hébergements d'urgence furent vite saturés. Au lieu de créer des petites structures, on aménagea et on aménage encore les foyers d'urgence dévoyés de leur fonction d'orientation.
2. Beaucoup de personnes hébergées en CHRS pourraient fort bien accéder à un véritable logement, si la politique du logement social était suffisante. Ils continuent donc à occuper des places qui devraient revenir aux personnes actuellement en logement intermédiaire en cours de réinsertion
Il faut donc :
1. Que l'hébergement d'urgence de masse, transitoire (une semaine ?), soit réduit et ramené à sa fonction primitive : être une plate-forme d'orientation vers les hébergements intermédiaires durables. Il cesserait alors d'être une gare de stockage A terme, le nombre de lits d'urgence diminuerait Un exemple pourrait servir de modèle : la cellule d'urgence mise en place lors du campement au canal St Martin
2. Que priorité serait donnée au développement d'une vaste politique de logements intermédiaires : pension de famille, maison-relai, village de mobil-homes...adaptés à la situation de chacun , c'est-à-dire alliant plus ou moins les caractéristiques d'un « chez-soi » (durée de séjour indéterminé, ouvert 24H sur 24, chacun sa clé, ménage et repas individuels) et des conditions de vie commune (« corvées », cuisine commune , entretien ménager, etc....), permettant à chacun de se reconstruire à son rythme (santé physique et morale, réapprentissage de la vie individuelle et social).
3. que la construction de logements sociaux permette de loger tous ceux qui peuvent y accéder. Sans quoi rien n'est possible.
2ème débat. L'accompagnement proprement dit et le suivi individualisé
1. Politique de prévention
en direction de plusieurs populations :
- Les jeunes à risque (ASE*, sans formation, etc....) * aide sociale à l'enfance
Développer des parcours d'insertion pour les jeunes à la rue
- Les personne vulnérables psychiatriquement (ou du fait de l'absence de liens sociaux) , parmi les allocataires du RMI, les allocataires de l'AAH ( allocation adulte handicapée) et les demandeurs d'emploi. Notre système actuellement est trop compartimenté. Travailler avec les différents services concernés tel que les services psy, les prisons, les pour détecter les personnes vulnérables
- Les chômeurs, en particulier de longue durée (diagnostic possible au moment de l'inscription au Pôle Emploi) au moment ou certains perdent leur emploi il est utile de discerner les difficultés que cette perte d'emploi va entrainer, surendettement, divorce, loyer....
- Il faudrait aussi développer un service de suite pour toutes les personnes ayant eu un parcours de rue. Il est nécessaire de continuer l'accompagnement des personnes par un dispositif moins lourd que pendant les périodes de réinsertion. Le fait d'avoir un intervenant social qui connait la personne permettrait de faire de la prévention pour éviter certain retour à la rue.
2. Le référent unique, et des guichets uniques, chaque personne étant prise en charge par un travailleur social pour un accompagnement de longue durée. L'objectif serait d'éviter aux usagers l'actuel «parcours du combattant bureaucratique dont ils sont victimes, et de donner cohérence à une aide multiforme qui souffre d'une double difficulté : le caractère hétéroclite de la population de la rue et la diversité de ses besoins (santé, emploi, logement). Dans des guichets uniques seraient regroupés tous les services dont peuvent bénéficier les personnes de la rue : RSA (revenu de solidarité actif), caf(caisse d'allocation familiale), sécurité sociale, pole emploi, impôts, demande de logement....
3. Formation des personnels. La transversalité des problèmes implique leur création d'équipes pluridisciplinaires pour une ou plusieurs structures.
Actuellement, chaque instance fait comme elle peut, avec ses bénévoles et salariés. Il vaudrait la peine de débattre, pour le bon fonctionnement des maisons, de la gamme nécessaire de personnels, de compétence plus ou moins pointue, technique ou humaine.
3ème débat : Gouvernance transversale et réforme du financement
La transversalité devrait se retrouver évidemment au niveau de l'Etat. et des collectivités locales La diversité des situations et des problèmes nécessiterait un travail de réseau actuellement inexistant.
Plusieurs ministères qui s'ignorent en ce domaine, et pas seulement le Logement, mais aussi la Santé, l'Emploi, les Affaires sociales, la Justice, etc. sont concernés, sans compter le Haut Commissariat aux solidarités actives. Manque un pilote. Ce travail de réseau et de collaborations multiples demande sans doute la création d'une structure transversale : les associations, qui ont peur d'un service public, devraient accepter d'en débattre : le statu quo est coûteux et inefficace. La création de cette structure n'exclut pas d'ailleurs décentralisation et régionalisation. Plusieurs tâches attendent cette structure :
- Martin Hirsch détaillait dans l'article cité plus haut, tout un travail d'information transversale, d'enquêtes (y compris auprès des premiers intéressés, les personnes de la rue) pour une sorte d'audit permettant de définir les besoins.
- C'est à ce niveau que l'Etat devrait mettre en œuvre et piloter (en ces temps de chômage), en collaboration avec les associations, une politique de recrutement et de formation des travailleurs sociaux, pour répondre à tous les besoins (santé mentale et physique, logement, emploi).
- A ce niveau aussi que le financement doit être redéfini avec des critères qualitatifs de l'offre de service
- A ce niveau enfin que devrait être débattu avec les différents acteurs sociaux un redéploiement des dépenses de logement. Au lieu de se ruiner en location d'hôtels ou en rénovation coûteuse de bâtiments vétustes, pour y créer des places inadaptées (voir plus haut) de stabilisation comme c'est le cas avec la Mie de pain, structure datant des années trente qu'on va rénover à grand prix,, ne ferait-on pas mieux de donner la toute première priorité à une vaste politique de création (favorable au BTP) de petites structures diversifiées, de 20 à 30 personnes, au sein des quartiers (les échantillons existent qui montrent que la population les accepte fort bien - mieux que le loi SRU... ! - une fois qu'ils fonctionnent) ?
Conclusion La pensée unique. Changeons de regard.
Nous ne sommes pas des experts. Mais quotidiennement confronté aux images de la double exclusion du « SDF », dans la vie et dans la mort, le Collectif est particulièrement sensible aux représentations collectives plus ou moins conscientes qui inspirent comportements et politique. C'est le cas du « SDF » et du système d'aide.
On entend dire, ou l'on pense tout bas : « c'est assez bon pour des gens à la rue ». Nous acceptons pour eux des conditions de survie (plutôt que de vie) que nous n'accepterions pas pour nous mêmes. Cela parce qu'une représentation dominante, issue du refus de voir et de nos peurs, amalgame tous les visages rencontrés dans la figure extrême du « clochard irrécupérable », qui ne représente en réalité qu'une infime minorité mais permet de dire qu'on ne traite pas avec ces gens-là d'égal à égal. A la fois enfant, fou et sauvage, ce « SDF » mythique n'est plus tout à fait un homme ni un citoyen. On ne peut que l'assister. D'ailleurs ne se considère-t-il pas lui-même « comme un moins que rien » ? Le diagnostic de certains de nos « experts », qui généralisent indûment un regard médical et psychiatrique, conforte sans le vouloir, cette représentation imaginaire. Victime « d'un syndrome médico-social », le SDF ne saurait être tenu pour un partenaire possible ou un acteur social responsable. Telle est la pensée unique.
Personne ne nie certes les effets destructeurs de la vie à la rue. Mais faute de distinguer le « palliatif » et le « curatif », les personnes de la rue en fin de vie, « au bout du rouleau » et tous les autres, avec chacun son parcours, on condamne tout le monde à l'asile et à l'éternelle assistance, et on oublie de se demander d'abord comment rendre à la grande majorité de cette population si hétérogène, progressivement et au cas par cas, autonomie, initiative, confiance en soi. Cela passe par l'écoute et le dialogue, la mise en responsabilité, bref la reconnaissance de leur dignité d'hommes et de citoyens comme tout le monde. Voilà pourquoi il faut rouvrir le débat.