Billet de blog 17 février 2010

Morts de la Rue Collectif  (avatar)

Morts de la Rue Collectif

Abonné·e de Mediapart

Rue, urgence, maladie, exclusion: comment en sortir?

À l'occasion de la sortie du livre de Xavier Emmanuelli et Catherine Malabou, « La Grande exclusion », le collectif Les morts de la rue souhaite ouvrirle débat: la clé du problème de l'exclusion est-elle médicale ou d'abord sociale? Eléments de réponse ci-dessous, et commentaires bienvenus.

Morts de la Rue Collectif  (avatar)

Morts de la Rue Collectif

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À l'occasion de la sortie du livre de Xavier Emmanuelli et Catherine Malabou, « La Grande exclusion », le collectif Les morts de la rue souhaite ouvrirle débat: la clé du problème de l'exclusion est-elle médicale ou d'abord sociale? Eléments de réponse ci-dessous, et commentaires bienvenus.

Alors que le gouvernement est engagé depuis quelques mois dans ce qu'il appelle la « refondation » du système, un débat d'idées, qui ne doit pas être seulement entre experts, s'impose sur les principes de cette refondation. Sinon ce sera un nouveau bricolage. La sortie du livre de Xavier Emmanuelli et Catherine Malabou en peut être l'occasion.

Il y a un bon nombre d'années, naissait à Paris, puis en province, à l'initiative de Xavier Emmanuelli, le Samu social, qui proposait à toute personne de la rue qui le demandait (le fameux 115) ramassage, hébergement d'urgence, premiers soins. Cette action forte, ce sauvetage de masse qui répondait à une urgence et malheureusement y répond encore aujourd'hui, permit à beaucoup de survivre. Mais, comme son fondateur le disait lui-même, cet acte politique majeur supposait un second volet, réclamait un suivi, une action de fond, plus difficile que la première pour accompagner chaque personne et l'aider à se reconstruire, car si on tombe vite dans la rue, on en ressort difficilement. Or la volonté politique s'arrêta là. Une énorme et coûteuse machine s'installa, avec l'aide de grosses associations. L'urgence devint chronique. Même si de multiples révoltes et initiatives ici et là essayaient d'éviter l'enlisement du système, ce ne fut que bricolage.

Les temps changent. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que le système français est à bout de souffle, bon nombre de bénéficiaires le refusent ; il détruit autant qu'il sauve. Il y autant sinon plus de personnes à la rue, et de plus en plus de morts. Les associations, l'Etat lui-même prennent conscience que, si pour certaines personnes il est trop tard, il faut maintenant essayer de réintégrer dans la communauté l'immense majorité des personnes de la rue et faire de la prévention. Et pour cela promouvoir une autre politique.

La situation ne change guère, et pourtant un travail se fait. Pour exemple, un rapport remarquable est actuellement sur la table de Mme Bachelot, dont l'intitulé offre un complet renversement de perspective : « La santé des « sans-chez soi ». Ce sont des médecins qui y affirment que le problème est d'abord social : de quoi a besoin un homme pour se reconstruire ? D'accéder aussi rapidement que possible à l'autonomie, l'intimité, la liberté d'un « chez soi ». Ensuite d'un accompagnement personnalisé dans la durée (avec un référent unique) pour aider chacun à rentrer dans le droit commun. Cela suppose que se mette en place, au coeur des quartiers, des communes, un travail de proximité, en réseau, transversal (sur les questions de santé physique et mentale, de logement, de travail ou d'activité) avec de petites structures. Le rapport de ces médecins propose donc explicitement le remodelage d'un système qui fut construit sur le modèle de l'urgence médicale. Aujourd'hui, le ministère qui lutte contre l'exclusion, au moins au niveau des intentions, semble avoir adopté ces idées et souhaite« refonder » le système.

Pour l'instant il s'en tient à une réorganisation des « maraudes ». On attend la relance du logement. Qu'est-ce qui bloque ?

C'est le moment que choisit Xavier Emmanuelli pour publier en collaboration un petit livre pour défendre le concept d'urgence et définir un « syndrome médico-social de l'exclusion » : c'est donc plus ou moins la défense et illustration d'un système que d'aucuns voudraient changer. Il y dénonce d'ailleurs vigoureusement « l'idéologie » du monde associatif qui fait passer le social avant le médical, c'est-à-dire tout ce que nous venons de dire. Venant d'une telle autorité, le propos mériterait au moins débat. Ce n'est pas le cas. Tout le monde se tait.

C'est pourquoi nous ouvrons cette tribune et invitons ceux qui connaissent la rue à réagir. Monsieur Emmanuelli, avec tout le respect que nous devons à votre action et votre œuvre, nous ne pouvons vous suivre et voudrions vous comprendre. Car votre démonstration est fondée sur une image calamiteuse des personnes de la rue, celle du « grand exclu ». Nous sommes bien placés, au Collectif Les Morts de la rue, pour savoir les dégâts que font la Rue et l'Exclusion, mais nous ne reconnaissons pas dans cette image caricaturale, stigmatisante, victimisante, l'immense majorité de ces personnes dans lesquelles nous reconnaissons plutôt, dans leur diversité, malgré des parcours parfois catastrophiques, avec leurs forces et leurs faiblesses, des hommes en devenir, comme nous tous.

Quel effet produira cette image calamiteuse, devenue emblématique, sur un grand public, nous tous, déjà portés à la bien recevoir ? L'idée de réforme qui progresse, repose sur une tout autre image des personnes de la rue. Or l'opinion ne suit pas et se satisfait d'un système qui reste centré sur le SAMU social assorti du 115, pour maintenir au moins dans la survie une population qu'elle amalgame, avec un fatalisme un peu honteux dans l'image fantasmatique,soupçonneuse, du naufragé social perdu pour la société, ou du malade incurable. Cette image est fausse.

Ajoutez à cette représentation, la crise, et le résignation sournoise de notre société à l'inégalité. L'opinion n'est guère disposée à changer de regard .Or en démocratie, sans l'aiguillon de l'opinion pas de changement.

Monsieur Emmanuelli, aidez- nous plutôt à redresser l'image que risque de laisser ce livre riche d'idées contradictoires et d'expérience, dans le sens d'une réalité moins pathologique et plus humaine.

Le dossier qui suit veut ouvrir un débat que nous estimons utile dans le contexte actuel. Il ne représente pas une prise de position du Collectif Les Morts de la rue qui n'aurait d'ailleurs pas grand sens ici. C'est le débat d'idées que nous souhaitons. Nous demandons d'ailleurs aux journalistes nous aider à l'ouvrir. Et voici d'abord, pour amorce, les points de vue individuels d'un « psy », d'un anthropologue, et d'un maraudeur lambda. Les réactions seront publiées et toute contribution est bienvenue.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.