C’est en Estonie que se trouve la seule entreprise de production de terres rares totalement indépendante de la Chine. Elle a été récemment rachetée par des Américains. Reportage à Sillamäe, où siège Silmet depuis les années 70.
A l’intérieur de cette vieille usine décrépie se trouvent les équipements technologiques les plus pointus au monde. L’usine de Silmet, à Sillamäe, petit port proche de la frontière avec la Russie, est une des seules au monde à produire les métaux rares – ou terres rares. Des matières premières qui portent mal leur nom puisqu’elles sont présentes en plus ou moins grosse quantité partout sur le globe. Mais ces dix-sept métaux n’en sont pas moins très précieux : on les utilise dans le crackage de produits pétroliers, les composants automobiles – notamment pour les voitures hybrides – et tous les produits de nouvelles technologies.
Le marché est presque entièrement contrôlé par la Chine, qui possède 30% des réserves de la planète mais maitrise 97% de la production mondiale. A l’instar des pays de l’Opep avec le pétrole, la Chine a mis en place un système de quotas. Grâce à son quasi-monopole, elle contrôle les prix du marché et décide combien de tonnes seront produites et exportées chaque année.
Seule entreprise au monde à être indépendante de la Chine.
Mais un petit village résiste encore et toujours à la mainmise chinoise. Silmet, entreprise créée par les Soviétiques dans une ancienne usine d’enrichissement d’uranium, sépare les métaux rares depuis le milieu des années 70. Elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « En 2009, en pleine crise, les prix ont chuté à cause de la crise et de la politique chinoise de prix cassés, se souvient David O’Brock, son Pdg. Notre production n’était plus du tout rentable. Nous avons failli fermer. Et puis on a tenu bon et aujourd’hui, les perspectives sont meilleures».
Le 4 avril dernier, l’entreprise californienne Molycorp, qui possède plusieurs mines d’extraction aux Etats-Unis, rachète Silmet pour 62 millions d’euros. Une opération qui pourrait changer la donne sur le marché des terres rares. Toute la matière première utilisée par Silmet est désormais directement importée depuis la Californie, où Molycorp possède des mines, ce qui fait de la petite entreprise estonienne la seule totalement indépendante des Chinois.
« Le kilo de cérium est passé de 3,5 euros en 2009 à 100 aujourd’hui »
Et ça fait la différence : « Récemment, Toyota a annoncé qu’il voulait désormais avoir deux fournisseurs, un chinois et un autre. C’est à dire nous », se félicite David O’Brock. Si les entreprises commencent à se rebiffer contre le monopole chinois, c’est parce qu’en deux ans, la Chine a considérablement augmenté les prix. «Le kilo de cérium est passé de 3,5 euros en 2009 à 100 euros aujourd’hui ». Une situation qui profite à Silmet. « Nous nous adaptons aux prix du marché, sourit David. Et nous devons aussi répercuter la hausse du coût de la matière première, qui ne correspond à aucune augmentation de coût de production ».
L’usine produit 3000 tonnes d’oxyde de terres rares par an. Avec le rachat par Molycorp et la rationalisation des coûts grâce aux mines californiennes, la production pourrait passer à 6000 tonnes d’ici quelques années. Visite guidée de l’usine.
Former de nouveaux ouvriers qualifiés.
La séparation des terres rares demande un savoir-faire technique. Les ouvriers travaillent ici pour la plupart depuis les années 80. « Quand ils partiront à la retraite, cela deviendra un véritable défi pour l’entreprise, commente Renno Veinthal, directeur du département d’ingénierie des matériaux à l’université technologique de Tallinn. Le métier attire peu d’élèves. Ils devront probablement augmenter les salaires pour continuer à attirer des travailleurs qualifiés ». La rémunération d’un ouvrier chez Silmet est de 750 euros par mois environ, guère plus que la moyenne en Estonie.
David O’Brock prend la question très au sérieux. Les jeunes peuvent suivre une formation en deux ans au sein de l’entreprise. Ce qu’approuve Renno Veinthal : « Etant donné l’importance de Silmet pour l’Estonie et toute l’Europe de l’Est, il faut prêter beaucoup plus d’attention à la formation ». Mais il reste difficile d’attirer de nouvelles recrues dans cette région sinistrée de l’Estonie, d’autant que la langue officielle de l’entreprise est le russe. « En fait, la plupart des nouveaux ouvriers sont des enfants ou petits-enfants des travailleurs actuels, qui habitent déjà Sillamäe et n’ont pas beaucoup d’autres perspectives », explique le Pdg.
Aglaé de Chalus