Andres Arrak, analyste économique et directeur de l'Institut d'entrepreneuriat de la plus grande université privée d'Estonie*. Malgré la crise de la monnaie unique, il considère l'adoption de l'euro le 1er janvier 2011 comme une suite logique de la politique monétaire menée depuis 1992. Mais ce libéral pur souche doute de la légitimité de l'aide européenne aux mauvais élèves de l'Union.
Quels étaient les intérêts de l’Estonie à rentrer dans la zone euro au moment où la monnaie unique connaît la plus grave crise de sa –courte - histoire ?
80% du PIB de l’Estonie repose sur ses exportations vers des pays membres de l’eurozone. Adopter la monnaie unique nous permet de faciliter ces échanges, primordiaux pour nous, et d’éviter un risque de crise monétaire. L’euro est aussi un facteur de stabilité qui rassure les investisseurs.
Et surtout, l’adoption de l'euro était facile pour nous. Quand l’Estonie est devenue indépendante et qu’il a fallu créer une monnaie, le gouvernement a décidé de fixer la couronne estonienne sur le mark. Avec le passage à l’euro de l’Allemagne, il y a dix ans, la couronne s’est retrouvée immédiatement indexée sur la monnaie unique. En entrant dans l’eurozone, l’Estonie n’a finalement pas perdu l’indépendance monétaire, qu'elle n'a jamais eue.
Au moment où nous avons frappé à la porte de l’eurozone pour demander à y rentrer, il n’y avait pas encore de crise. Nous avons été invités à un mariage et nous assistons aujourd’hui à un enterrement. L’image est peut-être un peu forte, mais c’est assez vrai. Malgré tout, l’Estonie a travaillé très dur pour rentrer dans l’eurozone et remplir les critères de Maastricht, surtout en matière d’inflation. Grâce à d’importantes coupes dans le budget et les dépenses publiques et à une forte augmentation d’impôts, nous avons finalement réussi à remplir tous les critères. Nous n’allions pas renoncer après avoir tant sacrifié.
Six mois après, les résultats économiques sont-ils à la hauteur des espérances ?
Il est difficile d’en tirer un bilan, six mois seulement après l’adoption de l’euro. Grâce à l’euro, l’agence de notation Standard and Poor’s a relevé la note de l’Estonie de A- à A, ce qui est un signal positif pour les investisseurs, qui sont de plus en plus nombreux à être attirés par le pays.
Mais la vraie conséquence est l’inflation, qui est revenue à des taux d’avant-crise (11,4%). Les prix des produits du quotidien ont considérablement augmenté. Mon coiffeur est passé de 70 couronnes estoniennes (5 euros) à 7 euros aujourd’hui…!
Et qu’en ont pensé les Estoniens ?
Malgré l’inflation et les coupes drastiques dans le budget public, les Estoniens ont reconduit le gouvernement en place lors des dernières élections législatives de mars. Ils approuvent majoritairement l’entrée dans l’euro. Mais il y a une question sensible qui pourrait changer la donne. L’Estonie, comme tous les pays de l’eurozone, doit participer au plan d’aide au Portugal. Le Parlement estonien doit décider avant juillet si oui ou non il accepte de donner de l’argent pour ce plan. Je considère que c’est de l’argent perdu car, comme pour la Grèce, le problème avec le Portugal n’est pas conjoncturel mais structurel. Il doit avant tout refonder son système social, notamment le système des retraites. L’Estonie approuve totalement le principe de solidarité. Mais selon moi c’est de l’argent jeté par les fenêtres.
Aglaé de Chalus
*Estonian Entrepreneurship University of Applied Sciences
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