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Billet de blog 26 mai 2011

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Nationalité : néant

En Estonie, environ 100 000 personnes ne possèdent pas de nationalité : leur passeport, de couleur grise, porte la mention « alien ». Cette minorité apatride est le résultat d’une politique nationaliste, qui rend l'obtention de la nationalité estonienne très difficile.

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En Estonie, environ 100 000 personnes ne possèdent pas de nationalité : leur passeport, de couleur grise, porte la mention « alien ». Cette minorité apatride est le résultat d’une politique nationaliste, qui rend l'obtention de la nationalité estonienne très difficile.

Igor Ivanov est né en 1975 en Estonie. Ses parents, d’origine ukrainienne, sont venus travailler dans l’ancienne république soviétique après leurs études, il y a plus de quarante ans. Mais ni Igor ni ses parents ne possèdent la nationalité estonienne. Leur passeport porte la mention « alien » (étranger). « Regardez, en face de « nationalité », c’est écrit « XXX » », montre Igor.


En Estonie, 100 000 personnes possèdent un passeport gris.

Comme lui et sa famille, environ 100 000 apatrides détenteurs de passeports gris vivent sur le sol estonien, soit 7,4% de la population. La majorité d’entre eux sont d’anciens citoyens de l’ex-URSS, venus s’installer en Estonie durant la période soviétique, et qui n’ont pas obtenu la nationalité estonienne à l’indépendance en août 1991. « Mes parents ont participé au référendum de mars 1991 pour l’indépendance du pays, ont vécu ici presque toute leur vie et n’ont pas le droit à la nationalité », s’indigne Igor.

Un long processus de naturalisation

En février 1992, la loi de la nationalité par le sang de 1938 est réinstaurée. Seuls les citoyens nés ou dont les parents sont nés sur le sol estonien avant 1940 (début de l’ère soviétique), ont le droit d’obtenir la nationalité estonienne sans procédure de naturalisation. L’objectif du jeune gouvernement estonien est simple : s’affranchir rapidement de « l’emprise » russe. 32% de la population se retrouve alors apatride. Pour eux, pas d’autre choix que d’entamer la longue marche vers la naturalisation. Depuis, la procédure est de plus en plus difficile.

Depuis 1995, les aspirants à la nationalité doivent passer deux examens : un qui porte sur la langue estonienne, l’autre sur la Constitution. « Ces tests sont compliqués, carrément impossibles à réussir pour les générations âgées. Et le coût des cours de langue est souvent un obstacle », déplore Vadim Poleshchuk, chercheur au Centre d’information légale pour les droits de l’homme à Tallinn. Certaines leçons de préparation aux examens sont gratuites ou remboursées en partie après l’obtention du passeport, mais elles ne sont pas accessibles partout.

Confiance rompue

« Les Russophones sont tributaires de l’histoire du pays : l’identité estonienne s’est construite contre la Russie, et les mentalités ne changent pas. Seuls un tiers des Estoniens pensent que les russophones sont fidèles à l’Estonie », détaille Vadim Poleshchuk. Dans ce contexte, la politique estonienne ne peut que suivre la même logique. Electoralement parlant, il est plus rentable de ne pas soutenir la minorité russe, et encore moins les apatrides. Depuis 1992, tous les partis au pouvoir sont de droite, à tendance nationaliste. Un seul parti tente de défendre la cause russe : le Parti du Centre.

Depuis l’indépendance, le nombre de naturalisations par an a connu plusieurs pics (cf. tableau). En 2007, un événement secoue la minorité russophone et l’Estonie : le gouvernement annonce le déplacement d’une statue du centre-ville qui symbolise le soldat russe libérateur de la seconde guerre mondiale. L’incident déclenche l’indignation au sein de la minorité.

Depuis, la confiance, déjà fragile, est rompue. « La population a été tellement choquée que certains russophones ont simplement décidé qu’ils ne faisaient plus du tout partie de la nation estonienne », raconte Vadim Polechshuk. Résultat : les naturalisations sont en baisse.


Chiffres du ministère des affaires étrangères estonien

Avec son passeport gris, Igor peut voyager partout dans l’espace Schengen, aller en Russie sans visa et participer aux élections locales. « Je ne peux pas participer aux élections nationale et européennes, mais je ne compte pas demander la nationalité estonienne pour autant, car j'estime qu'elle me revient de droit. Je l'accepterais peut-être, si on me l'offrait », sourit-il.

Lucie Hennequin

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« Regardez, en face de « nationalité », c’est écrit « XXX » », Igor, 26 ans

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