
Comment ont évolué les médias estoniens depuis la fin de l’URSS ?
Le changement a été radical. À l’époque soviétique, seulement deux journaux, une télévision et une radio, tous détenus par l’Etat, se partageaient le paysage médiatique. La censure était partout. Dès la fin du communisme, on a vécu une totale libération, une nouvelle jeunesse. La grande majorité des journalistes des années soviétiques ont été renvoyés et remplacés par de très jeunes recrues, du sang neuf pour ne garder aucun lien avec le passé. Une flopée de médias se sont créés d’un seul coup. Ç'a été une bouffée d’air frais dans notre marche vers la démocratie.
Est-ce pour prendre une revanche sur l’époque soviétique que les grands médias estoniens se battent farouchement pour la liberté de presse ?
En partie, mais c’est principalement grâce au soutien des médias scandinaves. Dieu merci, ils existent. La majorité des journaux estoniens sont détenus par le groupe scandinave Schibsted, donc nous sommes très liés à leurs valeurs journalistiques. Grâce à cette coopération, nous parvenons à rester aussi indépendants et critiques, contrairement à la Lettonie et la Lituanie qui ne bénéficient pas de ce soutien. Je pense que l’on devrait apprendre davantage de la Finlande ou de la Suède où les médias sont très puissants. Mais notre gouvernement estonien n’aime pas beaucoup les médias privés : nous sommes trop critiques. C’est le signe qu’on se débrouille plutôt bien au niveau de l’indépendance… Un exemple récent: un de nos journalistes d'investigation a publié un article sur un député qui s'était payé une luxueuse villa en Grèce sans la déclarer au fisc.
L’année dernière, avec deux autres journaux estoniens, vous avez publié une "Une" blanche en signe de protestation contre une nouvelle loi sur la presse.
Cette soi-disant « loi préventive » est entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Nous n’avons vraiment pas compris pourquoi le gouvernement, et surtout l’ancien ministre de la Justice, ont tenté de nous réguler davantage. Désormais, si quelqu'un se sent attaqué par un article, il peut attenter un procès à la rédaction. S'il gagne, le journal devra non seulement payer une grosse somme, mais pourra aussi écoper d'une « mesure préventive » qui lui interdira d’écrire sur cette personne. Ca fait six mois que la loi est en application et aucun média n’a encore eu de problème. Je croise les doigts pour que les choses continuent de la sorte…
Amandine Bonnet