A la frontière avec la Russie, la ville de Narva a le plus fort taux de chômage du pays. Questions à Georgi Ignatov, responsable de l'économie et du développement de la municipalité.
Narva a un taux de chômage de 15,5%, le plus fort du pays. Pourquoi?
Nous avions ici de grosses entreprises industrielles, parmi les plus importantes d'Europe. Beaucoup d'entre elles ont fermé. La plus grande filature de Narva a mis sur le carreau 500 salariés il y a un an et demi, à cause de la concurrence asiatique. Aujourd'hui, les anciens ouvriers ont du mal à travailler ailleurs que dans l'industrie, ils ont du mal à prendre des initiatives, à créer leurs entreprises.
Y a-t-il aussi des raisons propre à l'histoire et à la situation de la ville?
Ici, les habitants sont russophones à plus de 90% et peu d'entre eux parlent estonien. Il y a beaucoup d'emplois où il faut avoir un très bon niveau d'estonien, comme dans la police ou dans la fonction publique en général. Pour créer son entreprise, c'est pareil. Les jeunes apprennent la langue mais ils ne représentent que 20% de la population. La municipalité essaie de donner des cours d'estonien aux personnes qui en ont besoin, d'aider les chômeurs à écrire leur CV et à chercher un emploi. Mais c'est difficile.
Les russophones ne pourraient-ils pas aller travailler en Russie?
C'est compliqué. La Russie est très bureaucratique et il y a beaucoup de corruption là-bas. Et puis la Russie ne veut pas accueillir tous les habitants de Narva. Il y a deux cents personnes originaires d'ici qui travaillent à Saint-Petersbourg mais c'est une exception. Les chômeurs partent plutôt ailleurs, en Finlande, en Allemagne ou en Angleterre.
Cela nuit-il au développement économique de la ville?
Bien sûr. Moins il y a d'habitants ici, moins le potentiel économique de la ville est important, moins les impôts rentrent dans le budget de la ville.Vous savez, c'était pire au moment de la crise, en 2008. Nous avions un taux de chômage de 22%.
Et les chômeurs qui restent, comment vivent-ils?
Beaucoup touchent des allocations mais ce n'est pas toujours suffisant. Certains vivent donc du trafic avec la frontière. En Russie, juste en face, le prix des cigarettes, de l'alcool et de l'essence est globalement deux fois moins cher. Nous essayons d'arrêter ce trafic mais c'est difficile et les contrebandiers sont rusés. (Voir notre reportage sur le trafic à la frontière).
Y a -t-il du travail au noir à Narva?
Un peu mais pas tant que ça. C'est surtout dans le secteur du bâtiment et dans les commerces que des gens travaillent illégalement. (Voir notre portrait d'un chômeur qui travaille au noir) Certaines entreprises ne déclarent pas leurs salariés et en profitent pour payer des salaires très faibles, autour de 400 euros par mois.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin