A Tallinn presque un quart des logements sont laissés à l'abandon ou en ruines. Un problème de taille qui dépasse les autorités. Explications.

Service minimum
90% de ces logements, principalement situés dans la vieille ville, appartiennent à des particuliers ou des sociétés privées. "La protection de la propriété est très forte en Estonie depuis la fin de l'occupation soviétique, explique Oliver Orro, chargé de mission au sein du département protection du patrimoine de la ville de Tallinn. Le gouvernement municipal et l'État n'ont aucun moyen légal de forcer les gens à rénover." Or, en ville, principalement dans la partie médiévale, les réglementations de rénovation, très contraignantes, coûtent trop cher.

Autre explication, la crise économique qui a frappé le pays en 2008 et fait plonger l'immobilier. "Les prix ont commencé à repartir, mais beaucoup de gens attendent encore pour revendre le plus cher possible."
Surtout, les maisons ou immeubles anciens, peu confortables et synonymes d'une période révolue, n'attirent plus vraiment les habitants de Tallinn. "Beaucoup de gens, après l'indépendance, ont voulu avoir leur propre maison familiale, en dehors de la ville. C'est un signe de prestige. Ça signifie que vous êtes à la mode, moderne", raconte Oliver Orro.
Résignés
Quant aux 10% de logements restant, ils appartiennent à la municipalité. Mais là aussi, leur rénovation pose problème. "On ne cherche même pas à faire le calcul de ce que cela coûterait ", confesse Oliver Orro. La crise, pour la Ville aussi, est passée par là, laissant en friche des terrains constructibles. Les vieilles maisons y ont été détruites, mais maintenant l'argent manque pour construire les nouvelles. Et la dimension politique ralentit certains projets. Edgar Savisaar, le maire de la ville, de centre gauche, est en effet le principal opposant du Premier ministre estonien, Andrus Ansip. A la mairie, on considère cette divergence politique comme une source supplémentaire de difficultés bureaucratiques. Là une signature un peu trop difficile à obtenir, ici une subvention qui tarde à arriver...

Alors, résignés, les Estoniens? Même Mihkel Kärmas, le journaliste de la seule émission d'investigation de la télévision nationale estonienne, n'a pas jugé utile d'enquêter. Mario Nomtak, documentaliste à l'Institut français de Tallinn et natif de la ville, confirme : "Personne n'a vraiment le courage de se battre pour cette question des logements, c'est perdu d'avance." Et Oliver Orro de rajouter, "quand bien même nous le voudrions, il est certain que nous ne pourrons jamais, d'un point de vue financier, rénover la ville entière".
Pourtant, on ne peut pas dire que l'envie de rénover fait défaut. Plusieurs projets de réhabilitation de logements ou de lieux culturels ont effectivement vus le jour, principalement ces cinq dernières années, depuis le changement de majorité à la Mairie. Mais sans aide extérieure, difficile d'imaginer un changement radical de la situation. Pour l'instant, la Ville et le gouvernement bénéficient de subventions de l'Union européenne pour certains projets culturels. Pour la Mairie, le salut ne peut venir que des investisseurs étrangers privés. Les seuls capables d'investir beaucoup d'argent.
Pauline Lavoix avec Maylis Chauvin.