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La poésie symboliste, au crépuscule du 19ème siècle, explore l’ailleurs et le monde intérieur. Génies maudits ou poètes incompris, entre solitude, souffrances, excès, mystères, oublieux des contraintes, volontiers provocateurs ou souvent en rupture avec les valeurs sociétales du moment, leurs écrits dévoilent des rythmes atypiques, des jeux de mots et parfois se libèrent des vers rimés et cadencés.
En quête d’idéal, l’inclassable Charles Baudelaire, poète du spleen, entrelace plusieurs courants poétiques plus en phase avec sa personnalité : « L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu » (Le confiteor de l’artiste). « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? » (Lettre liminaire à Arsène Houssaye afin de défendre ses petits poèmes en prose). L’inspiration du laid, de l’immoralité, des turpitudes de l’homme et du monde le révèle alchimiste poétique : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » (Appendice des Fleurs du Mal).
Stéphane Mallarmé se projette : « Souvent la vision du Poète me frappe / Ange à cuirasse fauve, il a pour volupté / L'éclair du glaive, ou, blanc songeur, il a la chape, / La mitre byzantine et le bâton sculpté... » (Contre un poète parisien). Dans « Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hasard », les mots s’associent comme des notes de musique. La « typoésie » est née.
A la versification libre, Paul Verlaine, « Prince des poètes » mélancolique et passionné, préfère l’octosyllabe, le décasyllabe ou les vers impairs. Charmé par « l’homme aux semelles de vent » surnom qu’il prête à Rimbaud avec lequel il partage des moments d’ivresse jusqu’à la destruction : « Brique et tuiles / Ô les charmants / Petits asiles / Pour les amants / Houblons et vignes, Feuilles et fleurs, Tentes insignes / Des francs buveurs ! ». (Walcourt, Romances sans paroles).
Arthur Rimbaud délivre un message iconique, « se faire voyant » : « Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait ! … je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours… » (Lettre à Georges Izambard, Cahiers de Douai).

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La poésie moderne, aux prémices du 20ème siècle, piochée aux racines du romantisme et aux dernières audaces du symbolisme, devait s’inscrire dans la continuité. Mais, c’était sans compter sur l’écriture, l’inspiration, l’intuition, l’enthousiasme de Guillaume Apollinaire, génie enchanteur, peintre en poésie, « flâneur des deux rives ». Dans son poème « Zone », il nuance : « A la fin, tu es las de ce monde ancien… ».
Apollinaire, marginal assumé s’émancipe de sa jeunesse et introduit la vie, la nature, l’amour dans l’art littéraire. Il supprime la ponctuation, crée de nouvelles formes poétiques en vers libres, invente des calligrammes figuratifs ou non, des métaphores, des images et devient précurseur de la révolution littéraire.
Charmeur brillant et inspiré, pendant sa période au front, il envoie des poèmes à Lou : « Au lac de tes yeux très profond / Mon pauvre cœur se noie et fond / Là le défont / Dans l’eau d’amour et de folie / Souvenir et Mélancolie ». (Au lac de tes yeux).
Les œuvres insolites « Alcools », fruits et fil d'Ariane de ses passions, ruptures et déchirures, dépeignent sa volonté d’unir le temps, passé, présent, futur : « Je passais au bord de la Seine / Un livre ancien sous le bras / Le fleuve est pareil à ma peine / Il s'écoule et ne tarit pas / Quand donc finira la semaine » (Marie… anagramme d’aimer). Le chant poétique éclate pour mieux chatoyer son œuvre !
Blaise Cendrars entrecroise l’imaginaire et l’exaltation du monde réel sous l’égide de l’évasion, de l’innovation, du hasard. « La terre est rouge / Le ciel est bleu / La végétation est d'un vert foncé / Ce paysage est cruel dur triste malgré la variété infinie / des formes végétatives / Malgré la grâce penchée des palmiers et les bouquets / éclatants des grands arbres en fleurs fleurs de carême » (Paysage).

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La poésie surréaliste se joue des mots et des sons et explore l’inconscience, le rêve, l’insolite, la liberté, l’engagement et les meurtrissures de la guerre.
Paul Eluard vante son amour de la poésie au travers de vers libres et engagés. Il offre une image de l’amour de la poésie au-delà des frontières et des principes, valeurs authentiques de l’humanité donnant parfois une vision décalée de la réalité : « La terre est bleue comme une orange / Jamais une erreur les mots ne mentent pas / Ils ne vous donnent plus à chanter / Au tour des baisers de s’entendre / Les fous et les amours / Elle sa bouche d’alliance / Tous les secrets tous les sourires / Et quels vêtements d’indulgence / À la croire toute nue ». (La terre est bleue comme une orange).
Louis Aragon explique : « Je foule systématiquement au pied sur le feuillage noir de ce qui est sacré, la syntaxe. Systématiquement… Je piétine la syntaxe parce qu’elle doit être piétinée. C’est du raisin. » (Traité de style). A l’époque, il fonde avec d’autres la revue « La révolution surréaliste ».
René Char, poète, écrivain mais aussi résistant nomme le poème en prose « sa parole en archipel ». Poésie de la poésie, l’écriture profonde est « de la respiration de noyé ». « Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves ». « Tu es dans ton essence constamment poète, constamment au zénith de ton amour, constamment avide de vérité et de justice. C'est sans doute un mal nécessaire que tu ne puisses l'être assidûment dans ta conscience » (A la santé du serpent). Aphoriste, il laisse quelques sentences célèbres : « La poésie, le jeu des berges arides »… « L’essentiel est sans cesse menacer par l’insignifiant ».

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La poésie contemporaine, riche de belles diversités, reflète l’esprit des poètes et le monde dans toute sa complexité. Butiner les mots dans le langage quotidien, improviser quelques nouveautés pour transgresser les codes traditionnels et créer un nouvel art poétique.
Francis Ponge invente un style unique, « proème », contraction de poème et prose. Il écrit sa fascination et son émerveillement dans le quotidien et les objets inanimés comme la beauté du cageot, du savon, de l’huitre... Il s’attarde sur le mot « oiseau » qui, dit-il, possède toutes les voyelles. « À la place de l’s, comme seule consonne, j’aurais préféré l’L de l’aile : oileau»… Mais, ajoute-t-il à y regarder de plus près le s ressemble « au profil de l’oiseau au repos » (La rage de l’expression)
Jacques Prévert aime manier les expressions imagées et lyriques, ose parler d’oppression et de trahison humaine : « Oh Barbara / quelle connerie la guerre / qu'es-tu devenue maintenant / sous cette pluie de fer / De feu d'acier de sang… » (Barbara).
Raymond Queneau, fondateur de l’Oulipo, écrit « Exercices de style » adaptés au théâtre, publie des poèmes, revisite « Mignonne de Ronsard » et signe « Si tu t’imagines ».
Léo Ferré chante « La poésie » : «… Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés / Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer / Ils mettent des rubans autour de l'alphabet / Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l'air… ».

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Les mots passionnés de Léo Ferré, au crépuscule du 20ème siècle, de la finesse à la colère, de la provocation à la révolte, se bousculent au zéphyr de la plume : « Je vous donne ma voix et puis tous mes violons / Vous savez qui je suis maintenant ? / Le vent je suis le vent ». (Vous savez qui je suis maintenant ?).
Toutes les facéties et l’ironie de l’écriture poétique déployées par cet auteur-compositeur-chanteur-interprète-poète libéré et libre qu’était Léo Ferré : « … J'ai bu du Waterman et j'ai bouffé Littré / Et je repousse du goulot de la syntaxe / À faire se pâmer les précieux à l'arrêt / La phrase m'a poussé au ventre comme un axe / J'ai fait un bail de 3-6-9 aux adjectifs / Qui viennent se dorer le mou à ma lanterne… » (Poète, vos papiers !).
Tellement éloquent en mots et si chef d’orchestre, il impulse, harmonise et déclame son œuvre en un jeu parfait de subtilités et de nuances. Il semble difficile de ne choisir qu’une citation typique ou significative de sa « Préface » rebelle. Sinon, peut-être… son dernier cri qui projette la poésie vers le 21ème siècle :
« A l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat ».