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Billet de blog 9 octobre 2023

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Messages du bout des siècles…

« De la mâle Sapho, l'amante et le poète, Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs ! - L'œil d'azur est vaincu par l'œil noir que tachète, Le cercle ténébreux tracé par les douleurs… » Baudelaire, extrait de « Lesbos » dans les « Fleurs du Mal ».

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Illustration 1
Messages du bout des siècles © Edmey

Aucun souffle de vent n’est venu rafraichir ce moment, ni ébouriffer ce patrimoine culturel si fragile. L’ambiance intime et sulfureuse de l’instant poétique a amplifié discrètement la chaleur estivale déjà bien suffocante. 

Les deux fantômes des lieux vêtus à la mode du XVIème siècle cadencent le tempo du jeu théâtral de leurs longues plumes d’oie. Des parchemins manuscrits éparpillés sur des guéridons nappés, quelques scintillements de lumières tamisées dans la pénombre naissante accompagnent l’effeuillage de l’œuvre intime de Louise Labé.  

Source d’ivresse et d’efflorescence, l’écriture poétique de la « Belle Cordière », offre une sensualité à fleur de mots rimés, de mots rythmés : 

« … Tu es tout seul tout mon mal et mon bien :

Avec toi tout, et sans toi je n’ai rien :

Et n’ayant rien qui plaise à ma pensée,

De tout plaisir me trouve délaissée… »

(Louise Labé, extrait Elégies II, 81-84) 

Au risque de choquer, insolents et facétieux, ses vers originaux largement assumés et libres de ton exaltent astucieusement les ténuités, les désillusions, les émois, les émotions extrêmes et contradictoires. La femme, l’homme, le désir, la passion, le déplaisir, l’art de la séduction, l’amour. 

Respirations, frissons, soupirs de femme. Voix ou voie de la féminité, écriture féminine, paroles féministes. Ses sonnets déploient la complexité du sentiment amoureux, univers unique à la fois délices et souffrances, chaud, tiède et froid, bien et mal, tout et rien parfois au son du luth « compagnon de ma calamité » (Louise Labé, Sonnet XII) : 

« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie… »

 (Louise Labé extrait Sonnet VIII, 1- 4) 

La poétesse mystérieuse, insoumise de l’époque renaissance et du courant humaniste, prône un droit à l’éducation et à la libre pensée et invite les femmes à réfléchir à leur place dans le milieu artistique et littéraire mais aussi dans une société dominée par les hommes. 

« Etant le temps venu, Madamoiselle, que les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines… »

«… Je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux, et s’employer à faire entendre au monde que si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons-nous être dédaignées pour compagnes tant es affaires domestiques que publiques, de ceux qui gouvernent et se font obéir… »

(Louise Labé extraits Préface en prose 1-2, 20-25 à Mademoiselle Clémence De Bourges) 

Inspirée par Sappho et par bien d’autres poètes ou poétesses de l’antiquité, influencée par la culture italienne, « Louïze Labé Lionnoize » ponctue son œuvre de quelques pointes d’humour et d’ironie : « Le plus grand plaisir après amour, c'est d'en parler » (Louise Labé dans Débat de Folie et d'Amour). Entre théâtre, poésie et philosophie, elle s’empresse de prendre sa plume et d’en parler bien mieux que personne. Tour à tour admirée, oubliée, dérangeante, suspectée, elle reste cependant l’écho de l’éternel féminin.

Que d’années, de siècles à clamer « Ne reprenez, n’aigrissez point, mais estimez et gardez-vous », voilà bien des injonctions au mode impératif… Un message repris par une chanteuse espiègle et libre de notre siècle, féministe revendiquée, elle n’a pas hésité à casser les codes ni à enfreindre les règles édictées par une société de discrimination et d’oppression des femmes. Militante de l’égalité des sexes, faisant fi de toute censure, « elle a osé  » .

Illustration 2
Messages du bout des siècles © Edmey

Depuis plus de 26 siècles, les poétesses du désir et de la passion enflamment l’imaginaire. A l’origine, Sappho, poétesse grecque de l’antiquité et femme romantique sans aucun tabou installée pour un temps sur l’île de Lesbos où elle dirige une école de rhétorique appelée « Maison des Muses ». Louise Labé s’inspire d’ailleurs de ses poèmes :  

« … L’herbe du pré où paissent les chevaux

Abonde en fleurs de mélisse, et l’angélique

Exhale son parfum de miel… »

(A une aimée, Sappho) 

Surnommée « Miracle » par Strabon, « Muse » par Pétrarque, « Tutrice de l’amour » par Socrate, « Dixième muse » par Platon, Sappho couchait déjà ses secrets sur papyrus y consignant le joug envahissant d’une force irrationnelle, parfois devenant chants aux résonnances pincées de la lyre : 

«… Tu es venue, tu as bien fait :

J'avais envie de toi.

Dans mon cœur tu as allumé

Un feu qui flamboie.

Je ne sais ce que je dois faire

Et je sens deux âmes en moi… »

(Sappho, extrait de « Confidences »)

Le temps prend son temps. Et pourtant aimé, détesté ou critiqué, il fuit et grignote la vie. Cueillir les messages du bout des siècles... une aventure de tous les temps !

Longtemps, longtemps, longtemps,

Après que les poètes ont disparu
Leur âme légère court encore dans les rues…

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