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Elle avait écrit « Juste un petit rien ».
Il avait répondu « Histoire de rien ».
Sous le poids de l’existence et de la toile parfois opaque du paysage, le sablier du temps s’écoule et prend quelques libertés. Grandioses ou infimes, les choses ont tantôt la disgrâce amère et irritante de l’orage tantôt la beauté mystérieuse, le faste luxuriant et la magnificence muette, sauvage ou ordonnée de la traversée des temps.
Une invitation à pousser loin les regards sur la nature qui s’éveille, se transforme ou s’endort. Quelques foulées dans la rosée du petit matin. Clins d’œil complices au ciel étoilé du grand soir dont « Les grands ciels » de Charles Baudelaire « qui font rêver d’éternité » et ceux décrits par Arthur Rimbaud « par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, picoté par les blés, fouler l’herbe menue, rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds ». Maints rêves féériques de journées riches en instants palpitants, en moments suspendus, en poésies magiques.
Parfois dissimulées dans les recoins de l’inspiration, les gouttes perlées du presque rien deviennent Madeleines de Proust, trésors de réminiscence, souvenirs féconds ou intimes d’un temps rompu et finalement peut-être retrouvé. Intuitions subtiles et émouvantes, clichés mirifiques, découvertes furetées en arpentant les chemins de traverse. Les goûts et les jeux d’enfance se redécouvrent et se gravent ensuite jusqu’à l’obscur et ultime foudre du vieil âge.
Les odeurs des villes, les parfums des parcs, les embruns de la mer, les ridules du sable, les vagues toujours recommencées, les ondulations du lac et ses ricochets inopinés à la surface de l’eau… L’enchantement est partout dans les piaillements des oiseaux, les respirations et les bruissements de la faune et de la flore, le souffle d’air pur de la montagne, la mémoire des vieilles bâtisses et des fresques, tout parle de nature vivante ou de nature morte distillant aux alentours humeurs et échos. Dans la carapace fendillée du « tout », ces petits riens furtifs et magiques s’attachent à enivrer l’existence.

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Il suffit souvent de presque rien pour traverser le désarroi des mots et harmoniser l’exquise esquisse d’une prose. Ces chemins des riens mènent aux grandes pages remplies de pensées fouillées pour un final de quelques mots choisis, beauté de l’écriture. L’art de raconter la vie demeure dans l’écriture poétique inventive et intuitive !
Alain Souchon « aime par-dessus tout, par des mots rendre des images » et d’ajouter que « le bonheur, ce sont des moments ». Patti Smith avance, pour sa part, que « Les mots qui pénétreront un territoire vierge, inventeront des combinaisons inédites, exprimeront l’infini ».
Ombres et lumières, éclats et reflets, tempête de teintes et de sépias se reflètent assurément dans ce miroir de petits riens et c’est déjà beaucoup. Des histoires bucoliques de petits ruisseaux et de grands fleuves remplissent le carnet à spirales ou les tiroirs secrets.
Et toujours ce petit rien, voyage intérieur invitant à « chercher au plus profond de nous-mêmes ce que nous sommes pour devenir ce que nous voulons être », Alain fournier dans « le grand Meaulnes ». La vie à rebours, l’instant présent et le futur en ligne de mire comme un huitième jour attendu, celui des rêves et des riens… Régal absolu des poètes, histoire de rien !
« La beauté est là, au dehors : à l'envers des châtaignes sur les chemins, à l'angle d'une fenêtre, sur le fruit sombre des ronces, sur la poussière des routes et dans le vert des rivières, partout. La beauté, c'est-à-dire la vie. La vie massive et ténue, la vie sans entailles. La vie sans fard. » Christian Bobin dans « Le huitième jour de la semaine »
Elle avait écrit « Juste un petit rien ».
Il avait répondu « histoire de rien ».