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Billet de blog 24 novembre 2021

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Face à la mer...

« Tant que des voies de passage sûres ne seront pas mises en place entre l’Angleterre et la France, ou tant que ces personnes ne pourront pas être régularisées en France… il y aura des morts à la frontière », a réagi Charlotte Kwantes, responsable d’Utopia56 après le naufrage d’une embarcation dans la Manche ce jour (au moins 27 migrants décédés)

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Illustration 1
Les falaises du Royaume Uni vues du Cap Gris Nez (18 Novembre 2021) © Edmey

Ils sont là dans les dunes surplombant ce site naturel, regardant la ligne d’horizon et les reflets blancs dans les eaux turquoises moutonnées de la manche. En d’autres temps, ils auraient trouvé, surement comme moi, ce panorama d’une exceptionnelle beauté digne des huiles et toiles des plus grands peintres et artistes de la côte d’opale. Mais, à cet instant précis, ils semblent pétrifiés, comme en freeze frame, un arrêt sur image interminable. Leurs yeux hagards scrutent le lointain, leurs pieds foulent nonchalamment la dune flamande, le sable fin se dérobe sous leur poids, ce terrain est aussi instable que la fragilité et la précarité de leur vie actuelle.

Face à la mer, muets, épuisés autant moralement que physiquement, ils ne peuvent esquisser ni un sourire de satisfaction, ni même un geste d’enthousiaste. Déboussolés, ils ne savent plus très bien si, le plus âpre est devant ou derrière eux. Reviviscence gommée d’emblée par une flopée de points d’interrogation encore en suspens.

Ils viennent de réaliser que la fin du voyage recule encore de quelques jours et certainement de bien plus. Pour atteindre les côtes du Royaume Uni, la traversée de la mer de quelques 30 kilomètres à vol d’oiseau s’annonce périlleuse, incertaine, de tous les dangers et de tous les risques. Ils savent que beaucoup ont laissé leurs vies dans les houles, les vagues et les entrailles de cet enfer en perpétuels mouvements. Espoir encore suspendu et rêve de l’ailleurs résolument sur le fil du rasoir, le tout subordonné à autant de circonstances négatives et disparates. Certainement, submerger par un sentiment d’impuissance et un choc émotionnel face aux solutions à trouver, ils ne peuvent contrôler ces frissons de désenchantement qui envahissent leurs corps déjà bien meurtris. Tout soudain leur échappe.

Depuis des heures, des jours et des nuits, peut-être des mois, ils marchent, baskets au pied, parfois pieds nus, portant bonnet, parka ou couverture sous ce froid glacial. Gaine sur l’épaule renfermant quelques vêtements, quelques fragments de « richesses » humaines, sociales et quelques légers souvenirs d’antan. Le tout réuni hâtivement dans la confusion d’un départ précipité !

Une route d’exode longue, silencieuse et difficile, attentifs aux moindres bruits, aux moindres conversations, les fourrés et les oyats pour unique cachette. Ils ont déjoué toutes les surveillances, affronté toutes les difficultés. Las, la peur au ventre depuis le départ du pays de leurs racines, de leur douce patrie, terre de leurs aïeux. Arrachés à leur terre, éloignés de leurs proches, une écorchure vive et résignée, pour atteindre cette terre où les attendent un frère, un ami, une connaissance, une famille ou simplement personne. Ils veulent vivre en paix, être reconnus et respectés.

Au long du chemin, la solidarité, l’entraide ont souri, moments revigorant leur for intérieur, réchauffant leurs corps, leurs cœurs et leurs âmes déchirés. Des bénévoles d’associations, prodiguant des conseils et des soins ont été à l’écoute de leurs petits bouts d’histoires familiales, soucieux de leurs maux et mots.

Ils ont finalement traversé cette France réputée terre des droits de l’homme, pays de Prévert, Louise Michel, Brassens, Aragon, Apollinaire, Aimé Césaire, Victor Hugo, Simone de Beauvoir et ont été profondément déçus d’y rencontrer un accueil aussi hostile renforçant d’autant leur mal être et gravant à jamais dans leurs mémoires les répressions et représailles systématiques des instances de gouvernance. Ces dernières excluant l’accueil, se déchargeant de toutes responsabilités et obligations d’humanité, refoulant au plus loin les notions d’hospitalité, de solidarité, de liberté et de fraternité.

Ils sont migrants climatiques, visages humains d’un dérèglement planétaire. Ils sont réfugiés ou demandeurs d’asile fuyant leur pays, les persécutions et les graves atteintes à leurs droits humains. Ils sont migrants fuyant les conflits armés, les situations violentes, la faim, la pauvreté.

Ils sont des Hommes, des Femmes, des Enfants !

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