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Billet de blog 30 septembre 2024

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Au fil de l’eau, d’une poésie l’autre !

« Un fleuve est un personnage, avec ses rages et ses amours, sa force, son dieu hasard, ses maladies, sa faim d’aventures » disait Jean Giono, écrivain et cinéaste, à propos de la Durance et de ses eaux vives alpines ajoutant « Ce n'est pas qu'elle soit méchante, mais pour elle le bien et le mal, c'est pareil ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Vue panoramique d’une partie du Lac de Serre-Ponçon © Edmey

Au cœur des senteurs aromatiques et des parfums sauvages de la flore provençale, se cache un magnifique décor, une fresque naturelle et estivale belle à croquer dont les clichés défient élégamment les plus belles chimères cachées au milieu des chemins escarpés ou muchées au creux des criques et calanques les plus secrètes.

Au milieu des forêts verdoyantes de conifères et de mélèzes des Hautes-Alpes, des cascades vertigineuses arpentent l’écrin de verdure et s’engouffrent promptement dans les méandres insolites du paysage. Un jeu de cache-cache naturel dont l’eau, jaillie de sa source, connait un parcours alambiqué et complexe câlinant parfois l’extravagance des chemins de traverse.

Quelques échappées belles, dans les antres de ces majestueuses montagnes alpines, inspirent à s’enivrer à l’envi des bienfaits de sérénité et de fraîcheur et invitent à goûter aux charmes de la magie et du mystère. Certainement une belle façon, même éphémère, de déjouer l’âpreté obstinée de la vie !

Illustration 2
Marnes striées montagnes du Lac de Serre-Ponçon © Edmey

Là-haut, tout là-haut, de chaque côté de la ligne de crête tutoyant presque le ciel azuré, les averses passagères, les pluies diluviennes et les déluges d’orages érodent les sommets avec la complicité bienveillante et le travail incessant du vent. Aidés de la brise thermique diurne, les reliefs se façonnent et se transforment en étendues lunaires et arides.

Les matrices de marne noire composées de calcite et d’argile, les schistosités et les cristaux scintillants de pyrite dévoilent un panel de nuances colorées s’étendant du noir au bleuté, du grisé au jaunâtre.

Etrangement, l’eau ruisselante sur les dépôts morainiques sculpte et érode, par endroit, d’élégantes colonnes chapeautées de pierres imposantes. Toutes ces « demoiselles coiffées » profitent de la « salle de bal » du lieu pour défiler avec des coiffes d’antan, de haute couture ou simplement à la mode de chez elles : chapeau plat ou cloche, galurin, casquette, béret, bibi, feutre, chapka, béguin, mantille de dentelle… A chaque top modèle de bichonner sa coiffe insolite et spectaculaire !

La réserve de biodiversité préserve la faune. Quelques pâturages d’altitude disséminés çà et là au milieu des cultures accueillent les troupeaux pour l’estive, peut-être une façon de préserver quelques coutumes ancestrales, mémoire de la transhumance.

L’émouvant voyage de l’eau nourricière et le périple de la fonte des neiges semblent déjouer, en toute saison, l’imbroglio des roches striées et les éboulis anarchiques pierreux des pentes abruptes, pour converger vers la vallée de la Durance transformée à cet endroit en lac artificiel de Serre-Ponçon aux ondes turquoises ou aux flots émeraudes, une eau riche en sédiments et minéraux.

Illustration 3
Au fil de l’eau, Lac de Serre-Ponçon © Edmey

Dès la nuit des temps, la Durance, rivière d’eau vive, effrontée, fantaisiste et trépidante aux débits inconstants se voulait libre et émancipée. Ce que certains ne pouvaient plus entendre ! Il fallait absolument dompter les crues et les étiages, capter l’eau fougueuse pour mieux irriguer les terres agricoles alentours. Une façon, selon eux, d’endiguer pénuries d’eau et sécheresses saisonnières de ce coin de Provence.

Les fortes volontés politiques, industrielles du gouvernement de l’époque ont conduit aux constructions de nombreux ouvrages, barrages et centrales hydroélectriques, disséminés au long d’un canal usinier aux 250 kms aménagés atteignant l’étang de Berre. Une idée en germe au milieu du 19ème siècle, actée au 20ème siècle en 1951 pour une mise en service au début de la décennie suivante. Lors de la mise en eau du lac, les villages d’Ubaye et Savines, treize hameaux, de grandes étendues d’herbages et de terre sont totalement ennoyées, aux grands désespoirs de plus de mille personnes obligées au déracinement et à l’abandon de certains de leurs métiers agricoles, textiles… Seul, l’îlot de la Chapelle Saint-Michel, au-dessus du seuil d’immersion, reste visible à l’année au milieu du lac.

Depuis les transformations des lieux et au fil du temps, l’endroit prisé du tourisme rencontre de nombreux autres aléas : taux d’humidité, climatologie locale, enneigement capricieux, périodes intenses de sécheresse ou d’inondations, pollution industrielle et embâcles flottant sur le lac. Tous les ans, au printemps, le lac vidé offre un paysage stérile pour accueillir les eaux issues de la fonte des neiges. Une période où les vestiges d’hier submergés se dévoilent ravivant les contrariétés humaines de ces instants tourmentés.

Illustration 4
Pleine lune sur le lac de Serre-Ponçon © Edmey

Jean Giono, attaché au monde rural et au retour à la terre en harmonie avec la nature, conte l’histoire de la Durance et de ses affluents. Il décrit la Provence, ses beautés, ses tumultes, en romans et films comme « L’eau vive » mêlant fiction et réalité, mais aussi en documentaires, chroniques, textes hétéroclites, miscellanées, poèmes. «… Les autans de la mer qui dégondent les portes et écrasent les treilles… » phrase tirée de « Naissance de l’odyssée ». Ses écrits relatent les petites intrigues de la vie humaine, les charmes et les turpitudes du monde.

Et d’ajouter en 1969 lors d’une interview qu’« aujourd'hui la Durance n'est plus un personnage car de nombreux canaux ont saigné la Durance. Il reste des taillis, des joncs et quelques lézards. Avant c'était un énorme personnage où l'eau coulait librement ». Dans une de ses chroniques de « La chasse au bonheur » l’auteur écrit entre 1966 à 1970 : « nos belles créations se comptent sur les doigts d’une main, nos destructions sont innombrables ».

Quelques chuchotis de l’onde, quelques murmures de la nature grapillent çà et là le parfait silence d’une belle nuitée lunaire. Dans la clarté intense, la toile diffuse frissons et émotions et invite à la danse truculente ou mélancolique des rêves et des souvenirs. L’inspiration au zénith. L’imagination vagabonde du monde d’hier à l’univers bouleversé d’aujourd’hui, décèle les pulsations du monde réel et entrouvre les horizons ébranlés du futur. 

« Dans la boue, nous faisons litière
Emplis d'ombre et d'ancolies
Nous faisons nos lits repensant au monde d'hier
Qui nous élève et nous descend

J'imagine un champ de lavande sur la terre où nous couchons
Des fleurs sur la fange, un culte où baignent les cochons
La nuit, je crois, s'achève enfin
Je me souviens… »

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