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Billet de blog 3 août 2023

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Tuerie à la synagogue de Pittsburgh: Robert Bowers doit-il mourir ?

L'opposition à la peine de mort s'est intensifiée aux États-Unis ces dernières années. Aujourd'hui, c'est l'affaire Robert Bowers et des décisions comme United States v. Bowers et Bucklew v. Precythe qui soulèvent des questions importantes sur le nécessaire examen des circonstances atténuantes avant de prononcer une peine capitale.

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L'opposition renouvelée à la peine de mort aux États-Unis

La peine de mort aux Etats-Unis fait l’objet de désaccords depuis le 20e siècle. La peine de mort au niveau fédéral a été jugée inconstitutionnelle à la suite de l'avis de la Cour suprême dans Furman c.Géorgie en 1972. Contrairement au rétablissement rapide de la peine de mort dans la plupart des États, la peine de mort fédérale n'a été rétablie qu'en 1988, et seulement pour une classe très restreinte d'infractions.

Aujourd’hui, l'opposition à la peine de mort aux États-Unis est de plus en plus marquée malgré la poursuite de cette pratique dans certains Etats (Louisiane, vote du 24 mai 2023) ou par le ministère de la Justice dans certains cas, notamment celui de Sayfullo Saipov, un extrémiste islamique condamné pour une attaque meurtrière à New York.

Interdite à New York depuis 2007 et plus récemment à Washington (2018), le procureur général des Etats-Unis Merrick Garland avait pris la décision en 2021 d'un moratoire fédéral sur la peine de mort. Elle peut être toujours poursuivie par les procureurs fédéraux mais ne sera, pour l'instant, et heureusement, jamais appliquée. En droit français, c’est évidemment une victoire puisque la peine de mort est interdite depuis le 18 septembre 1981 grâce à la volonté de l'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, qui déclarera d'ailleurs que "peine de mort et justice sont incompatibles".

Illustration 1
Synagogue de Pittsburgh

Mieux, l’Etat de Californie a imposé un moratoire en 2019, le Colorado et l’Ohio l’ont aboli en 2020, la Virginie en 2021, et même un Etat du Sud comme le Tennessee a décrété un moratoire en 2022. Un jugement fédéral américain avait soulevé des questions sur la compétence des autorités fédérales et la constitutionnalité de la poursuite de la peine de mort dans un État qui ne l'applique pas. Cela souligne la nécessité d'une approche cohérente concernant la peine de mort aux États-Unis.

Smith v. Secretary, Florida Department of Corrections, 596 U.S. (2020) rappelle d’ailleurs que la peine de mort demeure un sujet d’actualité, notamment en ce qui concerne le risque d'erreurs judiciaires pouvant entraîner l'exécution d'innocents.

Peut-on condamner à mort Robert Bowers, un homme privé de libre arbitre ?

Le cas de Robert Bowers est, comme celui de Nikolas Cruz, très important pour comprendre que des mesures alternatives doivent être toujours recherchés en lieu et place de la peine de mort. Inculpé de 63 chefs d'accusation, dont 13 chefs de crimes de haine, Bowers a été reconnu coupable d'avoir tué 11 personnes lors de l'attaque meurtrière à la synagogue Tree of Life à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Malgré la gravité de ses crimes, il est essentiel d'examiner attentivement les circonstances atténuantes avant de prononcer une peine capitale. Comme dans le cas de Nicolas Cruz, une experte appelé à la barre, Katherine Porterfield, a rappelé que Bowers était un homme instable, ayant vécu une enfance particulièrement traumatisante et ayant tenté plusieurs fois de se suicider. Que ce soit avec Robert Bowers : United States v. Bowers, 46-cr-00277, U.S. District Court for the Western District of Pennsylvania ou  l’Acte de prévention des crimes de haine Matthew Shepard et James Byrd, Jr. : 18 U.S.C. § 249, la question morale et éthique entourant la peine de mort reste préoccupante.

Bucklew v. Precythe, 587 U.S. (2019) rappelle également que les tribunaux doivent accorder une attention particulière aux preuves de circonstances atténuantes dans les affaires de peine de mort.

Le salutaire moratoire de Merrick Garland sur les exécutions fédérales

Le ministre de la Justice Merrick Garland a imposé un moratoire sur les exécutions fédérales, ce qui ajoute une dimension particulière au cas de Robert Bowers. Bien que Bowers ait été condamné à mort, le moratoire soulève des questions sur la mise en œuvre effective de la peine capitale aux États-Unis. Cette décision doit encourager une réflexion nationale sur la peine de mort, l'importance de réévaluer les protocoles, entourant cette pratique, et sa nécessaire abolition au niveau fédéral. (U.S. attorney general imposes moratorium on federal executions - Reuters, juillet 2021; New York Times, juillet 2014).

Les alternatives à la peine de mort

Face aux controverses entourant la peine de mort, des voix se sont élevées pour demander au président Biden de commuer toutes les peines de mort fédérales en prison à vie. Des propositions législatives ont également été présentées pour abolir la peine de mort aux États-Unis. Des alternatives comme la peine de prison à vie, avec possibilité de remise de peine, méritent d'être sérieusement considérées, car elles pourraient offrir une voie plus équitable pour traiter la criminalité et la réintégration. Qui ne change pas après 30 ans de prison ? (Biden campaigned on abolishing the federal death penalty. But 2 years in, advocates see an ‘inconsistent’ message, CNN, janvier 2023; Legislation to abolish death penalty introduced in Congres, février 2023).

Kennedy v. Louisiana, 554 U.S. 407 (2008) souligne que les tribunaux doivent tenir compte des évolutions sociétales et des normes d'équité pour déterminer la constitutionnalité de la peine de mort.

Pour une justice équilibrée et équitable

Le cas de Robert Bowers met en lumière les défis complexes liés à la peine de mort aux États-Unis. Une prise de décision judiciaire équilibrée est essentielle. Il est impératif de tenir compte des circonstances atténuantes, des preuves scientifiques et des facteurs sociaux qui entourent chaque affaire. En tant que société, il est crucial de continuer à évoluer vers des approches plus humaines, réhabilitatrices et justes pour garantir que notre système pénal protège les droits de tous les individus. En mettant l'accent sur la réhabilitation et la justice, nous pouvons construire un système de justice qui reflète nos valeurs fondamentales de dignité et de respect de la vie humaine.

Edouard d'Espalungue analyse chaque semaine sur Mediapart la politique économique et pénale américaine et fournit aux lecteurs et lectrices francophones des clés de lecture pour décrypter les causes et conséquences des décisions majeures prises par les juges, hommes politiques, chefs d'entreprise et fonctionnaires américains.

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