
Face à l’urgence du dérèglement climatique, à l’effondrement du vivant, à l’extinction des espèces, à l’épuisement des sols, à la pollution de l’air qui tue chaque année par millions, au grand remplacement des poissons par le plastique dans nos océans, à la déforestation galopante, à la réduction des habitats naturels qui augmente les risques d’épidémies virales, aux multiplications des cancers, diabètes et autres pathologies liées à nos consommations de chimie, toxines et perturbateurs multiples… bref, face à la dégradation générale qui menace nos conditions de vie sur cette planète, solennel et compassé, le président de la République nous propose donc une réforme de la constitution française.
Et un référendum pour la valider.
Pourtant le préambule de notre constitution se réfère déjà aux dispositions de la Charte de l’environnement, legs constitutionnel de Jacques Chirac. Autrement dit, et depuis 2005, ce texte fait partie de notre bloc de constitutionnalité, comme le droit au travail depuis 1946 ou le respect des libertés publiques. Il serait ainsi déjà tout à fait possible de considérer comme anticonstitutionnelles certaines dispositions législatives, au nom de la protection de l’environnement et des principes de précaution ou de prévention énoncés par la Charte. Certes il est possible que ce gouvernement qui écrase le parlement et néglige les contre-pouvoirs ne soit pas non plus bien conscient des décisions du conseil constitutionnel.
Mais le doute est permis : l’enjeu serait-il ailleurs ? Dans la perspective pour le président de gagner facilement un référendum factice ? Il demandera donc aux citoyens de confirmer haut et fort qu’ils considèrent la lutte contre le changement climatique comme une priorité politique supérieure – et qu’il est le président de la situation. Cette habile manipulation électorale devrait ainsi lui permettre de faire campagne à peu de frais sur son engagement écologiste, inévitablement soutenu, même à contre cœur, par l’ensemble des forces politiques qui ont déjà mis cette priorité au cœur de leur programme et les acteurs de la société civile qui s’engagent au quotidien sur ces questions.
Enfoncer les portes ouvertes de l’urgence climatique, cornériser l’extrême-droite trumpisée, ringardiser les derniers scientologues allègrement climatosceptiques, cette belle opération politique s’inscrit sans nul doute dans la stratégie de 2022 pour se refaire une crédibilité progressiste.
Car derrière l’arbre du changement constitutionnel s’étend la forêt des renoncements d’un gouvernement et de sa majorité : reculs partiels ou complets sur les perturbateurs endocriniens, l’interdiction du glyphosate, le bien-être animal, les états généraux de l’alimentation, le code de l’environnement, la réforme du modèle agricole, les pratiques de surpêche ; sans oublier la réintroduction récente des néocotinoïdes, ou le cajolement permanent des chasseurs, cette déprimante liste est interminable.
Ce président excelle dans l’annonce. Promis, avec Nicolas Hulot, on allait make the planet great again, faire de l’écologie la grande cause du quinquennat (encore une). Mais dès les premiers mois du quinquennat et avant même la démission spectaculaire du populaire ministre en exercice, dans un accès de lucidité sur le rôle central qu’il avait accepté d’endosser dans cette mauvaise pièce, l’écologie aura été une des illustrations les plus exemplaires de la distance entre les paroles et les actes.
Comme pour l’école, dont le ministre responsable aura fait semblant tout au long de la crise sanitaire de garantir une “continuité pédagogique”, propose à présent de rendre l’école optionnelle, à la discrétion des parents, et traite ses critiques par le mépris et la menace. Comme pour la défense des libertés disparue sous les violences policières et le fantasme d’une sécurité globale. Comme pour les « séparatismes », dont le projet de loi afférent préfère interdire et discriminer plutôt que de remettre les indispensables services publics sur les territoires afin de recréer les conditions matérielles de l’égalité républicaine.
Derrière les numéros d’équilibriste de la vérité des communications gouvernementales se révèle en fait tout un système de maintien des apparences. En fin de compte, le faux-semblant, c’est le vrai visage du « en-même-temps ».
Alors si l’écologie est une priorité, plutôt que dépenser des dizaines de millions d’euros pour un référendum inutile, investissons-les dans des actes qui font réellement avancer la lutte contre le changement climatique et la défense du vivant. Investissons-les aussi dans notre avenir, c’est-à-dire dans une École refondée, réaménagée, réinvestie, écologiste, dont nos enfants auraient tant besoin.
Finie la comédie. A la république des annonces creuses, nous préférons le concret de la république en actes.
Edouard Gaudot
Rodrigo Arenas
Nathalie Laville