(texte publié par ailleurs le 11/7/24 par le Nouvel Obs)
Après l’euphorie et le soulagement du grand retournement de tendance dimanche soir, l’heure est à la responsabilité et la sobriété. Les communiqués triomphalistes, acceptables dans l’émotion de la victoire dans cette lutte de position entre trois blocs quasiment de force égale, ne sont plus de mise.
Car les analyses des chiffres, des cartes, des évolutions historiques et des mille et une petites nuances des résultats ne doivent pas masquer le fait majeur : la France, comme tous les pays européens à l’heureuse exception de l’Irlande, est le théâtre d’une dynamique conquérante de l’extrême-droite. Dont le spectre désormais nous mène d’une crise de régime vers une crise existentielle. La France n’est pas immortelle.
Grâce à leur sens des responsabilités les partis de gauche et des écologistes ont su se rassembler pour offrir au premier tour un front uni, populaire et solidaire, pour répondre au défi du scrutin majoritaire à la française qui punit toute dispersion. Grâce à un sursaut de dignité républicaine au deuxième tour, la défunte majorité présidentielle a accepté d’opposer un front républicain pour endiguer la vague brune qui menaçait de déferler – on notera d’ailleurs que l’application inégale de cette discipline électorale lui a même permis de sauver la face et d’éviter une défaite qui s’annonçait plus cuisante encore. Mais surtout, grâce à leur sens des responsabilités historiques, les électeurs et électrices françaises ont su surmonter leurs réticences – pour les plus jeunes, c’est devenu une triste habitude – et se mobiliser massivement pour préserver une certaine idée de la France, faite de liberté, d’égalité et de fraternité.
Au fond, seule une minorité de l’électorat a pu voter sans état d’âme pour des candidatures choisies et non subies. Aucune force ne peut clamer qu’elle a reçu un mandat du peuple français. Le seul mandat clair qui aura été délivré par cette élection est celui du refus farouche de voir l’extrême-droite parvenir au pouvoir dans notre pays.
Certes, au vu des rapports de force issus des urnes, il appartient au Nouveau Front Populaire de prendre la responsabilité de conduire la politique de la nation. Le Président de la République ne peut pas démocratiquement faire l’impasse sur cette réalité politique. Mais le ou la cheffe de gouvernement qu’on espère voir sortir du conclave des partis devra se garder de négliger, comme J. Chirac en 2002 ou E. Macron en 2022, le vote de ceux qui ne les avaient pas choisis.
Il ou elle devra appliquer un programme conforme à ce mandat confié par les Français : faire reculer l’extrême-droite. Ses mesures, son action, ses objectifs doivent être entièrement dédiés à faire baisser l’eau qui s’accumule dangereusement derrière nos barrages électoraux. C’est aussi le mandat qu’ont reçu les forces restantes de l’ancienne majorité. Elles doivent avoir la décence de cesser les jeux politiciens pour appuyer sans réserve ce nouveau gouvernement d’action démocratique.
Le programme commun en est simple : enrayer la dynamique de l’extrême droite. Pour cela, trois axes sont essentiels et urgents. Premièrement changer les conditions de notre démocratie. D’abord avec l’établissement d’un scrutin proportionnel avec seuils de représentativité, inspiré des différents systèmes électoraux en vigueur chez nos voisins. Ensuite introduire le Référendum d’Initiative Citoyenne qui avait tant mobilisé les Gilets Jaunes. Enfin, rétablir le dialogue avec les partenaires sociaux, les corps intermédiaires et la société civile, longtemps méprisés par le jupitérisme.
Deuxièmement, assainir drastiquement les conditions du débat : lutter contre la désinformation et les ingérences étrangères, déconcentrer la propriété des médias et surtout refuser de renouveler l’accès aux fréquences de la TNT du groupe Bolloré qui s’est fait un chantre des passions malsaines. Troisièmement, raviver le lien social partout où son affaiblissement avait permis aux discours de la haine et du ressentiment de s’enraciner dans l’anomie. Réparer l’école, l’hôpital et la police. Répondre à la crise du logement. Investir pour relier les territoires.
Si le drapeau tricolore peut flotter fièrement pour deux ans encore, et résister aux vents mauvais qui portent l’extrême-droite raciste et xénophobe aux sommets partout dans le monde et en Europe, c’est grâce à la splendide mobilisation des Françaises et Français. C’est à leur exigence de démocratie et de fraternité. Il serait bon que ni Ensemble, ni le NFP ne l’oublient. Sinon…