« Tout était pur alors. Tout était jeune. » À la nouvelle du décès de celui que tous et toutes nous appelions Olive, j’ai immédiatement pensé à ces mots de l’historien Jules Isaac quand, au soir de sa vie, il se remémore sa jeunesse dreyfusarde contre les antisémites d’Action française. Une jeunesse qui ne rechignait pas à l’affrontement physique et dont le chef n’était autre que Charles Péguy, alors socialiste libertaire, un Péguy meneur d’hommes, bagarrant à coup de cannes contre les ligues factieuses de ce qu’on n’appelait pas encore l’extrême droite.

Agrandissement : Illustration 1

La référence n’est nullement incongrue : indéfectiblement associé au souvenir de Daniel Bensaïd, qui me fit découvrir Péguy, Olivier Martin incarne l’intraitable combat antifasciste de notre génération. Sa vie militante – pour l’essentiel à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) – et professionnelle – éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse – ne s’y réduit certes pas, dont rend compte une exhaustive notice du Maitron. Mais, dans notre mémoire collective, la figure d’Olive est indissociable d’un engagement total contre l’extrême droite et la menace qu’elle représente.
Dans l’hommage qu’il lui a rendu, son camarade Alain Cyroulnik rappelle que leur amitié s’est nouée en 1967 quand, lycéens, ils firent face à la venue d’un commando d’Occident : « Avec un regard complice, nous les virons vite fait bien fait ». On l’oublie trop aujourd’hui : un quart de siècle après la fin de la Seconde guerre mondiale, l’antifascisme fut l’un des moteurs premiers des engagements des années 1960 et 1970, dont l’anticolonialisme et l’antiracisme étaient les prolongements logiques.
Consacré aux militant·es de la Ligue issu·es de familles juives rescapées du génocide, Nous vengerons nos pères, un documentaire de Florence Johsua et Bernard Boespflug, en rend fort bien compte. Toutes celles et tous ceux qui y interviennent appartiennent à cette amicale dont Olivier Martin fut l’un des principaux fédérateurs jusqu’à ce qu’une méchante maladie l’oblige à se mettre en retrait.
Devenu la cheville ouvrière du Service d’ordre (SO) de la Ligue, qui mena notamment l’assaut parisien du 21 juin 1973 contre un meeting raciste d’Ordre nouveau, Olive était l’exact contraire des travers autoritaires et masculinistes que peuvent générer ces pratiques militantes d’autodéfense – de fait, le SO de la Ligue fut le premier à se féminiser en même temps qu’il veillait à ne pas devenir une fin en soi, hors de toute éthique de responsabilité politique.
Aucunement sectaire, profondément libertaire, bon vivant et plein d’humour, Olivier Martin ne s’est jamais défait du calme et de la gouaille du gamin parisien bagarreur et fugueur qu’il avait été adolescent. Avec, toujours, cette inquiétude qui est au ressort de l’espérance. Quelques jours avant de s’éteindre, il disait à son camarade Alain Cyroulnik : « Tu te rappelles ce qu’on pensait à nos débuts, on voulait un monde meilleur qui semblait à notre portée, et on se retrouve avec la possibilité du pire. »
Pour partager avec vous qui lisez ce billet mon adieu à l’ami Olive, j’ai pensé à cette chanson de Colette Magny, Les Tuileries. Elle y magnifie un poème de Victor Hugo qui évoque ces « joyeux bandits, sachant rire et battre, mangeant comme quatre, buvant comme dix » :
Nous avons l’ivresse,
L’amour, la jeunesse,
L’éclair dans les yeux,
Des poings effroyables ;
Nous sommes des diables,
Nous sommes des dieux !
Hommage sera rendu à Olivier Martin, dit Olive, lundi 5 mai 2025 à 15h30 au crématorium du Père Lachaise à Paris.