En voici, en bonnes feuilles, l’introduction et le premier chapitre. Suivies des vidéos des émissions qui y ont été consacrées.

Agrandissement : Illustration 1

Adresse à l’Europe
Europe, qu’as-tu fait de ta promesse ? Celle d’une humanité commune et d’un droit universel ?
Tu la revendiques et, en même temps, tu t’acharnes à la discréditer. Tu l’as proclamée et, depuis, tu n’as cessé de la contredire. Hier, tu t’en glorifiais chez toi alors que tu la saccageais ailleurs. Aujourd’hui, tu la brandis plus que jamais quand il s’agit de te défendre contre un agresseur mais tu y renonces quand l’Occident, cette réalité politique née de ta projection sur le monde, agresse à son tour, attaque, envahit, occupe, détruit, extermine.
C’est certes une longue et vieille histoire, d’hypocrisie et de suprématie, de prédation et de justification, d’amour de soi et de peur des autres. Mais c’en est fini des faux-semblants : désormais, le monde entier le sait et le voit, ô combien. Et, fussent-ils injustes, les divers pouvoirs qui y règnent ont beau jeu, dès lors, de retourner à leur profit cette imposture. Aucun peuple n’est dupe, pas même les tiens qui, de plus en plus, cèdent aux sirènes de l’identité et de la force, du refus de l’égalité des droits et du rejet d’un monde en relation.
Et c’est ainsi, Europe, que tu cours à ta propre perte, ayant toi-même ruiné ce qui faisait ta puissance véritable. Non pas celle, provisoire et éphémère, des richesses, de l’argent et des accumulations, mais celle, durable et essentielle, des idées, de l’utopie et des émancipations.
1. Le discours de Bruges
Ce sont des mots d’entre deux guerres. Les mots d’une Europe égarée, d’un Occident désorienté.
Des mots satisfaits, supérieurs et fiers, contents d’eux-mêmes en somme. Des mots qui sont à la source du malentendu persistant avec le reste du monde, ses peuples et ses espoirs, qu’entretient ce continent, le nôtre, en compagnie de sa projection nord-américaine. Des phrases qui, en négatif, disent l’imaginaire qu’il nous faudrait, urgemment, leur opposer si nous voulons échapper à la catastrophe en cours, celle d’un retour, sous toutes latitudes, des cavaliers bruns de l’apocalypse inégalitaire, ces extrêmes droites identitaires, habitées par le rejet de l’autre et de l’ailleurs, de l’étrange et de l’étranger, du différent et du dissemblable, du pluriel et du divers.
Le 13 octobre 2022, le Commissaire européen aux Affaires étrangères prononçait le discours inaugural d’une nouvelle Académie diplomatique européenne. Elle est sise à Bruges, en Belgique, une ville qui, au XVIIe siècle, fut au cœur de la conquête marchande du monde par l’Europe dont le moteur fut la dynamique d’invention et d’expansion du capitalisme. À tel point que certains historiens lui attribuent la maternité du mot « Bourse », entendu comme le lieu de rencontre des banquiers, marchands, agents de change, courtiers et autres financiers. À Bruges, ces assemblées d’échange et de commerce s’y tenaient en effet près de l’Hôtel des Bourses qui devait son nom à une famille bourgeoise, celle des Van der Beurse.
Dans le sillage de la conquête de l’Amérique, où l’Europe s’augmentait et se glorifiait par le pillage et par l’esclavage, notre économie-monde s’inventait alors dans des villes laboratoires, notamment en Italie, à Venise, Florence ou Gênes. Mais c’est à deux cent cinquante kilomètres de Bruges, à Amsterdam, qu’eut lieu l’invention décisive, qui aujourd’hui nous domine, anticipant le capitalisme financier, sa fluidité, sa rapidité, sa vacuité, sa malfaisance : une Bourse des valeurs où le jeu spéculatif était, déjà, porté à son incandescence. Parmi les valeurs reines de ces spéculations boursières, il y avait les actions de la Compagnie des Indes orientales, puis occidentales, qui incluaient, parmi leurs marchandises mises aux enchères boursières, les cargaisons d’esclaves – ces hommes, ces femmes, ces enfants, cette humanité niée, enlevée, achetée, troquée, enchaînée, battue, déportée, vendue, violée, épuisée, asservie, exploitée, détruite…
Je le rappelle pour qu’on lise les phrases ci-après du, de facto, ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne en ayant en mémoire cette longue durée d’injustice, jusqu’au crime contre l’humanité, qui a promu l’Europe au-dessus du monde. Pour qu’on se souvienne de cet héritage non soldé qui, toujours, empêche que l’on puisse nous croire sur parole, nous autres Européens. Aussi puissants et fructueux soient-ils, les grands principes abstraits que nous proclamions universels ont été d’emblée ruinés par l’intérêt et la conquête, l’avidité et la possession.
Né Polonais, éduqué Français puis devenu Anglais, un romancier européen, qui en fut témoin au XIXe siècle dans sa vie de capitaine de la marine marchande, a su le dire mieux que toute longue dissertation. « Horreur ! Horreur ! » – « The horror ! The horror ! » en version originale : ce sont les derniers mots, prononcés dans « un cri qui n’était qu’un souffle » par Kurtz, le héros d’Au cœur des ténèbres, ce roman de Joseph Conrad qui a inspiré le film de Francis Ford Coppola sur la guerre impérialiste états-unienne en Indochine, Apocalypse Now.
Envoyé au Congo – alors propriété personnelle du roi des Belges Léopold II, monarque criminel dont on chiffre la brutalité prédatrice à pas moins de dix millions de morts –, Kurtz est chargé d’un rapport par « l’Association internationale pour la suppression des coutumes sauvages ». « Un beau morceau d’écriture », commente le narrateur à la lecture de ces dix-sept pages, tout en remarquant des passages de « mauvais augure ». Nous autres Blancs, écrit par exemple Kurtz, « devons nécessairement leur apparaître comme une classe d’êtres surnaturels – à notre approche, ils perçoivent une puissance comme une déité ». « Par le simple exercice de notre volonté, nous pouvons exercer un pouvoir bénéfique pratiquement sans limites », affirme-t-il.
Ces pages donnaient l’idée d’« une Immensité exotique gouvernée par une auguste Bienfaisance », résume, majuscules comprises, Conrad par la voix du capitaine Marlow qui remonte le fleuve Congo à la recherche de Kurtz, mystérieusement disparu dans la jungle africaine. Mais c’est alors qu’il ajoute : « À moins qu’une espèce de note au bas de la dernière page, gribouillée évidemment beaucoup plus tard, d’une écriture tremblée, ne pût être regardée comme l’exposé d’une méthode. » « Exterminez toutes ces brutes ! », y lit-on. Ce n’est pas qu’une invention romanesque : cette « méthode » est la vérité sanglante des conquêtes civilisatrices. Toute colonisation fut aussi une extermination.
La jungle est l’autre mot des ténèbres qu’arpente le roman de Conrad. Elle est « impénétrable », « enchevêtrée », « colossale, d’un vert sombre au point de paraître presque noir » et, surtout, « le cœur de l’homme sauvage », un monde étranger et hostile où règne « cette vie mystérieuse des solitudes ». La jungle, donc. Étrange, étrangère, menaçante, dangereuse.
« Jungle en voie d’illumination » : alors que j’ébauchais ce livre, dont l’écriture fut sans cesse rattrapée par une actualité déchirante, du massacre de Gaza à la guerre d’Ukraine, en passant par la Nouvelle-Calédonie, butte-témoin coloniale, pour arriver au péril néofasciste – en France, avec le Rassemblement national, et aux États-Unis, avec Donald Trump, tous deux parrainés et soutenus par la Russie de Vladimir Poutine –, une exposition nocturne se tenait sous cet intitulé au Jardin des Plantes à Paris. Dans un retour à l’envoyeur qui dit les défis de notre monde inextricablement interdépendant, cette mise en scène artificielle d’une nature aussi merveilleuse que menacée, devenue rendez-vous parisien annuel, est l’œuvre d’une entreprise chinoise dont les travailleuses et travailleurs campent à demeure pour l’installer. J’y ai lu sur un panneau didactique une introduction à la « jungle », mot d’origine indienne qui « stimule notre imagination » car il « évoque des pays lointains, des forêts inexplorées, une grande beauté mais aussi de nombreux dangers et la peur de l’inconnu ».
En effet, la peur de l’inconnu. Le monde change, il pivote, se retourne, modifie sa trajectoire. Et il nous échappe. Pour le meilleur ou pour le pire – le meilleur dépendant de ce qu’en feront les peuples si, du moins, ils ne désertent pas l’évidence d’un salut commun, cette quête de pain, de paix et de justice. Surtout, s’ils arrivent à briser les carcans de privilèges et de conservatismes qui les empêchent de choisir librement un meilleur destin.
C’est cette peur de l’inconnu, du monde en somme tel qu’il s’invente indépendamment de l’Europe, au-delà ou en dehors d’elle, que j’ai lue dans ce discours de Josep Borrell, alors vice-président de la Commission européenne (2019-2024), Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, prononcé le 13 octobre 2022 à Bruges devant la nouvelle Académie diplomatique européenne. C’était plus de sept mois après le début de la guerre russe d’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, et une année avant le début de la guerre israélienne de vengeance contre l’enclave palestinienne de Gaza, en riposte aux massacres de civils commis par le Hamas le 7 octobre 2023.
Voici donc :
« Oui, l’Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin. Tout fonctionne. C’est la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait pu construire – les trois choses ensemble. […] Le reste du monde n’est pas exactement un jardin. La plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin. Les jardiniers doivent s’en occuper, mais ils ne protégeront pas le jardin en construisant des murs. Un joli petit jardin entouré de hauts murs pour empêcher la jungle d’entrer n’est pas une solution. Car la jungle a une forte capacité de croissance, et le mur ne sera jamais assez haut pour protéger le jardin. Les jardiniers doivent aller dans la jungle. Les Européens doivent être beaucoup plus engagés avec le reste du monde. Sinon, le reste du monde nous envahira, de différentes manières et par différents moyens. »
Ces propos sont d’autant plus notables qu’ils ne sont pas d’un réactionnaire néoconservateur, tenant impérialiste du choc des civilisations, cette prophétie autoréalisatrice qui a entraîné les États-Unis et leurs alliés européens dans une guerre sans fin dont l’invasion de l’Irak en 2003 fut l’accélérateur. Non, Josep Borrell est un homme classé à gauche, militant de longue date du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), longtemps député aux Cortes, deux fois ministre avant de présider le Parlement européen, puis de devenir membre de l’exécutif de l’Union européenne.
Se rendant compte rapidement de l’effet désastreux de son discours, alors même que l’Europe se cherchait des alliés face au surgissement d’un nouvel impérialisme russe, agressif et conquérant, il va tenter de l’amoindrir. Se défendant de tout « eurocentrisme colonial », il expliquera sa métaphore par le retour de la « loi de la jungle » que signifiait l’invasion de l’Ukraine par la Russie, symbole des « politiques de puissance », entraînant une militarisation accélérée et légitimant la primauté de la force sur le droit. Explication évidemment boiteuse tant elle faisait fi de la longue durée d’actes unilatéraux commis par la puissance nord-américaine. Poussé dans ses retranchements, Josep Borrell finira par concéder que « oui, le monde occidental a aussi parfois contribué à dérégler l’usage de la force ». Faible ligne de défense qui, un an plus tard, sera non seulement percutée mais fracassée par l’évident double standard européen et états-unien entre l’Ukraine et Gaza, selon que la guerre est russe ou israélienne et que ses victimes civiles sont européennes ou palestiniennes.
En janvier 2024, le commissaire européen dut en convenir lui-même, soulignant ce contraste entre une Europe unanime à condamner l’agression russe contre l’Ukraine et divisée face à la guerre d’extermination d’Israël à Gaza : « Notre absence d’unité a affaibli notre crédibilité en matière de défense de la légalité internationale. […] On peut difficilement faire appel au jugement de la communauté internationale et au vote des Nations unies dans un cas et pas dans l’autre. Ce télescopage pose à l’Europe des dilemmes politiques et moraux essentiels qu’il faut affronter avec lucidité et courage. » Tardif, ce moment de modestie n’était autre qu’un aveu d’impuissance face à Israël. Soutenu, malgré quelques remontrances sans portée, alors qu’il viole éhontément un droit international dont il n’a que faire, le Premier ministre extrémiste israélien Benyamin Netanyahou n’a cessé de convoquer à sa façon l’image du jardin, avant-poste de la civilisation face à une jungle où rôderaient les barbares : « Il faut que vous compreniez bien, vous, les Occidentaux, que c’est une guerre de civilisation ! Israël est aux avant-postes, sa victoire contre le terrorisme sera votre victoire. »
La catastrophe commence par des mots qui accoutument aux pires fatalités. Le Français Gustave Le Bon l’a prédit : « Il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses. » L’Allemand Victor Klemperer l’a documenté : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde. » Essentialisant l’Europe dans une posture supérieure, civilisatrice et bienfaitrice, cette opposition de deux mots, le jardin et la jungle, fait le lit et le jeu des idéologies inégalitaires dont le refrain identitaire est le poison. Le discours de Josep Borrell se terminait d’ailleurs par un appel à mener la bataille sur ce terrain identitaire, dans l’espoir que ce ne soit pas celui des identités fermées aux autres, closes et repliées, mais des identités en relation, celles du « toi et moi » dont il créditait « la beauté de l’expérience européenne ». Un compliment abusif tant sa métaphore en est le démenti flagrant, qui sépare et oppose au lieu de relier et de rapprocher.
« Gardez le jardin, soyez de bons jardiniers », concluait-il, tout en invitant les futurs diplomates européens à « prendre soin de la jungle à l’extérieur ». Héritage d’une mentalité coloniale persistante, cette bonne conscience civilisationnelle, à la fois paternaliste et essentialiste, offre une voie royale aux adversaires de l’égalité des droits, résolus à enrayer cette promesse émancipatrice qui ne fait pas de distinction d’origine, de naissance, de condition, d’apparence, de croyance, de sexe ou de genre. Autrement dit aux ennemis du genre humain, en ce sens qu’ils nient notre commune et égale humanité. La jungle qui risque d’envahir le jardin évoque irrésistiblement le « grand remplacement », cette idéologie complotiste et meurtrière qui unit, sous toutes latitudes, les extrêmes droites dans un désir de pureté et dans une envie de rejet.
Mais nul besoin d’aller chercher du côté de ce néofascisme désormais conquérant pour mesurer les ravages de ce langage et l’inconscient qu’il révèle, de refus du monde et des autres. Empruntés au vocabulaire des cercles identitaires, xénophobes et racistes, « décivilisation » et « immigrationnisme » ne sont-ils pas devenus, en France, des mots officiels, prononcés par un chef de l’État pourtant élu, par deux fois, pour faire barrage à l’extrême droite ? C’était en 2023 et en 2024, après le discours de Bruges, dans la bouche d’Emmanuel Macron, Président d’une République dotée, à son initiative, depuis 2021, d’une loi contre le « séparatisme », autre mot qui divise et sépare, triant le bien du mal, opposant les bons et les mauvais Français, côté jardin contre côté jungle.
« La jungle repousse », The Jungle grows back en version originale : c’était déjà le titre, en 2018, d’un livre du néoconservateur états-unien Robert Kagan qui appelait l’Amérique à ne pas céder à l’isolationnisme mais à intervenir, davantage encore, militairement bien sûr, pour juguler ce « monde en péril ». Ce politologue américain ayant choisi de résider à Bruxelles, dont il fréquente les élites européennes, je ne sais quelle amnésie a conduit le socialiste espagnol à reprendre, presque mot pour mot, son refrain. « L’ordre mondial libéral est fragile et impermanent, écrit en effet Kagan. Comme un jardin, il est toujours assiégé par les forces naturelles de l’histoire, menacé de submersion par les lianes et les mauvaises herbes de la jungle. » À moins que le discours de Bruges, tel un lapsus, ne soit l’aveu d’un imaginaire commun, par-delà les étiquettes politiques : la même langue de la puissance, c’est-à-dire des intérêts économiques et des dominations étatiques.
Sous l’apparente bonne intention de critiquer les partisans d’une Europe forteresse, barricadée derrière de hauts murs, Josep Borrell témoignait donc de l’aveuglement persistant des tenants d’une Europe puissance, dictant sa loi en prétendant être dépositaire du juste et du bien. Portant la voix de la diplomatie européenne, il disait au monde que l’Europe n’accepte toujours pas qu’il ne soit pas à son image. Non seulement elle ne renonce pas à en avoir la maîtrise, en compagnie de sa projection nord-américaine, les États-Unis, mais elle persiste à penser qu’elle incarne la civilisation, la culture, le bien et le juste, face aux barbaries d’un environnement mondial où régneraient la sauvagerie, l’obscurité et le mal.
Or c’est ici qu’elle se perd et s’égare, tournant le dos aux valeurs d’humanisme, d’universalité et d’égalité dont elle se réclame parce qu’elle les a proclamées. Persistant à les démentir et à les trahir, c’est ainsi qu’elle s’éloigne du monde qui, désormais, invente dans sa diversité son propre chemin. Tant que l’Europe et, avec elle, son expression politique, l’Occident, n’auront pas renoncé à leur désir de puissance, ils fédéreront contre eux le ressentiment de tous les peuples qui, depuis cinq siècles, ont fait l’amère expérience de leur domination. Car la jungle dont le discours de Bruges s’alarme n’est autre que la nôtre, produite par l’aveuglement de la conquête et de l’exploitation. Et, loin d’être un modèle exemplaire, notre jardin fut le terreau des pires barbaries où, au nom d’identités supérieures à d’autres, fut commis le crime de génocide.
Primé par le Grand Prix du Festival de Cannes en 2023, La zone d’intérêt, film de Jonathan Glazer, nous emmène dans un jardin, entouré de hauts murs surmontés de barbelés qui le protègent de sa jungle. Un « joli petit jardin », pour reprendre la formule de Josep Borrell, dont prend méticuleusement soin la maîtresse des lieux, sélectionnant les plantes, éradiquant les mauvaises herbes. Un véritable « petit paradis de fleurs », selon les mots de son mari dans ses Mémoires, où « il y avait toujours quelque chose de nouveau et d’intéressant ». Cette jardinière, Hedwig Hoess, est l’épouse de Rudolf Hoess, le commandant d’Auschwitz, et ce jardin est celui de leur maison qui jouxte le camp d’extermination. En cinq années, dans ce qui fut le plus grand complexe concentrationnaire du IIIe Reich, y furent assassinés plus de 1 100 000 hommes, femmes et enfants, dont 90 % étaient juifs.
Nous ne sommes pas le jardin et le monde qui nous entoure n’est pas la jungle. C’est tout le contraire : notre jardin européen a inventé ses propres jungles barbares, celles de la destruction de l’homme par l’homme. Et tant qu’ils n’en auront pas tiré toutes les conséquences, l’Europe et l’Occident continueront de s’y fourvoyer. De s’y perdre, jusqu’à laisser revenir, voire laisser triompher, les idéologies criminelles et les forces destructrices qui, au siècle passé, ont plongé le monde dans la nuit. Nous ne conjurerons ces périls, ô combien menaçants, qu’en rompant avec cet imaginaire de supériorité et de puissance. En prenant la mesure des responsabilités de l’Europe elle-même dans les désordres qu’elle prétend conjurer. Et en refondant une Europe soucieuse de la fragilité du monde et du vivant.
Autrement dit, en promouvant un imaginaire radicalement alternatif, non seulement démocratique et social, égalitaire et humaniste, mais aussi écologiste, décolonial, féministe, anti-impérialiste, hospitalier, soucieux des minorités et des exclus, ne tolérant aucune discrimination, refusant de dicter sa loi au reste du monde. Sinon notre propre jungle sera de retour, ravageant les jardins du monde.
La suite en librairie à partir du 12 septembre. En voici la table des matières :
Adresse à l’Europe
1. Le discours de Bruges
2. La bataille du droit
3. Leur haine de l’égalité
4. Le renversement du monde
5. La question coloniale
6. Une villa dans la jungle
7. Les jardins créoles
8. Le triomphe de la mort
9. L’homme et la terre
♦
Pour prolonger, je vous propose de découvrir des émissions consacrées au livre : sur France Culture le 30 août avec Quentin Lafay et Marion Gaillard; sur TV5 Monde le 12 septembre en version courte avec Patrick Simonin; sur la Radio Télévision Suisse le 17 septembre dans La Matinale. Puis ces trois vidéos d’entretiens en longueur, suivies de captations de rencontres et conférences autour du livre :
Au Festival international de géographie à Saint-Dié, le 5 octobre 2024 :
Au Club de la Presse de Lausanne (Suisse), le 11 octobre 2024 :
Aux Rencontres Orient-Occident de Sierre (Suisse), le 11 octobre 2024 :
À Grenoble avec Attac et l'association ATLLAS, le 18 octobre 2024 :
À Roubaix, avec Pastel FM et l'association Rencontre et Dialogue, le 24 octobre 2024 :
À Montpellier avec La Carmagnole et la Librairie Fiers de lettres, le 25 octobre 2024 :