Fondé par Jean Maitron, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social (Editions de l'Atelier) est un monument que visitent tous ceux qui n’ont pas renoncé à l’espérance d’un monde meilleur ici bas. Mediapart s’est associé à l’hommage qui lui a été rendu à l’occasion d’une nouvelle livraison où figure la vie de son fondateur.
Organisée en décembre 2012 à la veille des congés et des fêtes à l’Hôtel de Ville de Paris et accueillie par Catherine Vieu-Charier, l’adjointe au maire chargée de la mémoire et du monde combattant, cette soirée a été filmée (puis montée) par Jeanne Menjoulet du Centre d’histoire sociale (CHS), centre de recherche universitaire avec lequel nous menons régulièrement des travaux de réflexion au croisement du présent et du passé (par exemple ici, là ou encore là, toujours sollicités par Antoine Perraud et, au nom du CHS, Françoise Blum). Ces vidéos sont désormais disponibles et vous pourrez donc, à la fin de ce billet, revivre cet hommage dans la diversité de ses intervenants (Claude Pennetier, Jean-Yves Mollier, Julien Hage, Bernard Stéphan, Didier Daeninckx – manquent Jean-Louis Robert, président des Amis du Maitron, et deux comédiens qui ont lu des morceaux choisis, Aurélia Puchault et Benoit Du Marcot).
Directeur du Maitron depuis la disparition de son fondateur, l’historien Claude Pennetier m’avait demandé d’associer Mediapart à cet événement et d’animer la soirée. L’occasion de cet hommage était la parution du Tome 8 de la nouvelle série du dictionnaire (de 1940 à Mai 1968) dans lequel figure justement la notice biographique du fondateur. En somme, Maitron dans « le » Maitron. Et, dans la salle, un exceptionnel brassage, impensable ailleurs, où se côtoyaient toutes les familles et traditions du mouvement ouvrier, des communistes aux socialistes, en passant par les trotskystes et les anarchistes, les croyants et les athées, etc.
J’ai expliqué dans mon propos liminaire ma vieille fidélité à cette aventure éditoriale hors du commun, commencée en 1955 par Jean Maitron (1910-1987), pionnier de l’histoire sociale en France. J'ai ainsi repris un passage de Secrets de jeunesse (Stock, puis Folio) où je confiais déjà, en 2001, les raisons de mon attachement à « ce monument immense et infini, qui nous permet de revisiter le mouvement ouvrier, ce continent émergé au XIXe siècle et aujourd’hui en partie englouti ». Parce que, écrivais-je, c’est « une collection d’histoire de vies ». Et qu’elle enseigne, par l’exemple, « l’importance du facteur personnel : tout est à gagner, rien n’est donné ». Car la force du Maitron, dès l’origine, fut de rendre leur gloire aux militants inconnus autant qu’aux célébrités, aux sans grade autant qu’aux personnalités.
« Infidèle aux canons du matérialisme historique, ajoutais-je alors, je dois confesser avoir toujours eu le goût de cette pédagogie par l’exemple où les défis prométhéens sont tissés de ce matériau ordinaire : des vies humaines, aléatoires et imprévues, misérables et grandioses, anecdotiques et légendaires. Ce penchant est moins apolitique qu’il ne paraît : face à la longue litanie des vainqueurs qui réquisitionnent l’Histoire – grande histoire où de grandes circonstances fabriquent de grands hommes –, seule l’invention permanente d’une histoire à petite échelle humaine est à même de sauver le souvenir des innombrables et modestes vaincus. L’histoire aussi est inégale, et les historiens qui ont choisi de travailler sur les territoires d’en bas le savent d’expérience, cherchant minutieusement les traces infimes sous les empreintes solides laissées par les mondes d’en haut. »
J’ai terminé mon intervention en évoquant une histoire qui m’est chère (évoquée déjà dans un autre billet), celle de cet « I am Spartacus ! » surgi de l’invention des scénaristes Howard Fast et Dalton Trumbo du Spartacus (1960) de Stanley Kubrick, dont Kirk Douglas fut à la fois l’acteur principal et le producteur engagé. Ce « Je suis Spartacus ! » est devenu une sorte de Sésame des révoltes solidaires, repris de séries télévisées en slogans numériques (lire ici une synthèse et là #iamspartacus, son usage sur Twitter). Il résume le moment où, quand Rome promet aux esclaves révoltés, non pas l’affranchissement comme je le dis par erreur dans mon intervention, mais d’échapper au supplice de la crucifixion s’ils dénoncent leur meneur, tous se lèvent, les uns après les autres, pour dire d’une même voix que Spartacus, c’est eux, chacun d’entre eux et eux tous, tous ensemble contre la servitude.
La séquence est insérée après mon exposé oral, à la fin de la vidéo ci-dessous, suivie de celles des autres interventions. Après les avoir visionnées, n’oubliez pas de vous rendre sur le site du Maitron, achèvement numérique d’une aventure imprimée qui, de notice en notice, de personne en personne, de vie en vie, avait pensé le lien hypertexte avant même qu’il existe. Vous y trouverez, dans des versions enrichies, les 130.000 notices publiées dans l’ensemble des volumes du Maitron. Et pensez à le faire connaître autour de vous ou à rejoindre l’association Les Amis du Maitron.
Présentation du Maitron par son directeur, Claude Pennetier:
Le Maitron dans l'histoire dans l'édition, par Jean-Yves Mollier, professeur d'université:
Les éditeurs engagés, dont notamment François Maspero et Jérôme Lindon, dans le Tome 8 du Maiton, par Julien Hage:
Les raisons d'un engagement éditorial, par Bernard Stéphan, directeur des Editions de l'Atelier:
Enfin l'écrivain Didier Daeninckx explique comment les figures militantes du Maitron inspirent son œuvre: