Nombre d'abonnés fidèles de Mediapart ont critiqué l'absence de couverture de la réunion publique de Ségolène Royal où, à Montreuil, le 10 septembre, elle a annoncé son «Contrat avec la Nation». Ma réponse, dans le fil des commentaires, était aussi une mise au point sur l'attitude de Mediapart face à la primaire socialiste. C'est pourquoi je la republie ici à l'adresse de tous nos lecteurs qui, tout en s'opposant au sarkozysme, sont, aussi bien, des électeurs d'autres formations politiques et sensibilités partisanes.
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Chers tous, quelques précisions en réponse à celles et ceux qui, sur ce fil de commentaires (les retrouver ici), nous accusent de défavoriser Ségolène Royal.
D'abord, si Mediapart couvre les enjeux de la primaire socialiste, nous ne couvrons pas chaque réunion publique, déplacement ou annonce des six candidats en compétition. Nous n'avons pas couvert la réunion de Ségolène Royal à Montreuil le 10 septembre tout comme nous n'avons pas couvert celle de Martine Aubry le 7 septembre à Toulouse (retrouvez sur leurs blogs de campagne respectifs, ici le meeting de Ségolène Royal, là celui de Martine Aubry). Les candidats ont leurs sites, leurs vidéos, leurs relais pour ce qui relève de leur communication. A nous d'ajouter autre chose que la simple reprise de leurs initiatives: nos analyses, nos reportages, nos enquêtes. A la différence des médias traditionnels et encore trop dominants, nous ne sommes pas les attachés de presse ou les porte-micros des politiques, quels qu'ils soient. Nous n'avons pas à entrer dans leurs stratégies de communication, et encore moins à l'époque du numérique où l'information institutionnelle circule toujours. Nos concitoyens attendent autre chose de nous, du moins s'ils sont exigeants envers eux-mêmes et la démocratie.
Ensuite, la primaire socialiste, d'un point de vue médiatique, est organisée dans un large mépris de la nouvelle presse indépendante que Mediapart, avec d'autres, représente sur le Net. Les trois débats annoncés entre candidats à la primaire ignorent totalement la presse numérique et participative – et surtout indépendante. Les seuls partenaires sont France 2, iTélé, LCP, Public Sénat et BFM (pour la télé), Le Monde, Le Point et Le Parisien (pour la presse écrite), Europe 1 et RMC (pour la radio). Lors de l'Université socialiste de La Rochelle, Daniel Schneidermann (qui était le seul professionnel invité en tant que tel au seul débat sur l'indépendance des médias) a, avec notre accord, proposé publiquement que Mediapart et @si organisent l'un de ces débats entre candidats. Cette proposition n'a pas trouvé preneur. Et aucun des six candidats n'a demandé qu'au moins, un titre de la presse en ligne indépendante soit présent à l'un des trois débats organisés avant le premier tour (lire ici sur le site officiel de la primaire les dates et les partenaires des débats de la primaire).
Enfin, s'agissant plus précisément de Ségolène Royal qui n'a jamais été ignorée, loin s'en faut, par Mediapart, faut-il répéter pour la énième fois qu'elle est la seule des dirigeants socialistes a avoir toujours décliné, depuis la création de notre journal, toutes nos demandes d'interviews? Quand nous avons organisé, en mai dernier, le premier débat des candidats alors déclarés à la primaire, elle est la seule à ne pas avoir donné suite, à la différence de Arnaud Montebourg, de François Hollande et du représentant de la direction du PS, Guillaume Bachelay, aujourd'hui soutien de Martine Aubry (lire ici le compte rendu par Laurent Mauduit, avec vidéos).
En d'autres termes, et c'est à la fois regrettable et incompréhensible, Ségolène Royal ignore superbement Mediapart et ses journalistes – même si nous savons bien (et de source très sûre!) que son équipe trouve nombre d'informations, d'arguments et d'idées en lisant Mediapart. Cette attitude vis-à-vis de la presse en ligne marque une sidérante régression par rapport à la tonalité participative de la campagne de 2006 qui, tout au contraire, pariait sur la dynamique du Net. A contrario, Arnaud Montebourg a compris cette nouvelle donne. Au lieu d'attendre en vain (cf. plus haut) que les journalistes de Mediapart couvrent bêtement sa campagne (les privant d'un temps précieux pour chercher des informations originales), il a récemment ouvert lui-même un blog dans le Club de Mediapart qui lui permet de mettre en ligne ses tribunes, analyses et réactions (voir son blog ici).
Tout cela pour dire que la gauche doit, elle aussi, apprendre ce que c'est que l'indépendance véritable de la presse, à l'heure des médias personnels, des médias participatifs et des sites interactifs. Non pas des journalistes qui vous arrangent, qui vous couvrent ou qui vous relaient. Mais des partenaires démocratiques à part entière dont l'indépendance doit être cultivée et la liberté respectée. Il faut en finir avec cette vision de journalistes sommés d'être embarqués, d'être "avec" ou "pour" et qui, s'ils ne le sont pas, sont voués aux gémonies ou traités comme des ennemis. Sinon pourquoi avoir combattu Sarkozy qui, lui-même, cultive cette relation avec les médias, d'instrumentalisation et de manipulation – si l'on n'est pas avec lui, on est contre lui?
Mediapart n'acceptera jamais ce jeu-là, et encore moins qu'on lui réclame de le jouer. Si nous nous opposons fermement, depuis le premier jour, sans autre soutien que nos lecteurs, à la présidence de Nicolas Sarkozy, ce n'est pas pour le remplacer par un(e) autre (hyper)président(e) plus fréquentable. Non, c'est pour que notre république change vraiment. Qu'elle devienne réellement démocratique et sociale.
PS (...pour Post Scriptum) : Ces rappels de principe ne valent évidemment pas jugement sur les propositions contenues dans le Contrat avec la Nation annoncé par Ségolène Royal (lire ici son texte intégral). Et nous avons bien vu qu'il s'y trouvait, formulée en termes très (et donc trop) généraux, une proposition, la troisième, qui rejoint notre combat pour l'indépendance de l'information. La voici: «Je créerai un Conseil Supérieur du Pluralisme pour protéger l'indépendance des médias. La liberté de la presse à l'égard des pressions du pouvoir politique et des puissances de l'argent sera garantie.» Toutefois, durant la lecture orale de ses propositions dans son discours de Montreuil, Ségolène Royal a ajouté après les mots «... sera garantie» cette précision: «...par la présidence de la République» (voir à la fin de la vidéo, ici).
Eh bien, non, ce n'est justement pas à la présidence de la République de garantir une indépendance des médias qui doit pouvoir vivre, s'affirmer et se développer indépendamment de cette présidence, voire contre elle. C'est le rôle de la Constitution, du Parlement, des contre-pouvoirs démocratiques. Si Mediapart, depuis l'origine, critique le sarkozysme, c'est parce qu'il marque l'aboutissement de ce présidentialisme qui mine la démocratie française et qui fait dépendre notre sort (et donc nos libertés) de celui ou de celle qui occupe le siège élyséen. Ce n'est donc pas en remplaçant un présidentialisme par un autre, son incarnation fût-elle plus respectable, que nous sortirons de cette spirale catastrophique.