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Billet de blog 12 février 2025

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L’hymne à la vie de Costa-Gavras

En salle depuis le 12 février, veille du jour anniversaire de ses 92 ans, « Le dernier souffle » est le vingtième long métrage du réalisateur Costa-Gavras. Comme tout son cinéma, ce film affronte une question éminemment politique, qui nous concerne toutes et tous : la fin de vie.

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Qu’est-ce que mourir ? Vraiment, concrètement, ordinairement. À hauteur de vie en somme.

Comment accepter la perspective irréfutable de la mort ? Comment vivre pleinement jusqu’à son dernier souffle ? Et, surtout, est-ce que la fin, la perte, la tristesse, voire le drame qui y sont associés, sont incompatibles avec ce propre de l’être humain qu’est aussi la joie, son humour, ses gaietés et ses légèretés ?

Devenues des enjeux de société de plus en plus débattus en raison de l’allongement massif de la durée de vie et face aux revendications d’un droit à mourir dans la dignité, ces questions philosophiques et spirituelles traversent Le dernier souffle, en sont la matière et en tissent l’intrigue. Des questions qui sont au cœur d’un débat parlementaire à venir autour d’un projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie ».

Mais, au-delà de leur évidente actualité, le film entend les subvertir pour interroger frontalement notre rapport à la mort. Dans le sillage de toute l’œuvre de Costa-Gavras qui n’a cessé de se saisir des urgences du présent pour en chercher la part d’éternité, ce vingtième long métrage du réalisateur donne vie et force à ce qui, d’ordinaire, se tait et se cache. Et, comme toujours avec Costa-Gavras, c’est l’action qui, ici, donne corps à la narration.

L’âge venant, un écrivain célèbre découvre qu’il est mortel avec l’apparition d’une tache sombre lors d’un IRM. À l’examen médical suivant, il fait la connaissance d’un médecin admirateur de son œuvre qui dirige une unité de soins de palliatifs dont il est le créateur. C’est alors que commence un voyage aux portes de la mort, le docteur entraînant l’écrivain à la découverte de la diversité des situations humaines qu’il affronte et de sa façon de les surmonter.

Dans une sorte de dialogue socratique contemporain, le docteur et l’écrivain discutent d’Eros et de Thanatos, de la vie et de la mort. Mais ils le font tout en étant emportés dans un tourbillon de visites et de rencontres, d’émotions et d’étonnements, de surprises, voire de sidérations. Ce ballet est un voyage sensible et souterrain dont le docteur est le guide et l’écrivain le passager. Non pas au centre de la terre mais au cœur de la vie.

Scénariste de son propre film, comme souvent tant il s’implique avec un soin méticuleux dans toutes les étapes de la création cinématographique – écriture, mise en scène, tournage, direction d’acteurs, montage –, Costa-Gavras a ainsi subverti le livre qui lui a donné l’idée de ce vingtième long métrage : un essai où dialoguent l’écrivain Régis Debray, fidèle compagnon de route du cinéaste, et le médecin Claude Grange, directeur d’une unité de soins palliatifs.

À l’enseigne de ce qui a fait la marque du cinéma de Costa-Gavras, Le dernier souffle veut émouvoir et, en même temps, réjouir. « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », disait Terence, et le cinéaste de même. Dans ce corps à corps avec la mort, Costa-Gavras reste fidèle à Z, ce film de 1969 qui l’a rendu mondialement célèbre, avec l’humanisme comme boussole politique : faire un cinéma qui bouleverse et, dans le même mouvement, nous revigore.

Porté par les deux acteurs principaux (Denis Podalydès est l’écrivain, Kad Merad le docteur) mais aussi par toutes celles et tous ceux qui accompagnent leur conversation, l’humour est ici le compagnon de cette pérégrination, un complice taquin qui ne nie en rien le tragique. Tout au long du scénario, la légèreté, loin d’être une échappatoire à la gravité, en est l’indispensable partenaire. 

En résumé, Le dernier souffle est un hymne à la vie, mort comprise.

Nul hasard, dès lors, si le final du film, tel que l’a inventé Costa-Gavras, nous emporte avec les paroles d’un poème de Jacques Prévert qui est resté dans sa mémoire de jeune immigré grec découvrant la France dans les années 1950, la Chanson des escargots qui vont à l'enterrement – en l’espèce d’une feuille morte :

… Mais ne prenez pas le deuil
C’est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l’œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C’est triste et pas joli
Reprenez vous couleurs
Les couleurs de la vie…

Merci, Costa-Gavras, de nous aider à vivre.

***

En toute transparence, je précise que je fais partie des indéfectibles supporters du cinéma de Costa-Gavras, dont l’œuvre a accompagné les engagements de ma génération. Je l’ai expliqué dans un livre, Tous les films sont politiques, après avoir mené des entretiens avec le cinéaste en bonus des coffrets d’Arte réunissant ses dix-huit premiers films.

C’est grâce à Costa-Gavras et à son épouse, Michèle Ray-Gavras, qui est aussi sa productrice, que j’ai fait la connaissance de Yannick Kergoat, qui a travaillé comme monteur sur nombre de films du réalisateur. Avec Yannick, nous sommes en train de réaliser une série documentaire de dix épisodes autour de l’œuvre-vie du cinéaste, « Le siècle de Costa-Gavras ». C’est cette amicale relation professionnelle qui s’est prolongée par la rencontre de Yannick avec l’équipe de Mediapart : le résultat est l’excellent Personne n’y comprend rien, ce film sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi qu’il a réalisé en collaboration avec Fabrice Arfi, Michaël Hajdenberg et Karl Laske, dont le succès ne se dément pas.

Enfin, vous êtes toutes et tous bienvenus à la projection du film Le dernier souffle, suivie d’un débat avec Costa-Gavras et Claude Grange, que j’animerai mardi 18 février à 20 h au cinéma Le Balzac à Paris (il faut réserver ici).