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Billet de blog 16 mars 2008

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Mauriac et le crime de silence

Le journalisme dit d’investigation, ou tout simplement d’enquête, qu’entend défendre Mediapart fait débat en France, y compris dans la profession. Au hasard de pérégrinations historiennes, voici une réponse inattendue à ses détracteurs…

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Le journalisme dit d’investigation, ou tout simplement d’enquête, qu’entend défendre Mediapart fait débat en France, y compris dans la profession. Au hasard de pérégrinations historiennes, voici une réponse inattendue à ses détracteurs…

Notre crieur de journaux nous ayant précédement emmené, via François Maspero et ses « Cahiers libres » inspirés de Charles Péguy, jusqu’aux années 1950, je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager une autre ancienne trouvaille qui remonte à cette même époque.

Il est vrai que je suis de ceux qui persistent à juger ces années essentielles par leur ombre portée sur notre présent. C'est, avec l’effondrement de l'empire colonial, la fin de cette grande France dont nénmoins l’empreinte traumatique persiste dans notre imaginaire. C’est, avec la guerre d’Algérie et la systématisation de la torture, une crise morale dont les leçons universelles sont, hélas, toujours d’actualité avec les errements américains de l’après-11 Septembre. C’est, avec la fin de la Quatrième République, l’avènement, sur fond de guerre civile, d’un présidentialisme institutionnel qui, depuis, n’a cessé de se renforcer et de miner notre culture démocratique alors même que son archaïsme est flagrant.

Alors, cette trouvaille ? Elle concerne le journalisme, ses nécessaires curiosités, ses exigences citoyennes. C’était avant même le début symbolique de la Guerre d’Algérie, avant la Toussaint de 1954. Pourtant, il s’agissait déjà de la colonisation et des crimes qu’elle tolérait, voire initiait, dans un démenti constant des valeurs officielles de la République française. C’est donc une citation, sous la plume d'une conscience qui, sur la question coloniale et sur le scandale de la torture, vit juste plus tôt que d'autres et le dit avec une force qui témoignait d'une grande jeunesse d’âme. Car, en 1954, il n’était plus tout jeune, François Mauriac (1885-1970), puisqu’il s'agit de lui. Académicien depuis 1933, prix Nobel de littérature en 1952, il tenait à l’époque son célèbre « Bloc-notes » dans un nouveau venu de la presse, encore frais et pas rangé, L'Express.

C'est ainsi qu'à la date du 29 mai 1954, après la saisie d'un numéro de l'hebdomadaire, on pouvait lire sous cette plume qui n'était pas vraiment radicale, cette réflexion qui n'a pas vieilli :

« Saisie de L'Express. Je doute s'il existe pour la presse un crime d'indiscrétion. Mais il existe un crime de silence. Le jour du règlement de comptes, nous ne serons pas accusés d'avoir parlé mais de nous être tus. »