J’étais, mardi 20 août, l’invité d’un jour de la matinale de France Inter pour un éditorial politique. Sujet : le séminaire gouvernemental sur la France de 2025 tenu la veille. C’est à écouter ou à lire ci après, agrémenté d’un post-scriptum inédit.
C’était il y a tout juste un an. François Hollande donnait le « bon à tirer » d’un petit livre de dialogue avec Edgar Morin, cet esprit libre qui a toujours bousculé la gauche. Le sociologue lui disait ceci : « On ne peut rétablir confiance et espérance que si l’on indique une voie nouvelle. Pas seulement la promesse de sortir de la crise mais aussi de changer la logique dominante. » Et celui qui, entretemps, est devenu président de la République lui répondait cela : « La politique ne se réduit pas à la bonne intendance de l’économie. On semble l’avoir oublié. Pendant les dernières décennies, la politique a trop abdiqué devant l’économique. »
C’est d’abord ce qu’il faut retenir de ce séminaire de rentrée : l’aveu que le nouveau pouvoir avait oublié cet avertissement. Qu’il manquait de vision, d’ambition, d’audace.... Bref, qu’il gouvernait au jour le jour. En somme, qu’il était tombé exactement dans ce piège qui menace toujours ceux qui sont aux affaires, piège sur lequel l’avait alerté le même Edgar Morin : à force de faire de l’urgence l’essentiel, on perd de vue l’urgence de l’essentiel. C’est pourquoi ce séminaire sur la France de 2025 n’est pas en soi une mauvaise idée. Un pouvoir qui réfléchit, qui débat, qui échange, ça nous change, et plutôt en bien.
Mais c’est alors que les difficultés commencent. Le séminaire s’est ouvert sur un rapport du Commissaire général à la prospective, Jean Pisani-Ferry. Or la prospective, c’est une fausse science ou une science faussée, comme vous voudrez. C’est cette croyance que l’avenir est écrit par avance, c’est cette illusion de puissance des supposés experts qui accompagne une conception verticale de la politique où le pouvoir d’en haut saurait toujours mieux que le peuple ce qui est bon pour lui.
La prospective se heurte à deux limites, et elles sont de taille. D’abord, elle oublie l’imprévu, l’improbable, voire l’impensable qui bousculent toujours ses plans. Et nous ne cessons de vivre avec cet inattendu, de la crise financière aux révolutions arabes, sans oublier notre cascade d’affaires et de scandales politiques. Ensuite, la prospective ne remplace pas le projet, c’est-à-dire l’imagination, cet horizon qui élève et qui rassemble.
Candidat – mais que ne dit-on pas en campagne électorale ! –, Hollande en avait souligné la nécessité, n’hésitant pas à dire : ceux qui ont échoué, c’est parce qu’ils avaient oublié le rêve. Oui, le rêve. Autrement dit, le dépassement de soi, le risque, l’ambition. Ce n’est pas un catalogue de mesures, c’est un horizon qui élève, qui emporte. Et là, c’est mal parti ! Car quand j’écoute, par exemple, le ministre de l’intérieur parler de nos compatriotes musulmans, de notre peuple issu des immigrations, de nos quartiers populaires, je me dis que ce sont plutôt le repli sur soi, la peur, le conservatisme qui l’emportent.
Bref, ce pouvoir manque d’une vision commune : comment rêver avec les uns si on cauchemarde avec Manuel Valls ? C’est cet horizon d’élévation qui fait toujours défaut à l’heure du nouvel âge démocratique ouvert par la révolution numérique, avec ses citoyens lanceurs d’alerte, acteurs d’une information participative sans frontières. C’est le principal oubli de ce séminaire : l’avenir sera d’abord ce que nous en ferons nous-mêmes, nous les citoyens.
L’avenir ne se décrète pas. Il s’invente par les luttes, les revendications, les résistances, bref en imposant nos propres agendas d’en bas à ceux qui nous dirigent d’en haut. Et c’est là que l’on retrouve l’utilité démocratique d’un journalisme indépendant qui, par ses révélations, ses enquêtes, ses nouvelles inattendues et indociles, est au service du peuple et de son droit de savoir.
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Post Scriptum : le cas Manuel Valls, au sens d’un cas d’école sur le brouillage de la frontière entre gauche et droite au profit de cette dernière, s’est aggravé depuis d’échos sur son intervention au séminaire gouvernemental. Il y aurait souligné trois défis pour la France des dix prochaines années : celui de l’immigration en raison de la démographie africaine (sic), celui de la compatibilité de l’islam avec la démocratie (re-sic) et celui des problèmes posés par le regroupement familial au bénéfice des travailleurs étrangers (re-re-sic). Pas un mot en revanche sur l’éducation démocratique des forces de police alors que circulait déjà sur les réseaux sociaux une vidéo montrant l’ordinaire de pratiques policières violant les droits élémentaires… Autour du cas Manuel Valls, on peut lire ici mon alarme anticipatrice de l’automne dernier et là mon inquiétude récente concernant le sort des musulmans de France.