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Billet de blog 24 novembre 2008

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L'offense de Sarkozy à la République

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Le texte qui suit est une chronique parue dans le numéro de Marianne daté du 15 novembre. Illustration du climat qui motive l'initiative de Mediapart et RSF, le 24 novembre, au Théâtre National de la Colline, je la reproduis ici, sans aucun changement.

Toujours inachevée, la République se construit ou se défend dans des combats symboliques. Demain, nous nous souviendrons donc que le citoyen Hervé Eon, chômeur de 56 ans et habitant de Laval, Mayenne, en a crânement assumé la charge, rempart symbolique face à la razzia indécemment privative du sarkozysme sur nos institutions et notre vie publique. Et, lecteurs de journaux, nous nous en souviendrons d’autant plus qu’on persécute cet estimable citoyen par l’instrument de la loi sur la liberté de la presse, en l’espèce détournée de son contexte et de son esprit.

Hervé Eon est cet homme solitaire qui, le 28 août dernier, sur le parcours du cortège présidentiel a brandi une ironique pancarte portant une simple citation de l’auguste petit personnage de passage : « Casse-toi pov’con ». Le 6 novembre, il a donc été reconnu coupable d’offense au président de la République et condamné à une amende de 30 euros avec sursis, à laquelle s’ajoutent 90 euros de droit de procédure exigibles de tout condamné pour un délit, réduits à 75 s’il les acquitte dans les trente jours. Ainsi en a décidé le tribunal correctionnel de Laval, dans un jugement mi-figue mi-raisin qui a au moins le mérite de brader les exigences serviles du parquet, lequel n’avait pas hésité à requérir une amende de 1000 euros.

Pourtant l’offense à la République que constituait l’énoncé de cette même phrase, au Salon de l’agriculture, par Nicolas Sarkozy, face à un autre citoyen qui refusait de lui serrer la main n’a fait l’objet d’aucune poursuite d’un quelconque procureur. Irresponsable pénalement, notre président peut insulter ou injurier à loisir tant, par un fait accompli constitutionnel, il ne risque rien, placé hors d’atteinte des magistrats pendant la durée de son mandat. Cette inégalité de situation rend d’autant plus contestables la multiplication, sous cette présidence, des procédures présidentielles visant l’insolence, la raillerie ou la satire, de T-shirts irrévérencieux à une poupée vaudou moqueuse, en passant par cette inoffensive pancarte.

Nicolas Sarkozy a donc ressorti du placard judiciaire où notre maturité démocratique l’avait relégué depuis plus de trente ans l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Au titre des « délits contre la chose publique », il sanctionne « l’offense au président de la République ». Ce délit est déjà une curieuse exception dans cette bonne loi républicaine : il ne souffre en effet aucune excuse ou preuve, à la différence de l’injure, qui peut être excusée en cas de provocation, ou de la diffamation, qui peut être couverte soit par la bonne foi soit par l’offre de vérité. Mais surtout son énoncé en 1881 se rapporte à une pratique institutionnelle à mille lieues de l’actuelle : c’était alors la chose publique que l’on protègeait au travers d’un président sans pouvoir, et aucunement la personne présidentielle, aujourd’hui totalement identifiée à une fonction aussi puissante qu’écrasante et extensive. 

Sur son blog, devenu le lieu de la résistance judiciaire aux abus du pouvoir, Maître Eolas a le premier souligné le « vrai problème de droit » que pose la réactivation de ce délit. « A occuper le devant de la scène, écrit-il, le président est devenu la proie des critiques les plus vives. Dans un pays où la liberté d’expression est reconnue comme un des droits les plus précieux de l’homme, comment peut-on faire bon ménage avec un délit qui punit toute offense, quelle qu’elle soit et sans possibilité d’excuse ? » Et cet avocat internaute de rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg avait donné le coup de grâce au délit d’offense à chef d’Etat étranger, aboli en 2004, en condamnant la France qui, en l’appliquant,tendait à « porter atteinte à la liberté d’expression », sans qu’aucun« besoin social impérieux » ne justifie cette restriction. 

Ce qui valait pour les chefs d’Etat étrangers vaut évidemment pour le nôtre : la véritable grandeur des puissants est d’accepter la satire et la moquerie ; et le rôle équitable de la loi est de rétablir l’équilibre en faveur des misérables qui, souvent, n’ont d’autre arme que l’ironie pour se défendre. L’orgueil mal placé de l’actuel tenant du poste nous abaisse et nous ridiculise. Il nous vieillit déjà : seuls De Gaulle (cinq fois) et Pompidou (une seule fois) avaient fait engager des poursuites pour offense. Dans Le Coup d’Etat permanent, François Mitterrand cite deux jugements drolatiques, remontant aux années 1960, condamnant l’un le citoyen Vicari pour un « hou hou » crié sur le passage présidentiel et l’autre le citoyen Castaing pour avoir crié « à la retraite ! » dans les mêmes circonstances.

En matière d’humour – mais la rubrique n’est pas exclusive –, le tenant de la prétendue rupture n’est qu’une vieillerie persistante – et tant pis s’il se sent offensé, bien au contraire.