Monsieur le Président
Cher collègue
Dans les universités du monde entier, les étudiants se mobilisent pour un cessez-le-feu à Gaza.
Ils ne supportent plus les massacres qui se poursuivent quotidiennement depuis plus de six mois : 35 000 morts pour l’instant, sans compter ceux que l’on retrouve dans des charniers, ceux qui reposent sous les décombres de leurs habitations, et ceux qui ont disparu.
Ils ne supportent plus la destruction systématique d’un pays et d’une culture, ni la complicité des puissances étrangères qui continuent à fournir des armes à Israël, alors même que la Cour Internationale de Justice les a mis en garde contre un risque de génocide.
Ils ont raison. Rien, même les attentats sanglants du 7 Octobre 2023, ne justifie un génocide. Dès le mois de Novembre 2023 l’AURDIP vous avait écrit en ce sens, et nos lettres du 17 novembre 2023 et du 4 février 2024 sont restées sans réponse à ce jour.
Les étudiants demandent que leurs établissements proclament leur solidarité avec les universités détruites, les étudiants et les enseignants assassinés, et cessent de collaborer avec les universités qui apportent un soutien moral et matériel au massacre.
Ces demandes sont réalistes et possibles : vous en avez donné l’exemple en 2022 en proclamant votre solidarité avec les universités ukrainiennes et en rompant toute collaboration avec les universités russes. Elles sont soutenues par nombre d’enseignants-chercheurs et de personnels administratifs. Il serait normal qu’elles soient portées devant les conseils d’établissement, et que ceux-ci puissent en délibérer et se prononcer. L’université jouerait ainsi un rôle exemplaire de démocratie éclairée. C’est justement quand les questions soulevées sont graves que les débats doivent avoir lieu et que les décisions doivent être collectives.
Au lieu de cela les étudiants se heurtent à une fin de non-recevoir. Les conférences sur la Palestine sont interdites sous prétexte de risque à l’ordre public, les soutiens à la Palestine convoqués par la police sous prétexte d’apologie du terrorisme, et les CRS appelés pour évacuer les campus.
Les universités ont toujours été des institutions collégiales, rassemblant enseignants, étudiants, et administrateurs. La collégialité exige que ces questions soient débattues dans les établissements et portées devant les conseils. C’est également la voie de l’apaisement. D’une part, elle désamorcerait les tensions avec les étudiants, qui seraient enfin traités en pairs et non en administrés, et d’autre part elle soulagerait les présidents, qui jusqu’à présent supportent seuls le poids des tensions et des pressions.
C’est dans ce sens que nous vous écrivons. Chez certains d’entre nous, le souvenir des événements de 1968 est encore vivace.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président et cher collègue, l’expression de ma haute considération
Ivar EKELAND
Président de l’AURDIP
Président Honoraire de l’Université Paris-Dauphine