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Billet de blog 1 février 2022

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Le classisme de la Primaire Populaire est un obstacle à ses objectifs

Electeur de gauche, j'ai choisi de ne pas voter à la Primaire Populaire. Ce billet a pour but d'expliquer ce choix en contribuant à pointer du doigt une dimension parfois occultée du projet de la Primaire Populaire, qui est, au sens exposé dans l'argumentaire ci-dessous, un obstacle à ses propres objectifs : son classisme sous-jacent, qui m'a définitivement rebuté.

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Le projet de la Primaire Populaire et les tentatives de ranimer les projets socio-démocrates mis au service d'une « transition » écologique et sociale dirigée par des CSP+, s'inscrivent dans un classisme sous-jacent. Une analyse réflexive et généreuse de la situation devrait les amener à se rallier à LFI, plus apte à mobiliser les classes populaires et abstentionnistes à l'élection présidentielle.

Electeur de gauche, j'ai choisi de ne pas voter à la Primaire Populaire. Ce billet a pour but d'expliquer ce choix en contribuant à pointer du doigt une dimension parfois occultée du projet de la Primaire Populaire, qui est, au sens exposé dans l'argumentaire ci-dessous, un obstacle à ses propres objectifs : son classisme sous-jacent, qui m'a définitivement rebuté.

Comme l'ont souligné de nombreux commentateurs, les expériences des primaires tendent à mobiliser les électeurs les plus dotés en capital économique et en capital culturel (voir par ex. l'ouvrage dirigé par Rémi Lefebvre e Éric Treille (2016)). Il n'y a, a priori, pas de raison de penser que celle-ci ne reproduise pas ce "cens caché" électoral dont parlent les politistes (fracture numérique oblige, il serait même possible qu'elle l'aggrave). On attend malgré tout les données numériques de ce scrutin pour se prononcer définitivement sur la question, dont ses organisateurs devraient, s'ils n'y ont pas encore pensé, rendre compte. Par ailleurs, souvent présenté comme un "projet citoyen" (auquel on adjoint parfois le terme "utopique") porté par la "société civile" dans un but "démocratique", un examen rapide (on l'avoue, un peu grossier) à partir du profil de ses membres des membres du comité organisateur de la Primaire Populaire tend à classer ces derniers dans la catégorie des CSP+. De même, les différentes formes de transition économique et sociale dont se revendiquent plus largement les candidats à la Primaire Populaire, sont porteurs d'une dimension classiste, ou bien niée, ou bien conscientisée par ces derniers sous la forme d'un engagement (dont on ne doute pas ici de la sincérité) surinvestissant le signifiant "social", terme qui peut recouvrir bien des réalités. On rappelle ainsi ici l'actualité d'une partie des critiques du "social" portées à gauche dans les années 1970 et 1980 telles que synthétisées par Jacques Donzelot (1979). Il faut ici mentionner la possibilité d'un usage anti-politique, au sens donné par l'anthropologue James Ferguson (1994), du terme, qui en ferait l'instrument de conservation d'une bureaucratie organisée apportant des pseudo-solutions techniques à des pseudo-problèmes techniques (comme le voudrait une certaine terminologie de l'exclusion et de l'inclusion sociale et économique, par exemple), tout en participant à la préservation des relations de domination. Cet avertissement vaut bien sûr également pour le terme "d'écologie".

On sait bien que, dans la pratique, les choses sont rarement aussi tranchées. Mais il faut bien voir que lorsque la Primaire Populaire parle des électeurs "de gauche" comme une masse indifférenciée aux intérêts communs, elle fait mine de ne pas voir que "la gauche" n'est pas une réalité dotée d'une essence transhistorique. Elle présente de "la gauche", au fond, une conception toute "anti-politique" : les solutions de la gauche devrait être résolues par les "experts" de la gauche (les représentants des partis) au travers d'une sorte d'union technique des intérêts par le biais d'un assemblage socio-technique soi-disant "neutre" : le mécanisme de la primaire. Cette solution aboutit de facto et comme prévu à la désignation de la candidate des CSP+, Christiane Taubira. Face à cette vision anti-politique, je propose ici de définir la gauche comme un processus historique et politique controversé d'alliance et de ruptures d'alliances entre dominé.es en vue de lutter collectivement pour l'émancipation universelle du genre humain. Le "programme" est à cet égard tout à la fois symbole et enjeu de luttes, opérant dans le cadre des élections comme une façon de délimiter ses ennemis et ses amis potentiels. "L'écologie" et le "social" tels que définis par le projet de la Primaire Populaire, et par un certain nombre de candidats -en attendant les programmes précis des unes et des autres- ne semblent pas porteurs d'une telle possibilité d'alliance aux autres programmes de rupture : bien plutôt, ils entérinent la perpétuité de la domination d'une classe sociale bien spécifique, par exemple, sur la définition légitime de "la gauche" (en excluant de facto les candidats révolutionnaires du processus, par exemple). Ce projet est arrogant dans l'inconscience de sa propre violence symbolique, insupportable aux yeux de celles et ceux qui souhaitent en finir avec le programme social-libéral/néo-libéral voire, néo-conservateur, du PS et d'une partie d'EELV des années Hollande.

Le programme de LFI a ses ambivalences et ses ambiguïtés, rappelées dans Mediapart avec par ex. l'entretien mené avec le politiste Guillaume Gourges : il ne s'agit pas ici de faire de LFI le "parti des dominés", même s'il a malgré tout bel et bien attiré à l'élection présidentielle plus de vote des employés et des ouvriers que les autres partis de gauche. Sa présence au second tour de l'élection présidentielle présente cependant, tant pour les avant-gardes social-démocrates que pour les avant-gardes révolutionnaires, les meilleures opportunités qui soient en vue de réinventer nos catégories d'action militantes et politiques, adaptées à l'ère de la prise de conscience des enjeux posés par "le Capitalocène" à "la gauche", entendue ici comme une possibilité politique d'alliance face à la triple catastrophe écologique, économique et politique que nous vivons. Comme je l'ai proposé dans un précédent billet, le choix de Jean-Luc Mélenchon pourrait bel et bien constituer un choix pragmatique conséquent pour tous les électeurs de "gauche", d'où qu'ils viennent, à l'élection présidentielle. A cet égard, les organisateurs de la Primaire Populaire, leurs électeurs/rices et leurs allié.es devraient considérer sérieusement que la seule option envisageable pour eux en vue de poursuivre sérieusement leur projet ("unir la gauche"), en faisant, au passage, la démonstration généreuse et désintéressée de leur capacité à réflexivement mettre de côté leurs intérêts de dominants, serait de se rallier par eux-mêmes au Parlement de l'Union Populaire. Ou bien, comme le propose un autre billet, de participer à fédérer la gauche autour d'un projet de constituante.

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