La défaite, hier soir, prenait presque des allures de victoire, titrait Le Monde ce matin. La consultation frénétique des résultats jusqu'à tard dans la nuit, et la déception au petit matin, m'ont laissé un goût d'inachevé, comme une parenthèse enchantée trop vite close. C'est dire qu'il y avait envie de gauche. J'y ai vécu un moment pur d'émotion politique : l'éveil d'une tentation de désirer un autre scénario, un autre résultat. La chute est à la mesure des hauteurs du transport (on s'y voyait déjà, en haut de l'affiche...) et il est à craindre que les règlements de compte sur les réseaux sociaux et dans les médias, en forme de décompensation d'une nuit trop courte (ou trop vite écourtée, c'est selon) n'occultent toutes les grandes victoires apportées déjà par le score réalisé à cette élection présidentielle, qui rappelons-le, a déjoué les sondages même les plus optimistes. Récapitulons :
1) presque trois points de plus qu'en 2017, avec seulement 450 000 voix entre nous et l'extrême-droite,
2) une mobilisation historique des abstentionnistes, des Outre-Mer, des quartiers populaires,
3) l'affirmation du "bloc populaire" dans l'espace politique, en position de faiseur de victoire au deuxième tour de l'élection présidentielle.
La clôture de la soirée par un discours sans faute de Jean-Luc Mélenchon, invitant d'un côté à ne pas voter pour l'extrême-droite, et de l'autre, "la relève" à prendre sa suite, "à faire mieux", constitue le point d'orgue de cette soirée de perdants magnifiques. Le grand risque, pourtant, demeure : celui de l'élection de Le Pen, qui se constitue aujourd'hui en tête d'affiche d'un "pôle anti-Macron". La réélection d'Emmanuel Macron constitue un autre risque, d'une autre nature, peut-être moins terrible, à tout le moins, moins définitif. En ce qui me concerne, je voterai probablement en sa faveur si la menace fasciste m'apparaît trop grande.
Et ? Est-ce tout ? Perdants, nous le sommes aujourd'hui, certes, obligés à des choix impossibles. Mais ce serait une erreur de penser que nous le sommes aux yeux des autres. Tous courtisent nos votes, tous s'obligent à des retours, des reculades, des embrassades contre-nature. Rien ne serait plus en notre défaveur, dans cette perspective, de reproduire les dynamiques sectaires qui animent les mouvements comme le nôtre, sortis de la marginalité le temps d'un coup d'éclat, pour retomber dans une ombre relative cinq années durant ensuite, par mauvais calculs et mauvais choix, en somme, mauvaise appréciation, de la responsabilité qui nous incombe en tant qu'acteur dominant (oui, dominant), mais pas tout-puissant, d'un bloc populaire. Nous avons rêvé à très grande échelle. Cette position nous impose un mélange d'humilité et d'usage raisonné de nos paroles : fortes de 22% d'un corps électoral, elles obligent nos interlocuteurs tout autant qu'elles nous obligent.
Malgré l'absence de victoire, l'enjeu est aujourd'hui le même, pour les acteurs de gauche désireux d'en finir avec le néo-libéralisme autoritaire, que lorsque je décrivais, dans mon premier article de blog, les raisons de mon vote pragmatique en faveur de l'Union Populaire. La situation demeure la suivante : il y a urgence face aux catastrophes et il nous faut parvenir à créer cet espace de rupture des vieilles structures à gauche, et l'ouvrir largement, généreusement, à celleux qui, dans leurs propres camps, sont tout aussi insatisfaits que nous des résultats, tant de la gauche, que de leurs candidat.es. Il fallait voir Alice Coffin à la télévision renvoyer les dirigeants EELV à leur propre médiocrité. Une grande erreur nous guette : celle de l'insulte indifférenciée des électeurs et des militants de ces camps, en faisant l'erreur de les considérer comme de simples pions dans des ensembles homogènes. Il faut ici, bien au contraire, faire preuve de finesse et de générosité, en bref, de distinction dans notre appréciation des responsabilités de chacun.es - charité bien ordonné commençant par soi-même, y compris des nôtres.
Mais il faudra rapidement tourner la page des règlements de compte, si l'on veut s'éviter cinq années de psychodrames et des mots qui risqueraient de peser d'un poids encombrant pour la suite. Voilà pourquoi il faudrait, à toute allure, occuper l'espace médiatique et ses passions en proposant immédiatement un programme de coalition pour les législatives fondées sur l'Avenir en Commun. Il faut imposer, comme l'a dit à juste titre Adrien Quatennens, une cohabitation. Nous avons besoins d'une majorité à l'Assemblée Nationale. La participation à ce programme majoritaire pourrait être proposée à toutes celles et ceux qui, en fin de course des négociations et des coalitions, accepteraient d'adopter un programme "Avenir-en-Commun"-compatibles. Cela devrait contenter, d'une part, ceux de l'Union Populaire les moins désireux au compromis ; de l'autre, les franges les plus amicales des forces politiques en présence, charge à elles d'imposer à leurs directions et à leurs candidats les orientations nécessaires, ou bien à en tirer les conséquences pour l'avenir.
Nous n'avons pas le temps de nous morfondre et/ou de passer notre temps à insulter les autres. Macron et Le Pen occupent déjà l'espace médiatique, avec leurs belles paroles, leurs mensonges. Imposons notre agenda, nos voix, nos paroles, nos problèmes. La plus grande réussite de cet entre-deux tours serait de parvenir à ne pas laisser d'espace aux deux candidats que nous considérons illégitimes. Ne laissons pas s'échapper cette opportunité. Continuons à rêver.