Celle qui consiste à dire que le droit à l’inclusion des handicapés n’a pu être possible malgré les bonnes volontés et que force est de constater- c’est du bon sens- qu’il faut les envoyer ailleurs, dehors, dans des lieux adaptés pour eux, « spécialisés », des lieux où ils seraient protégés. Des lieux qui permettraient d’écarter ces enfants « perturbateurs » qui représentent un danger pour les autres, empêchent les autres d’avancer, agressent et harcèlent les profs et constituent le principal problème qui se pose actuellement à l’école.
Ou celle qui consiste à faire le constat que l’école inclusive -ou plus justement l’école tout court- ne pourra advenir que si les « ailleurs pour eux» n’existent pas, que si les moyens alloués au « spécialisé » sont transférés à l’école, qui si l’on comprend que la violence réelle ou supposée des élèves handicapés – et non pas des handicapés, car ils sont avant tout des élèves -émane des environnements, qui sont violents pour eux, et que la première violence à leur égard est de contester leur place au sein de l’école.
Si vous êtes de ces enseignants qui disent : « je n’ai pas signé pour ça », vous vous êtes trompé de métier et c’est vous qui n’avez pas votre place à l’école.
J’ai passé ces deux derniers jours avec des collègues enseignants, y compris du « spécialisé », qui font, certains encore à tâtons, le deuxième constat. Ils se battent à travers leur syndicat, SUD Education, pour faire advenir cette école pour tous. Ils forment et aident ceux qui souffrent de cette école inclusive qui, aujourd’hui, est une hypocrisie et dont le but est d’amener tout le monde à rejoindre les rangs de ceux qui font le premier constat.
Dans ce stage de formation syndicale, il y avait L. Elle est enseignante auprès d’élèves polyhandicapés. L. nous a raconté, avec poésie, son cheminement pour aller à la rencontre de ces élèves. Outillée pour les accompagner d’un pauvre imaginaire validiste, elle les essentialisait et n’arrivait pas à les trouver réellement.
Alors que l’école inclusive, comme l’ensemble de la société, enjoint les élèves handicapés à « dépasser leur handicap », L. a compris, peut-être sans le formuler, que c’était à elle de dépasser son validisme car dépasser son validisme et son handiphobie est la condition première pour qu’une école pour tous advienne.
L. a exprimé son rejet initial à la vue de ces élèves qu’elle avait en charge. Elle a laissé son dégout, sa honte, sa culpabilité émerger.
Pratiquant des moments d’« inclusion » avec des élèves valides lors de la récrée, elle a compris que si ses élèves revenaient en classe agités, perturbés, c’est parce qu’à la récrée, ils subissaient des violences validistes. La récrée, était pour les petits valides ce moment de rencontre avec ces autres ségrégués, ces autres qui ne sont pas des leurs. Chaque élève handicapé trouvait sa stratégie pour s’accommoder des agressions de ses petits camarades valides. Le petit P., par exemple, acceptait de jouer à faire peur aux élèves valides qui le traitaient d’ogre.
Et nous, lors de notre stage, on s’est mis à rêver d’une école idéale, où l’on ne parlerait pas d’inclusion car l’inclusion suppose un groupe dominant qui a la prérogative d’inclure mais aussi celle d’exclure. On a rêve d’une école tout court, où chacun aurait son mot à dire, où personne n’essaierait de tirer la couverture à soi, sans prendre en compte les droits et les besoins des autres. Une école qui ne serait pas celle des évaluations, de la compétition, du tri, du choc des savoirs... et moi, je suis repartie de ce stage légère et un peu réconciliée avec le monde.
Texte écrit pour le CUSE ( Collectif Une Seule Ecole).