Elena Chamorro

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Billet de blog 17 mars 2024

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Latecomers

Arte présente la série Latecomers ainsi : « Peu de fictions osent s’emparer de la question de la vie sexuelle des personnes handicapées ». Figurez-vous que non. Ce sujet «  tabou » est l’un des sujets les plus abordés dès qu’on parle de handicap, même si ce n’est pas le sujet.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans cette série, tout est juste.

Tout y est juste, ou presque, à part quelques peccadilles pour les besoins du scénario. Tout est juste, à commencer par le titre, Latecomers : les derniers arrivés, les retardataires.

Si dans les milieux militants, défenseurs d'une lutte globale, on se donne pour consigne de ne pas comparer les oppressions, on peut quand même dire que la lutte anti-validiste y est la dernière arrivée et que même dans ces milieux, comme je le dis souvent, la conscience des oppressions s’arrête souvent au validisme.

Arte présente cette série australienne de la sorte : « Peu de fictions osent s’emparer de la question de la vie sexuelle des personnes handicapées ». Pardon, mais figurez-vous que non. Ce sujet « tabou » est l’un des sujets les plus abordés dès qu’on parle de handicap dans un film, une série, même si ce n’est pas le sujet. Le cul chez les handicapés, ça intrigue, c’est sujet à débat, ça questionne... ça dégoûte.

À la différence des nombreuses bouses sur le handicap, dans cette série, tout comme dans l’excellente Un mètre vingt, série argentine également disponible sur Arte, les scénaristes sont handicapés… et politisés. Ces deux séries sont, sans surprise, étrangères. En France, on a certes une série, Vestiaires - pour ne pas la nommer -, dont les acteurices handicapéEs participent aussi à l’écriture du scénario, mais il ne suffit pas d’être concernéE pour avoir un discours politisé. Une série racontée par une femme n’est pas forcément une série féministe, n’est-ce pas ? Ben voilà. Les quarante ans de retard en matière de handicap en France, c’est aussi ça : la conscience de l’oppression validiste, à commencer par celle des principaux concernéEs, et la place donnée (ou pas) à cette question dans les productions audio-visuelles.

Latecomers aborde les questionnements autour de la sexualité d’une jeune femme et d’un jeune homme qui ont, tous deux, une paralysie cérébrale. Tous deux sont obsédéEs par le sexe, victimes de l’injonction à perdre leur virginité, à avoir des rapports pour être "normalE", épanouiE. Dans ce but, il et elle sortent la nuit, l’une accompagnée de sa voisine Brandie - femme proche de l’âge de la ménopause et très portée sur la pratique sexuelle avec des jeunes hommes - et l’autre avec son colocataire, Elliot, un jeune homme "beau gosse" pour qui l’attachement affectif avec une femme est compliqué. (Hey, Arte, ce ne sont pas leurs « soignants », justement - modèle médical du handicap bien ancré en France, quand tu nous tiens !-).

Le colocataire de l’un et la voisine de l’autre s’envoient en l’air dès leur première rencontre, laissant en face à face les jeunes handicapéEs, qui finissent pas sympathiser. La fille, Sarah, accepte un rendez-vous avec le garçon, Frank qui, tout de suite, envisage de faire l’amour avec elle. Frank avoue être allé voir une travailleuse du sexe pour son anniversaire, ce qui effraie Sarah et c’est, entre autre, là que la série est juste. Il y a une vision genrée sur l’approche de la sexualité. En effet, la demande d’assistance sexuelle, quelle que soit la forme que celle-ci prend, émane essentiellement de mecs handicapés. Elle émane surtout d’un mal dont bien des personnes handicapées sont atteintes : le validisme internalisé. Aussi, lorsque Frank fait des avances à Sarah et que celle-ci le repousse, celui-ci lui dit, furibond, qu’elle ne trouvera jamais de mec prêt à l’embrasser et à avoir des rapports sexuels avec elle. Ainsi, si Frank est un mec handicapé qui perçoit le corps handicapé, son propre corps, comme un corps repoussant, il est aussi un mec, tout court, qui plus est sexiste, et pense donc que Sarah, femme handicapée, devrait se contenter du premier zig qui l’approche. Sarah, elle, refuse de revoir Frank après cette première rencontre violente.

Quelque temps après, elle se rend dans une piscine avec Brandie et, pour les besoins du scénario, elle dit qu’elle ne peut pas nager-ce qui est faux. Une paralysie cérébrale comme la sienne n'empêche pas de nager-. Elle tombe dans l’eau et Elliot, qui y est maître-nageur, la sauve. Je vous la fais courte : après ça, ils finissent par faire l’amour dans les vestiaires. La scène de sexe est filmée; tout comme dans Un mètre vingt, cette scène de sexe est sensuelle. Le corps de Sarah, qui a une scoliose, est beau car il est montré comme tel : un corps beau et désirable. (Pas de censure pour la scène de sexe « mixte » dans ces deux séries. Je me souviens encore du fondu en noir grossier du film espagnol Yo, también, dans lequel la protagoniste valide a du sexe, plutôt compassionnel, avec le protagoniste trisomique 21).

Frank, lui, se masturbe dans une autre scène, en regardant une photo de Sarah. Pas de pudeur dans cette scène, pas de regard voyeuriste non plus. Les représentations sont justes, on vous dit ! Il retourne voir une travailleuse du sexe avec sa bande de potes bien sexistes qui souhaitent que la scène soit filmée mais Frank finit par renoncer réalisant que ses potes sexistes sont aussi, ça va souvent ensemble, validistes et qu'ils cherchent à se moquer de celui qu’ils appellent, ironiquement, « le tombeur ».

La série comporte par ailleurs quelques scènes très drôles, parfois moins drôles, concernant des tests que Frank réalise sur du matériel et accessoires pour un public handicapé.

Pour en revenir à Elliot, après leur premier rapport, il veut poursuivre la relation avec Sarah. Sarah se protège. Elle sait ce qu’une relation valide-handicapée- peut représenter. La question du genre de chacun est aussi cruciale ici. Comment sera perçu leur couple dans une société validiste qui n’imagine pas qu’un beau mec valide puisse sortir avec une belle fille handicapée ? A-t-elle envie de cette relation, d’assumer ces préjugés sur leur couple ? Elle doute d’Elliot : A-t-il, à l’instar du protagoniste de La pitié dangereuse de S. Zweig, de la pitié pour elle. Est-ce ce sentiment qui l’anime ?

Je ne spoile plus… Regardez !

Description d'image : Une photo sur fond rose, dans un angle, un homme racisé à gauche, cheveux longs, t-shirt bi-color regarde une femme racisée, plus âgée, cheveux noirs et longs qui porte un débardeur noir et des jeans. Devant eux, à gauche, un homme en fautueil roulant, portant une casquette et des lunettes.il a un t-shirt bleu rayé et regarde une femme en fauteuil qui est sur le premier plan. Elle est brune, ses cheveux sont attachés, elle regarde la caméra. Elle porte un t-shirt orange et, par dessus, un débardeur à carreaux noir et blanc.

Illustration 1

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