Il y a quelques années, je racontais ici le cheminement qui a été le mien pour m’affranchir des discours qui délégitimaient mon désir de maternité me renvoyant à ma prétendue incapacité à être mère.
À la naissance de mon fils, comme je l’avais pressenti, la condamnation sociale de mon choix n’a pas tardé à s’exprimer, de multiples façons.
Ayant accepté la coutume d’ouvrir les portes de ma maison pour présenter l’enfant au monde, j’ai été soumise à nombre d’interrogatoires sur la façon dont j’allais m’y prendre quand l’enfant marcherait : « mais s’il tombe, tu fais comment pour le reprendre ? », « et s’il se met à courir dans la rue ? ». J’ai aussi entendu des prémonitions sur l’avenir sombre qui nous attendait : « là, ça va, mais le pire est à venir », « quand il va s’en rendre compte ! ».
Les tenants du suprémacisme valide tolèrent mal nos transgressions à leurs principes et à l’ordre naturel des choses ( le leur).
Convaincu-e-s de la surexposition au risque de l’enfant d’une mère foncièrement incapable , ils guettent, contrôlent, cherchent la faille, attendent la faute, comme cette employée de crèche dont S., une mère handicapée, raconte sur Twitter le zèle avec lequel elle accomplit sa mission:

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(Description d'image. Capture d'écran du compte Twitter de S. Lagjoue. Sa phot, à gauche. Elle est blannche, porte une casquette bleu et un masque. Le tweet date du 14 mai. On peut y lire: " Ah, tiens, j'ai oublié les question hyper intrusives aussi: " Y a des gens pour vous aider? Elle a des activités? Vous la sortez parfois? Elle a des jouets à la maison? Vous faites comment quand vous êtes seuls à la maison tous les trois? etc").
Pour l’alliance validiste, puissante, majoritaire, en tout point consensuelle, notre handicap sera l’explication au moindre problème, à la moindre difficulté de l’enfant, elle ira même en inventer des problèmes et des difficultés s’il faut !
Aussi, la plupart de femmes handicapées élèvent leurs enfants avec la crainte, loin d’être infondée, que leurs enfants leurs soient retirés.
À des twittos ablesplainers qui ont suggéré de tout simplement recadrer cette employée de crèche, S. Lagouje a rappelé quelques chiffres que nous avons bien présents à l’esprit, nous autres, habitantes de mondes parallèles qui leur sont inconnus:

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(Description d'image. Compte de S. Lagouje. On peut y lire: "Plus facile à dire qu'à faire quand un signalement de ces personnes peut nous faire perdre nos enfants. 33% des enfant d'handis sont placés, vous savez?").
Comme S. Lagouge et bien d’autres mères handicapées, quand mon fils était plus jeune, je craignais ce qui pouvait se jouer dans mon dos et comme la plupart d’entre elles, je me mettais une grande pression pour être une mère irréprochable étant consciente que toute « sortie de route » de ma part ou de la part de mon enfant pouvait nous être fatale.
Violence et auto-défense
On peut penser qu’intérioriser le validisme dans le cas d’un désir de maternité consiste pour une femme handicapée à renoncer à matérialiser ce désir du fait de l’assomption de présupposés validistes concernant le risque pour l’enfant : le risque d’avoir une mère incapable de lui apporter soins et protection, le risque pour certaines de lui transmettre leur maladie, leur handicap, le risque de n’avoir à lui proposer qu’une vie faite de malheur et de grisaille, le risque que l’enfant ait un jour honte de sa mère- propos tenus par un psy consulté sur conseil d’une maîtresse parce que mon enfant dessinait peu pour son âge-.
Cependant, intérioriser le validisme consiste aussi à tomber dans le piège de se justifier, de prouver sa légitimité et sa capacité en se surpassant. C’est à ce prix-là, en réalité, que la société du suprémacisme valide nous tolère et cela n’est pas réservé uniquement à notre rôle de mère. Les mêmes attendus de performance sont exigés dans tous les domaines dans lesquels nous nous aventurons et que cette société considère comme sa chasse gardée : travail ordinaire, logement ordinaire, école ordinaire…
Bien que convaincue de ma légitimité et de ma capacité à être mère, j’ai donc vécu moi aussi des moments de crainte, je me suis surpassée en refusant de l’aide pour prouver ma capacité, j’ai tenu bon au travail, malgré les difficultés, pour décliner mon identité, pour ne pas être essentialisée, pour avoir une caution de bonne conduite, au cas où.
J’avais beau me savoir légitime, je ne me sentais pas à l’abri d’un élément malveillant qui n’aurait pas de peine à se voir accorder du crédit.
Intérioriser le validisme est aussi avoir des moments de doute et retourner contre soi-même cette violence que la société nous fait subir.
Il y a quelque temps, j’ai reçu chez moi une femme paraplégique, enceinte de cinq mois, en pleine détresse. Cette femme est devenue paraplégique à l’adolescence. Elle m’a fait le récit d’une anecdote, enfouie dans sa mémoire, qui a refait surface alors qu’elle était enceinte.
Peu après son accident, elle était dans un centre de rééducation et une femme paraplégique était venue avec son bébé, dont elle venait d’accoucher. Après son départ, une infirmière qui travaillait dans le centre avait dit : « avoir un enfant quand on est handicapée est un crime». Ce commentaire, que cette femme avait oublié, était revenu la déstabiliser, lui mettre le doute, la désempuissancer pendant sa grossesse. Cette femme occupe pourtant, au plus haut niveau, un métier en lien avec la protection des enfants.
À toutes fins utiles
À celleux -souvent des inconnu-e-s- qui nous ont scrutées, épiées, qui se sont cru-e-s un jour en droit de nous demander : " comment vit ton enfant ton handicap ?", nous devons répondre:
« Moi, nous, nos enfants vivons mal votre validisme mais nous sommes déterminées à ne pas nous laisser faire et avons créé aussi une alliance ; elle est aussi puissante, tout comme la vôtre, et aussi en tout point consensuelle ».