Dans le livre enquête de Thibault Petit, « Handicap à vendre », un directeur d’ESAT ( établissement d’ «aide» par le travail) vantait les avantages de ses travailleurs comme suit :
« Plus de 175 travailleurs handicapés sont prêts à répondre à vos besoins à un coût défiant l’externalisation tout en vous permettant de réduire votre taxe AGEFIPH », « Leurs différences, leurs petits défauts sont, bien souvent dans le domaine du travail de sous-traitance (minutieux, répétitif, taylorisation) un réel avantage », « Ne déviez-vous jamais du travail fixé par votre chef : eux non ».
Dans un article sur ce livre publié dans la revue Dièse, Cécile Morin écrit au sujet des ESAT : « le patronat du XIXe siècle n’aurait pas parlé autrement de l’intérêt d’employer des enfants dans l’industrie : main d’œuvre quatre fois moins coûteuse que les adultes, particulièrement docile, dure à la peine et pourvue d’une surprenante dextérité ».
J’ai repensé à ce patron et au commentaire de Cécile Morin après avoir écouté les propos de Caroline Mansical dans un entretien pour France 3.
Elle s’exprimait à propos de l’ouverture prochaine à Aix-en-Provence d’un restaurant présenté comme extraordinaire. Le restaurant va employer, je cite : « des personnes porteuses de handicap mental» (on ne sait pas, en revanche, si elles porteront leur handicap sur le même plateau que les petits plats qu’elles vont servir).
Comme vous pouvez le constater, les Café Joyeux, que j’ai déjà eu l'occasion d'évoquer dans ce blog, font des émules. Tout comme pour eux, pour le restaurant aixois, l’embauche de personnes handicapées fait partie de l’argumentaire de vente.
L’ interview en question est visible et audible ici à partir de la minute 16. Je retranscris ci-dessous les propos de Caroline Monsincal, porteuse, elle, de ce projet.
La vidéo commence par la voix en off d’une journaliste :
« Ce projet est porté par cette Aixoise qui considère ces personnes comme une chance face au manque de main d’oeuvre dans la restauration »
Caroline Monsincal s'exprime ensuite:
« On voit ici comme elles s’épanouissent et donc elles sont assidues, rarement malades, toujours le sourire et, en plus, il y a quand même des aides de l’État qui sont intéressantes, donc, ce serait vraiment une réponse aux problèmes de recrutement ».
Les personnes handicapées mentales seraient ainsi une chance, faudrait-il peut-être dire une aubaine, car elles font un boulot que les valides boudent. On suppose que, contrairement à eux, comme elles s’épanouissent dans ces boulots, elles sont assidues. Une aubaine, on vous dit ! ( Et merci, gentils patrons de leur offrir cette opportunité d’épanouissement ).
Il est connu par ailleurs que les « simples d’esprit » sont heureux. Ces personnes affichent donc un sourire béat en permanence.
Et cerise on the cake, si tu es un gentil patron qui fait sa BA en embauchant une personne handicapée, l’État te file une ristourne.
Donc, patrons gentils et malins, n’hésitez pas : embauchez du handicapé mental dans la restauration, mais n’oubliez pas la recette : concentrez-les tous au même endroit, exotisez-les, essentialisez-les, faites-en un argument de vente. Il y a de grandes chances que tout le monde vous trouve extraordinaires, vous aussi.
P.S. J’oubliais, si les Café Joyeux donnent à leurs handicapés le sobriquet d’équipiers joyeux, le restaurant aixois les surnomme, lui, les pierres précieuses. Plus qu’une aubaine, ce sont des diamants bruts !
