« C’est une pièce qui parle de l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap », m’a-t-il expliqué.
Je l’ai gentiment – je crois - envoyé paître et me suis dirigée à l’endroit où j’étais attendue.
Je n’ai pas eu les mots justes pour répondre à l’invitation du comédien. Je n’ai pas pu non plus expliquer en détail aux artistes et auteurices que j’ai rencontré.e.s en quoi cette proposition théâtrale était, à mes yeux antivalidistes, problématique. Alors, qu’à cela ne tienne. Les réseaux sociaux m’offrent une seconde chance.
Tout d’abord, l’histoire :
« A la suite d'un accident de voiture, Clémence perd l'usage de ses jambes. Pour renouer avec son corps et sa sexualité, elle fait appel à Antoine, accompagnant sexuel. Mais au fil de leurs rendez-vous, la relation évolue : Antoine devient non seulement un amant complice, mais aussi une oreille délicate. Touché par l’humour et la sensibilité de Clémence, il se laisse gagner par des sentiments qui dépassent le cadre posé. Conscient d’avoir franchi une limite, Antoine décide de mettre fin à leurs rencontres. »
L’autrice, Clotilde Cavaroc explique dans la vidéo de présentation du spectacle :
« J’ai choisi une femme en situation de handicap pour le personnage principal pour montrer la vulnérabilité des femmes en situation de handicap dans l’intimité, ce qui expliquerait en partie pourquoi elles sont sous-représentées dans les demandes d’accompagnement sexuel ».
Je ne sais pas en quoi le fait qu’une femme handicapée fasse appel à un travailleur du sexe montrerait sa vulnérabilité dans l’intimité, à moins que l'autrice ait voulu dire que les prédateurs sexuels peuvent profiter de la pseudo-formation d'accompagnant sexuel pour pénétrer dans l'intimité des femmes handicapées, mais je pense que ce n'était pas tout à fait son but de montrer cela. Par ailleurs, ce qui explique que les femmes soient sous-représentées dans les demandes d’accompagnement sexuel « spécialisé » est tout simplement que, à l’instar de la prostitution classique, la demande de sexe est essentiellement masculine et les accompagnant.e.s sexuels majoritairement des femmes. La fiction de Cavaroc correspond donc peu à la réalité.
Dans cette même vidéo, l’autrice évoque un documentaire sur une femme, assistante sexuelle, qu’elle a visionné pendant le confinement. Elle qualifie la démarche de cette assistante sexuelle d’altruiste. Le sexe tarifé avec des hommes valides relève-t-il de l’altruisme ? Si ce n’est pas le cas, en vertu de quoi le sexe tarifé avec des hommes handicapés serait donc altruiste pour ne pas dire « charitable » ?
La metteuse en scène, Elise Noiraud, explique ensuite que Claire, personnage principale de l’histoire, est assignée à résidence à cause de son handicap. Pour être tout à fait précise, les personnes les plus assignées à résidence sont celles qui sont enfermées dans les institutions spécialisées, où exercent les assistantes sexuelles, comme on le voit dans le documentaire évoqué par l’autrice. Et ce sont des choix politiques validistes et non leur handicap qui les assignent à résidence. Ces institutions spécialisées gérées par des associations gestionnaires d’établissements soutiennent l’accompagnement sexuel contrairement à la majorité des associations anti-validistes.
La prétendue nécessité d’un accompagnement sexuel spécialisé s’explique donc d’une part par la perception des corps handicapés comme des corps repoussants avec lesquels le sexe ne peut être envisagé que comme un acte altruiste ou thérapeutique et d’autre part par la relégation de ces corps repoussants hors des espaces de sociabilité.
S’exprime à son tour la comédienne (valide) qui joue le rôle de la femme handicapée. Le fait qu’un comédien valide joue un personnage handicapé c’est du crip face ou cripping up et ça aussi est problématique. Je l’ai déjà expliqué ici et ici. La comédienne dit avoir travaillé la gestuelle pour être au plus proche et le plus respectueux possible des personnes handicapées. Le plus respectueux en tant que comédienne aurait été de laisser aux comédiennes handicapées incarner leurs propres rôles ( iels ont la gestuelle incorporé, en plus. C'est tout bénef). On sait qu’une comédienne peut tout jouer mais on en reparle le jour où l'on pourra en dire autant d’une comédienne handicapée ?
Le comédien, lui, convoque ensuite toute la rhétorique validiste autour du handicap. Il parle d’histoire « forte », « bouleversante », du sexe des personnes handicapées comme un sujet « tabou ». Personnellement, j’ai vu pléthore de films, émissions, articles sur la sexualité des personnes handicapées, à supposer que celle-ci existe comme une modalité de sexualité à part qui mériterait une réponse à part ! S’il existe un tabou autour de la sexualité des personnes handicapées, c’est bel et bien celui qui consiste à les envisager comme des partenaires sexuelles sur un plan d’égalité.
Lorsque je suis moi-même devenue handicapée, un collègue qui, avant mon accident avait essayé de me draguer sans succès, s’est permis de me suggérer de trouver quelqu’un, en le payant éventuellement, pour redécouvrir mon corps. Je suppose qu’il aurait pu se dévouer lui-même à la tâche, même gratos, histoire de me rendre service.
Bref, dans la fiction validiste proposée par Clotilde Cavaroc, l’amour entre Clémence et son « assistant » ne semble pas envisageable. Est-ce le cadre posé par son métier que l’« accompagnant » transgresse en tombant amoureux de Clémence ? Est-ce le cadre posé par l’imaginaire validiste de l’autrice? L’assistant sexuel pouvait-il donner suite à une histoire amoureuse avec une femme déclassée puisque devenue handicapée ? Apparemment non.
P.S. Sinon, les auteurices validistes, occupez- vous un peu de vos culs, ça nous fera des vacances et laissez place aux récits sur nos vécus racontées par nous- mêmes. Vos conneries ne sont pas sans dégâts, tout particulièrement sur concerné.e.s elleux-mêmes dont certain.e.s finissent par intérioriser les préjugés et stéréotypes véhiculés dans vos fictions validistes.