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Billet de blog 27 mars 2018

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Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas, hommage à Arnaud Beltrame

Nos larmes et notre colère n'ont jamais été vides de sens. Elles ont coulé pour Charlie. La liberté. Elles ont coulé pour Toulouse et l'Hypercacher. La fraternité. Le Bataclan et Nice, l'égalité, la jeunesse et la vie. Elles coulent aujourd'hui pour la terre, le courage et l'honneur.

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A Jean, Hervé, Christian et Arnaud

On dit qu'un silence particulier précède toujours les tempêtes.
C'est ce silence qui était sur la France samedi 24 mars 2018 au matin.
A nouveau nous attendions. 3 morts déjà, des blessés, et nous étions tous suspendus à un dernier fil de vie.

Puis le décès d'Arnaud Beltrame a été annoncé et le fil s'est brisé. Et cette perte est irremplaçable pour son épouse, ses parents, sa famille, ses proches, ses collègues à qui nous ne pouvons offrir que notre émotion et notre solidarité entière, comme nous les offrons aux proches de Jean Mazières, Christian Mevdes et Hervé Sosna.
Peu de chose en regard de la perte d'un être cher.

La mort du colonel Beltrame offre par contre un espoir infini à la Nation.
Elle marque un tournant, nul ne s'y trompe, le pays fait corps, en bloc, les antagonismes se taisent, le discours change, les voix s'élèvent, récupérations, victimisations, ou instrumentalisations ne passent plus.

Nos larmes et notre colère n'ont jamais été vides de sens.
Elles ont coulé pour Charlie. La liberté.
Elles ont coulé pour Toulouse et l'Hypercacher. La fraternité.
Le Bataclan et Nice, l'égalité, la jeunesse et la vie.
Elles coulent aujourd'hui pour la terre, le courage et l'honneur.
Mais pour la première fois depuis longtemps, le visage qui s'étale encore et encore sur nos écrans n'est pas celui d'un lâche et obscur assassin mais un visage lumineux, sévère ou souriant, qui regarde au loin, confiant.
Pour la première fois nous avons un visage qui n'est pas celui d'une victime mais d'un sauveur, un visage auquel nous nous identifions.
Pour la première fois le nom qui est sur toutes les lèvres n'est pas celui d'un traître à la patrie.
Les Français aujourd'hui se sont trouvé ce qui leur a tant manqué, ce que tous leurs dirigeants ont échoué à leur proposer, un modèle et un héros, qui leur rend l'honneur et leur indique le chemin.
Ils l'ont compris instantanément, instinctivement, ils l'attendaient depuis si longtemps, depuis si longtemps ils subissent la honte et la rage, en plus de la douleur.
Et ces Français, qu'on dit râleurs, rebelles, indisciplinés, irrespectueux, pas patriotes, ont comme un seul homme pris le chemin des gendarmeries pour fleurir le drapeau et témoigner de leur affliction et de leur respect.
Face à tous ceux qui n'ont proposé à leur colère que des bougies et des nounours, des hommages hypocrites et des pleurs, quand nous souhaitions nous battre.
A ceux qui n'ont su que larmoyer, trembler, négocier, plier, dans une vision d'autant plus terrible qu'ils étaient les représentants élus de la Nation, ou ceux qui au contraire ont brandi des haines archaïques et stériles.
A ceux qui n'ont proposé à la face du monde qu'une vision humiliante et désastreuse du pays, d'un pays qui a peur et qui doute, qui n'aurait plus foi en ses valeurs, plus confiance en son histoire, le lieutenant-colonel Beltrame, en un seul geste, certes extrême, a dit stop et a effacé tout cela.
Face à celui qui disait que notre pays était fini car il n'avait plus, contrairement à l'ennemi, d'hommes capables de mourir pour lui, le colonel Beltrame a opposé le démenti le plus cinglant et le plus porteur d'espoir.
A ceux qui osaient parler en notre nom dans les médias et face au monde en disant « la France a peur », le lieutenant-colonel Beltrame a dit « non ».

Nous n'avions jusqu'à présent, pour nous présenter une créance de sang, que les champs de tombes de jeunes gens de 20 ans dans les cimetières normands ou ailleurs, qui nous hantaient quand nous doutions, en criant « liberté ».
Non qu'il n'y ait eu d'autres héros, ne nous y trompons pas, des militaires de Toulouse au conducteur du scooter de Nice, du policier de Charlie, de la policière de Montrouge aux américains du Thalys, du jeune et héroïque Marin aux anonymes du Bataclan qui ont protégé leurs proches de leur corps, tous se sont levés et ont fait leur devoir.

Mais la symbolique ici est forte.
Car celui qui se lève aujourd'hui le fait en pleine lumière, il le fait en protecteur de la Nation, conformément à sa mission, il le fait dans le calme, la réflexion et l'engagement.
Dans la noblesse du consenti.
Il le fait au nom de son engagement professionnel, de son engagement vis à vis du pays, celui de servir. Un mot que nous avons oublié.
Il le fait, et ce n'est pas anodin, dans une petite ville de province, presqu'en campagne, et autour de lui, il y a le boucher, arrivé trop tôt au travail, le viticulteur et le maçon. Foudroyés par la même haine.
Il y a la France éternelle, le petit peuple et le terroir.

Et tout à coup, l'hypocrisie des visages institutionnels, les ballets des voitures officielles, les deuils de façade, les épaules tremblotantes des ministres, le business qui reprend derrière, l'audimat, les ors de la République où l'on se réfugie sans attendre, tout ceci tout à coup devient une caricature grimaçante qui n'est plus supportable.

Le colonel Beltrame nous rappelle où est la beauté et la grandeur. Et du même coup est cruel avec ceux qui jouent au héros, qui font semblant, trichent, pauvre petit garçon jouant à Top Gun.
Le colonel Beltrame n'a pas «donné sa vie», en agneau sacrificiel, dans une mystique que certains essaient de nous vendre. Nous n'avons pas besoin de messie, encore moins en toc, n'en déplaise au locataire de l'Elysée.
Arnaud Beltrame s'est mis en danger, a pris un risque, calculé, professionnel, pour sauver des vies. Tout ce que nous savons de lui, son expérience professionnelle, son courage, plusieurs fois noté, nous donne le sens de son acte sans aucun doute possible : protéger, sauver et prendre le risque, il n'y a aucun doute à avoir sur son geste, sur le fait qu'il ait voulu saisir une opportunité de sauver, non une vie mais plusieurs, y compris celle du terroriste en le neutralisant.
Aucun «sacrifice» vain, aucune ostentation, mais le sens profond de ce qui doit être fait, au péril de sa vie.

Ses proches l'ont très bien expliqué. C'est un homme de devoir, tout simplement. Il considère qu'il n'a fait que son travail. D'homme, de républicain et de militaire.
C'est ce message qu'il nous porte.
Faites votre devoir. Tous. Pas plus, pas moins.

Le colonel Beltrame ne nous offre pas un modèle guerrier ou civilisationnel.
Chrétien, maçon ou gendarme, il est tout cela bien sûr mais il nous offre avant tout un modèle humain, universel.
Qui risque, défend, combat le mal, protège le plus faible.
Il est sans haine, debout, fort, déterminé mais sans haine. Il nous propose juste de ne plus subir.
Arnaud Beltrame n'est pas une victime, pas un martyr non plus. C'est un homme qui fait son devoir et le fait bien.
A la différence de celui qui se met en scène, dérisoire, de la pyramide du Louvre au Taj Mahal, il ne se veut pas modèle, ne pose pas, il est, il fait, humain, simple, évident, vivant.
Il nous donne par sa mort ce qui nous manquait, nous l'attendions, ce qui nous permettra de nous unir et de vaincre.

Car enfin il s'agit bien de cela. Tous nous savions. Le danger, l'échéance, le point de non-retour qui approchait.
Tous nous parlions d'union nécessaire, d'heures sombres où la liberté du pays était déjà menacée. Et pourtant.

Comment faire bouger des hommes et des femmes de toutes convictions, de toutes orientations politiques, qui n'ont jamais connu l'extrême, la guerre, la faim, la peur et qui, partant, ne connaissent plus le prix de la liberté et l'impératif de l'union ?
Comment parler patrie ET liberté, universelle, comme trouver le commun entre anars et militaires ?
Comment se lever, comme un seul homme, pour la République, pour cette « Marianne au sein  nu » qui nous attend ?

Nous l'avons fait pourtant. Une fois déjà. Un 7 janvier. Tous ensemble, sans réfléchir, sans hésitation, contre l'obscurantisme assassin déjà.
Et ce jour-là aussi il y a avait un homme qui, entouré de ses pairs, avait défié le monde au nom de la liberté.

Très différent du colonel Beltrame. Et pourtant si proche.
Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas.
Un qui pensait aussi que la liberté méritait, non pas de mourir, mais de risquer sa vie.
Un qui disait « C'est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. »

Aujourd'hui aussi, au risque d'être "un peu pompeux", nous devons nous lever.

"Nous entrerons dans la carrière quand nos ainés n'y serons plus …"
Pouvons-nous être Gainsbourg et Beltrame ?
Pouvons-nous être Charb et Jean Moulin ?
Renaud et flic ?
Brassens et pandore ?
Bardot et Simone Veil ?

La réponse est oui.
Car, précisément, c'est cela, la France.

Levons-nous et faisons notre devoir. Au péril de nos vies.
Il est temps, et la liberté a un prix.
Hommage aux héros.

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