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Billet de blog 20 avril 2016

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"LE GRAND MALENTENDU" (écho)

En arborescence à l'article de Faïza Zerouala éponyme [ https://www.mediapart.fr/journal/france/200416/nuit-debout-et-les-quartiers-populaires-le-grand-malentendu ], à partir du fil des commentaires.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Encore sur la tête du clou "banlieues-quartiers/convergence",

réflexions et témoignages :

Une spécificité marseillaise est qu'il n'y a pas de "banlieue", c'est ce que signifie précisément "quartiers". L'entreprise de bêtonnage urbain pour bagnoles et ressources humaines en transit "Euromed", a commencé par nettoyer l'immédiate proximité du centre ville touristique et bancaire des "quartiers" populaires anciens. Les quartiers "modernes", c'est à dire les barres de cages à lapin des années 60++, dits "quartiers nords", sont dans l'enceinte de la ville comme le 12° ou le 20° sont dans Paris. Et côté urbanisme et public rien à voir avec Croix de Chavaux ou St-Denis Basilic, ici c'est carrément bolognaise ; imaginez la cité des 4000 à la Courneuve, ou les coins les plus pauvres de Stains, en plus délabré, plus crade, plus lisiblement déshérité, vous aurez une idée de ce qu'on appelle "quartiers nords". On y parle aussi plus ou moins tout à fait bien le Français mais avec encore plus d'accents, dont une présence bien plus notable de l'Espagnol et de l'Italien dans l'Arabe.

Dans les cités du 93, comme ici, comme le note quelqu'un plus haut, de toute façon c'est un peu "nuit debout" tous les jours depuis l'ennui des temps, il n'y a pas grand chose d'autre à foutre. Et on ne se prive pas d'y lire et d'y conchier le monde, rassurez-vous. On ne "revendique" qu'une chose, en faisant le moins de remous possible : que la police continue de laisser tourner l'économie parallèle locale, qui arrange bien la vie d'un peu tout le monde finalement mieux que la CAF, à bon entendeur salut. Par contre si ça tourne à des confrontations violentes sur le terrain social, il y des chances pour que ça devienne nettement plus cinématographique qu'ailleurs*. Peut être, peut être, les "banlieues" comme les "quartiers" ne "convergent" -ils pas parce qu'ils sont totalement insensibles aux demi-mesures, et ne désirent pas laisser déborder leur propre rage de ces réalités de façons qui pourraient mettre en péril leurs familles, de par les relations de pouvoir et les rapports de forces internes autant qu'externes. N'oublions pas que les musulmans sont les premières victimes du terrorrisme islamique, dont en France par la magie de l'urbanisme social les réseaux peuvent passer par leurs voisins de palier sans qu'ils soient davantage au courant que la DGSE... ou ne se sentent pas vraiment des âmes de lanceurs d'alerte martyrs qui feront sans doute "couac" dès le premier commissariat vu leur propre gueule de terroriste évidemment, et "couic" dès la sortie sans que même Médiapart ait eu une chance de connaître ne serait-ce que leur nom, surtout dans des bleds où la mer est profonde sous des rochers escarpés. "Les pieds sur le béton la tête dans les étoiles" disait Mais Ote Ces Tongues, "les pieds dans le béton la tête dans les poissons" on l'a vu dans des films, c'est d'une portée moins politique sauf si Cousteau est là. On a fait semblant de faire tomber Michel Tomi pour qu'il se trouve libre d'agir pour la Françafric, mais ça doit laisser pas mal de petits artisans compétents et outillés au chômage aussi, cette faillite, qui ne demandent certainement qu'à faire remonter leurs PME en SA internationale. Je pense ne pas fictionner très loin du réel, fictionner c'est un truc typiquement marseillais aussi mais la Sardine a bel et bien bouché le port.

* Souvenons-nous de l'assaut du GIGN rue Fontaine à St-Denis. Il se trouve qu'une association dont je suis très proche a son siège là bas, dans l'un des immeubles jouxtant celui qu'occupaient les terroristes, et que la mère de mes enfants y est restée enfermée toute cette nuit là dans son bureau dont le mur était mitoyen du champ de bataille. C'est venu compléter par l'expérience la mémoire de la Guerre d'Espagne de ses immédiats aïeux Maranes fuyant le Franquisme en barque vers le Maroc, croisière thalassothérapeuthique à la faveur de laquelle une grand-tante fit une ménopause subite à l'âge de 35 ans. Une bonne année avant la nuit d'éclate du GIGN m'a-t-elle ensuite rapporté, le restaurateur tunisien de la rue lui avait dit, au fil de je ne sais quelle conversation, "les caves de la rue sont pleines d'armes". Voilà longtemps que c'est une banalité de le dire communément à propos du 93, comme à propos des "quartiers" ici. Ce n'est pas forcément toujours faux. Les armes on sait rarement si c'est de la fantasmagorie parano, et qui les détient éventuellement, avant qu'elles ne servent. On peut deviner que leurs détenteurs ne souhaitent pas que se produisent sur leurs territoires ou trop près, trop de remous susceptibles d'attirer des colonnes de CRS.

D'autre part, quelqu'un dans le fil nous montre que "la petite bourgeoisie des Nuits Debout" n'avait pas "convergé" avec les quartiers populaires (dans toute la matérialité urbanistique du terme) durant les "émeutes des banlieues" de 2005, envers lesquelles le jugement porté depuis les fenêtres, s'il avait sa part de partage normalement sensible de conscience et d'indignation, n'allait pas pour autant jusqu'à en justifier et soutenir, encore moins physiquement, le mode d'expression comme on dit avec une angélique pudeur aujourd'hui.

Je reçois d'un Camille proche avec qui on partage tout ça depuis longtemps, ces "réflexions sur la violence", à quoi je réponds : ces réflexions sont d'une justesse implacable en relation à un objectif principal des Nuits debout, qui est le retrait de la loi El Khormri, dans le rapport réel et actuel aux "Forces de l'Ordre" sur le terrain Franco-français. Leur limite est de poser les choses dans les termes d'une projection de processus plus globalement "révolutionnaire", sans poser alors la question d'un rapport de force violent avec une armée de métier dotée d'équipements modernes de guérilla urbaine (dont il y a des chances qu'on ne connaisse que les pubs les plus spectaculaires).

Pour en revenir au "grand malentendu" :

J'insiste à lier souvent Keny Arkana, pour ce qu'elle symbolise de 2006 à 2013 environ, justement un enthousiasme quasi mystique pour la convergence des luttes mondiales en une sorte de "classe des émancipations/abolitions pour une communauté du vivant". Je pèse ces mots (repris du site de Patlotch).

Qu'on prête attention à ce film documentaire, que K.A. a évidemment pu réaliser avec les tunes gagnées de son succès au lieu de les planquer en Suisse pour se construire une piscine dans le ciel, et visiblement sans beaucoup d'investissement superflu dans la forme (sauf le talent du montage musique/voix, ma foi c'est l'art maîtrisé de son genre, que de construite des bonnes boucle simples sur des flows d'accentuations naturelles maliennes, anglaises, latinos, asiatiques...).

Emblématiquement je dis : regarder et prendre au sérieux ce docu comme écouter les rap de K.A. au même degré qu'une conférence de Lordon sur le néo-protectionnisme ou de Stiegler sur le pharmakon, ou de Bourdieu sur la misère sociale, c'est déjà le premier pas d'un minimum de respect dû à ceux dont on prétend connaître et dire leurs vérités mieux qu'eux-mêmes, et en plus pour les "défendre" et les "sensibiliser" (!!!!!!!!!!).

Cette parole est issue plus précisément d' ici à Marseille, dans la foulée musicologique et idéologique d'un rap particulièrement musical et conscient depuis son origine, depuis le niveau le plus dur des trottoirs des "quartiers" en un métissage particulièrement emblématique.  à la  fois ethno-religieux, culturel et de trajectoire sociale (la page Wiki fait l'impasse -probablement de sa propre volonté que je transgresserais donc ici- sur un emblème -certes à plusieurs tranchants- : la filiation métisse de K.A. entre l'Argentine catholique et le Maroc musulman). Le discours mondialiste de K.A. invoque les sources d'une conscience planétaire unie qui transcenderait horizontalement j'ose dire, les castifications de classe (j'ose dire aussi) comme "petits bourgeois conscients / prolétaires", "grands intellectuels  / griots analphabètes", autant que les racisations, ethnicisations, religiosisations (ce qu'on trouve aussi dans le Reggae)... Cette transcendance horizontale lèverait les populations planétaires exploitées et conscientes, fraternelle et unies, en réponse à l'offensive de réalité conduite au cœur dur du réel par le processus capitaliste ultra-libéral d''exploitation de la ressource neuronale autant que musculaire que nous subissons. Que d'espoir, que de générosité, que d'amour, dans ces chants de coryphée portés à une telle exaspération! J'en ré-écoute inlassablement tout ce que j'en trouve, en ce moment, plutôt que de la musique perse, malienne, pop ou baroque ou jazz selon mes habitudes habituelles, pour la force qu'elle me donne!

"Elle symbolise ce discours" ; c'est à dire que c'est moi qui symbolise là péremptoirement en la citant, d'accord, y a de quoi charcoter, je suis preneur, mais d'abord je milite avec elle et au moyen de ce matériel qu'elle nous fournit, c'est un parti nettement pris.

La question de fond serait de savoir en quoi, en quelle masse, elle représenterait (au sens politique comme au sens de "mimesis") cette "transcendance horizontale" au niveau d'un rapport de force mondial réel ; on constatera inévitablement que la parole, la musique, la communication en général par média interposé, n'est ni une membrane osmotique (peut être une sorte de hublot) entre des classes et des sous-castings de classes forclos dans leurs histoires locales et mondiales, ni un vecteur de mot d'ordre efficace à lever réellement des foules. Rien de neuf. Mais en tout cas la question de qui est mis en demeure de représentation en quelque sorte par ce discours, ne se pose pas, c'est ce "qui" même qui s'énonce comme narrateur fondamental de son discours. Et justement son docu est pertinent dans son objectivité à faire le tour de la planète pour y trouver partout, dans toutes les langues et quasiment toutes les classes et sous-castes, des mouvements populaires portés par le même axe de transcendance horizontale en actes. C'est précisément l'axe majeur de son militantisme, que de construire par son discours une histoire, un récit, d'une classe consciente et projective de ses luttes et de leurs finalités dans une perspective de mondialité, axée sur l'Histoire séculaire des luttes ouvrières et de toutes les révoltes d'esclaves ou de serfs. Dans beaucoup de ses texte apparaît une allusion au moins, de la place de sa parole entre un passé et un futur de classe en termes de luttes et d'objectifs, quand ce n'est pas le sujet même qu'elle rappe à sa moulinette de savante diseuse d'aventure. Peut être n'a-t-elle pas lu Karl (moi fort peu) mais elle en a certainement assez entendu causer par des gens qui n'en causaient pas plus mal que mes propres profs d'éco et de phi politique de contrebande (outre ma propre famille en flux permanent, ce furent surtout un instit de primaire qui avait été résistant, et en terminale une prof d'Histoire, communiste résistante également et rescapée, arrêtée en 1945 juste à temps pour échapper à la qualification pour la finale en camp).

Mardi nuit je me suis encore retrouvé sur le Cours-Ju avec des Camilles d'une origine très lisiblement bourgeoise dans leurs tenues vestimentaires autant que du langage et de l'accent. D'une parfaite générosité ils et elles discutaient de comment "sensibiliser les quartiers nord". J'ai seulement dit "c'est plutôt à nous d'aller prendre des leçons là bas", et puis j'ai préféré m'écarter pour jouer du blues un peu plus loin, trop de vapeurs de moutarde commençaient à me picoter les narines, j'allais devenir vraiment désagréable. Et je me marre, je me marre. Et lui ausi je pense à lui, et je me marre. pffffffffff.... "sensibiliser les quartiers".... oh petit, t'i'es bieng gentil mais tu te fatigues trop et c'est contagieux, là, vé...

En ce qui concerne précisément, ici sur Mars, l'auto-organisation des luttes sur des terrains de la vie quotidienne concrète dans les quartiers, il faut aussi regarder cet autre docu de K.A. à propos de "Capitale de la culture / Euromed". Tout est dit, dans ce docu : la réalité de plans d'auto-organisation solidement tissés, et leur rapport à l'institué dont "les nuit debout" font, du point de vue des quartiers et des banlieues, intégralement partie en tant que sa doublure en quelque sorte. Les militantes françaises d'origine algériennes qu'on suit dans le film -ou leurs sœurs aujourd'hui- ont été le "contact" pour l'accueil de la nuit debout au quartier des flamants demain samedi 22 ; le contact a été bon, toutes leurs ramifications associatives du terrain devaient rassembler et participer matériellement, faire une chorba populaire, autour de la projection de "Merci patron". Mardi dernier j'ai appris des organisateurs que les asso s'étaient retirées, sans davantage d'explications. "Je ne sais pas, peut être qu' elles ont subi des pressions" dit Gueraldt... outre leurs positions dans le mini docu de K.A., cf mes propos d'ouverture.

"Bref", voilà ce que je crains d'entendre dans le silence de K.A. depuis le début de ce mouvement : "on est déjà tombé de haut quand à "la convergence", on n'est jamais que restés là où on sait qu'on est, merci, on sait très bien où ça se trouve et depuis très longtemps, on sait aussi se défendre tout seuls avec un peu plus de moyens et de détermination que vous, viens pas me faire chier avec ta mauvaise conscience on a déjà donné casse toi de mon soleil l'éclipse est déjà bien assez totale sans toi va porter ton spleen ailleurs merci j'ai lu Baudelaire et on a des délires d'humanité plus profondément ancrés depuis bien avant vous, c'est toi qui est sourd, dommage t'as laissé passer le coche et c'est encore moi qui suis tombée". Parmi les discours de "convergence vers" et de "malentendu avec", ce silence est pour moi la voix la plus puissante et la plus tragique qui me parvienne (mais ce n'est peut être que ma voix intérieure, vous l'aurez compris).

D'autre part :

On dit à la louche "bobos", "moyens-petits-bourgeons déclassés", on se trouve en pleine confusion à définir un "prolétariat" et non moins pleine confusion à parler de "malentendus" entre {on-discute-pour-savoir-qui-qu'est-ce-qu'on-est-mais-qu'est-ce-qu'on-est-beaux} et des "quartiers" et des "banlieues" avec nos problèmes psychologiques à mesurer la valeur des bananes avec le poids des éléphants sur la conscience...

Pourtant y a un truc tout simple, déjà, qu'on a étrangement du mal à entendre il me semble, peut être parce que c'est, comme le bruit des saturations et distorsions plein tubes comme en hard rock, tellement fort que les ingés son deviennent sourds les premiers :

  • Les "bobos" sont en grande part les enfants des "prolos" des 30 glorieuses, qui ont pour ce bref laps de temps profité d'un rapport de force institutionnel avantageux dans une négociation social-libérale du fait de la position géostratégique de la France. Bref les parents français des français français (dont les ancêtres proches n'étaient pas pour autant automatiquement "gaulois" -les miens étaient Italiens, soit "Ritals" avant de s'intégrer-), aujourd'hui stigmatisés comme "bobo", ont bénéficié des acquis sociaux concrets qui sont précisément en chantier de destruction systématique progressive en accélération exponentielle depuis la réintégration de l'OTAN. Les "bobos", c'est pas une "bourgeoisie" même petite. Peu de propriétaires parmi eux -nous-, ou bien sous hypothèque Goldman Sachs, beaucoup de précaires du travail, bref : retour à la case départ en 2 générations c'est évidement le point de convergence le plus objectif. C'est une sorte de "haut prolétariat européen" dans sa majorité je suppose, conscient d'être en cours de re-déclassement quasi à son origine manufacturière déréglementée telle que l'ont décrite Karl et Victor. C'est précisément la destruction des structures de l'Etat social-démocrate qui nous ramène le point de vue à hauteur de nous lire nous-mêmes schyzophréniquement non plus à l'horizontale, mais de haut en bas comme des précarisés en même temps que de bas en haut comme des "bourgeois" (ce qui n'est pas une mauvaise chose du tout, car c'est une réalité matérielle stricte en regard d'un précaire Centre-Africain, et je mesure là trop facilement au plus profond de l'abysse).
  • Les "défavorisés" des quartiers/banlieues, par contre, sont en majeure part les enfants de la ressource humaine coloniale importée dans les années 50 en Algécos comme le nom l'indique -mais ça ne fait pas honneur aux indochinois ni aux maliens et autres sénégalais qu'on a tirés d'ailleurs-, sur les territoires non réglementés par la législation française du travail des bassins houillers de Moselle et du Nord et sur la Plaine St-Denis en particulier, à Marseille depuis 2 millénaires. La sous-classe colonisée des parents importés par pleins avions-cargo militaires, a fourni une part majeure de la force de travail de la reconstruction de l'infrastructure et de la production industrielle de base de ces glorieuses décennies dont le haut-prolétariat européen a profité un moment. Eux, par contre, n'en ont jamais profité en retour, dès l'origine de leur importation en tant que ressource coloniale. Et pas davantage à partir du moment des indépendances de leurs pays d'origine, où ils sont devenus des "immigrés" accablés du reproche d'être venus manger le pain qu'ils ont été sur-exploités à faire cuire et dont, en raccourci allégorique, les familles restée sur les territoires d'origine continuent de fournir la farine.

Niveau conscience de classe, il y a peut être quelque chose comme une vieille fissure tellurique majeure. Oui, c'est déjà décliné certainement dans ce fil et ailleurs dans ce journal, mais peut être pas au bon niveau. Quand on se met à trop loucher sur la psychologie individuelle des intériorisations idéologiques, on risque de perdre de vue des données fondamentales du réel des pouvoirs "d'achat" et a minima de sauvegarde des vies, c'est un coup à se retrouver sous neuroleptiques comme Antonin Artaud ou Allen Ginsberg à moins d'en finir comme Maïa avec Kowsky, charcotez c'est offert.

D'autant que, pour s'enfiler à partir de la base socio-politique ainsi ouverte sur la problématique de la confrontation violente, pour beaucoup d'arrivés plus récents mais aussi pour d'anciens intégrés ayant de la famille encore proche dans les territoires d'origine, la référence du niveau de violence de la confrontation d'un idéal de Justice à une oppression, c'est le nuage de phophore blanc davantage que la lacrymo, le missile ciblé sur l'hôpital davantage que la grenade au plâtre jetée au hasard, le char à l'assaut et le M-16 à raffales lâchées sur ordre contre des masses de population, plutôt que le canon à eau et le ciblage individuel alléatoire des matraquages d'innocents ponctuels sous "bavures"....

Et de nouveau je demande ce qu'on veut au juste quand on parle de "sensibilier les quartiers". Je me contente de dire "le rapport de force n'est pas en cette faveur sous les proclamations d'héroïsme gauchiste"... ça aussi, on a déjà donné, surtout les petits bourgeois de la "génération 68" qui avaient aussi un degré d'engagement physique face aux force de l'ordre un tantinet plus photogénique encore que notre place de la république récente bien que ce fut en noir et blanc et pris de plus loin, sécurité oblige. Au point quand même de réussir à entrainer le prolétariat à produire un bon mois de privation quasi totale d'essence à Paris et de beaucoup d'heures d'électicité, et à convaincre De Gaulle, qui n'était pas un amateur en la matière, vu que de remplir des salles entières de blessés des deux bords à la Salle Pétrière dans des conditions au secret mal gardé ne suffisait pas, à rappeler les divisions de char de l'est vers les portes de Paris.

Je n'ai prétention ni à jugement ni à vision tactique ni stratégique, aucune. Si l'on voit quoi faire de tout ça qu'on me le dise, j'avoue attendre Godot avec de moins en moins de visibilité horizontale au sein du nuage de l'information.

J'ai quand même envie de jouer un peu au vieux con, et de dire que "l'histoire même récente nous montre qu'on n'obtient pas grand chose de plus que ce qu'il était sans doute prévu de négocier dès le départ à moins de priver Paris d'essence et de rameuter les divisions de char à ses portes, on est loin du compte les petits, faudrait morfler encore pas mal pour ça, si c'est pas pour ça que vous allez chercher les quartiers c'est pas la peine, allez juste fumer là bas c'est super cool du point de vue partage humain, vous n'avez encore rien compris au film". Mais je suis moi même incapable de monter au feu, j'avoue que l'âge est une bonne excuse, et surtout je n'ai pas du tout du tout envie de pousser mes gosses à remplir des salles plus grandes ailleurs qu'à la Salle Pêtrière, dont le secret serait mieux gardé et l'information mieux maquillée en soins humanitaires d'abord, et encore moins de conseiller d'envoyer au feu ceux qui sont déjà des bouc-émissaires!

Je n'ai vraiment mais vraiment pas envie de feu et de chaos mais, Anne ma soeur Anne je sais que l'herbe à l'horizon de nos jardins n'est pas bleue comme une orange mais plutôt crâmée, j'aimerais mieux être carrément un Ivoirien, dont l'aveuglement est légendaire, ou un Béninois, pour qui tout est moins grave, et on ne m'ôtera pas de l'idée que celles qui chantent le mieux le Temps des cerises, c'est les griottes. Le chaos est déjà sur nous, papa c'est encore loin New York tais toi et nage, on survivra sauf les morts, la seule race dont il y a de plus en plus et qu'on peut pas empécher de proliférer comme disait l'autre. Vous voyez, je suis optimiste.

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C'était la réflexion ou qu'on appelle ça comme ça vous chante, voilà du témoignage, désolé pour les afficionados overbookés du pépiement en post-it je ne suis pas photographe :

à Marseille samedi soir dernier, Cours Julien (tout Marseillais qui lit sait déjà tout ce que ça veut dire) : la nuit était bien debout, comme la nuit est toujours bien debout les samedi soirs dans tous les coins de toutes les villes où il y a des cafés avec des terrasses, c'est à dire beaucoup assise, sur des places aménagées avec fontaines et espaces de jeux pour les enfants, au sein de quartiers piétons anciens bien rénovés mais pas trop non plus, avec un vendeur de Kébab, un café, un espace culturel "alternatif" tous les 30 mètres, ouverts jusqu'à minuit ou 2h. Le triangle de la rue de la Roquette, en gros, pour les parigots, en moins bourge quand même. Et forcément sont là ceux qui peuvent se le payer et qui ont envie d'être là (c'est pas trop des vieux ni des lycéens), et beaucoup de ceux qui ne peuvent pas se le payer sont là aussi pour profiter un peu des restes (assez généreusement partagés d'ailleurs il faut le dire), d'autant que "les quartiers" c'est pas "la banlieue", c'est pas si loin.

La différence d'avec les autres samedi soir, c'est qu'au centre du Cours s'était posé dans sa scénographie naturelle le forum de l'AG, dans une déclivaison de la place propice à accueillir naturellement cette disposition. Les terrasses, au-dessus et autour, étaient aux premières loges, bondées, et un parterre de gens debout dont beaucoup attendant une place en terrasse encerclait les assis de la Nuit Debout.

L'A.G. a été super. Il y en a qui veulent créer une coopérative marseillaise de collecte et de distribution de nourriture. Ca c'est vraiment bien. D'autres, carrément une monnaie locale, c'est encore plus bien. Les enfermés sous camisole chimique en psychiatrie ouverte et les handicapés en fauteuil étaient là, eux aussi, pour dire qu'ils sont traités pire que des chiens, j'ai trouvé ça vraiment génial si j'ose dire. J'ai pris la parole, j'ai craché mon monné, j'ai harrangué les cibles politiques communes, redit les évidences mondiales de l'exploitation de la ressource humaine, interpellé l'idée de Justice... tout le monde ne pouvait être que d'accord, ça m'a gratouffié le Sens dans les poils un instant, j'ai eu le sentiment fort d'avoir fait un bout du devoir que m'impose mon éthique, en pleine conscience de mon ridicule assumé de bouffon qui nique sa race et ses détracteurs de toute façon.

Et comme tous les jours, pas seulement le soir et pas seulement les samedis, il y avait là le bout de quartier précaire Africain occupant son pré carré habituel, derrière le point d'émission de parole central de l'hémicycle du forum mais pas tellement en retrait, dans un espace assez contigu. B.A. a pris le micro, il n'en aurait pas eu vraiment besoin mais ça l'a bien surligné, campé droit comme une statue de commandeur bien qu'un peu carrément allumé, du haut de son 1m90 il a abjuré la jeunesse de rester droite dans ses bottes sur son propre chemin, dans un flow de puissance du genre Gladiator vraiment impressionnant. (On comprend mieux quand on sait qu'il est officier supérieur réfugié. Ca il ne le dit pas au micro, c'est venu tout simplement en parlant un peu de la vie. Je ne lui ai pas demandé sous quel drapeau il servait puisqu' il n'avait pas jugé bon de le dire, ça viendra en son temps ou pas.)

Et puis l'AG a bougé, une petite colonne Anti-fa est partie manifester devant le local du FN, la foule sur le Cours s'est brassée en petits groupes de discussion mobiles, dans cette ambiance magique des petits moments historiques exceptionnels riches de rencontres au sein de l'Humanité partagée qu'on arrache parfois aux comportementalités usuelle. Mais partagée entre qui?...

Un cachet d'aspirine dans un sceau à charbon ça ne pose aucun problème au charbon, c'est même bienvenu si ça ne prétend pas donner des cours comme d'autres le répètent dans le fil, ou faire la charité (c'est pareil)**. Ca n'en pose au cachet d'aspririne que s'il en a déjà, mais quand on est le seul du tube dans lequel on vient de clamer un idéal de Justice Planétaire à se trouver naturellement mélé au sceau à charbon, on se pose des questions. Mais je fais le naïf. J'avais déjà bien connu ça à St-Denis, c'était carrément poilant : au départ de la manif pour l'habitat en 2013 (juste après mon expulsion mais j'étais encore à St-Denis chez des amis), un groupuscule de vieux communistes blancs très municipaux historiques en chien de fayences devant un groupe aussi important de vrais squateurs noirs en grosse galère locale, avec au moins 4 mètres de no one's (but me) land entre les deux (j'avais été heureux, avec Fatima ou Faïza je sais plus, complètement youyoutante et mes vocalises perchées on a fait un buzz du diable sur tout le trajet en métro, une autre gratouillification dans les poils du Sens, toujours bon à prendre). Cette question est l'évidence même pour qui a quelque notion vécue du ras du trottoir et de l'absence absolue de ressource sur une période un peu conséquente, dans le regard de tous les autres sauf "la famille" quand elle ne se regarde pas qu'à sa couleur ni à sa religion, c'est à dire le plus largement fréquemment.

D.K. me dit ça très bien, après un temps de présentation réciproque et d'accordage du mode sur une conscience des réalités mondiales fondée dans l'Histoire et dans l'économie avant l'actualité. Il est ballaphoniste et danseur, il me dit ça à travers une belle allégorie poétique (je ne donne pas dans le folklore, je raconte des faits) :

Il me montre d'un geste circulaire les façades aux teintes méditérrannéennes des immeubles qui entourent le Cours-Ju et me demande : "Qu'est-ce que tu vois?" .

Me voilà pas dans la merde, je n'avais jamais regardé en me demandant ce que je vois, en tout cas pas le Cours-Ju. Le cours Ju c'est super bien éclairé, artistiquement, les ombres des arbres projetées sur les façades de ces belles maisons anciennes aux grandes fenêtres, c'est beau.

Je lui dis "je vois que c'est beau".

Après un temps de silence de visage à visage, moi sous ma casquette une demi-tête en-dessous de lui sous son casque de dreads rasta (je confirme : un vrai noir n'est vraiment pas blanc du tout), je lui demande à mon tour ce qu'il voit. Il me montre les fenêtres, ces hautes et moins hautes fenêtres rangées en tableaux variés selon la belle irrégularité des architectures d'immeubles anciens divers, avec leurs colorisations et leurs toits de tuiles sous ce beau ciel de nuit.

Et mimant son dire d'un geste saccadé de pic-vert Suisse donnant l'heure il me dit "des coqs".

Je ris. Il m'a dit dans une allégorie ce que je sais, pour l'avoir éprouvé, moi moyen-bourge déchu pas déçu du tout de rencontrer enfin le réel, mais que j'aurais formulé autrement avec mes concepts analytiques d'occasion recyclés et mes slogans flambant neufs. Il m'a dit exactement ce qu'on était en train de vivre là à ce moment là entre cachet d'aspirine isolé et seau à charbon (mais hier, alors que je n'étais pas passé sur le Cours-Ju depuis 2 jours ne serait-ce que pour dire bonjour, il m'a regardé venir comme un coq, avec ma prétentieuse petite guitare... qui a fini par panser un peu les choses quand même).

Et je repense à mon frère B.O. à Paris, qui vient d'obtenir un hlm au bout de 6 ans de "traitement en urgence" de son dossier, après qu'il se soit remis tout seul de 3 ans d'alcoolisme sans eau ni électicité dans un local poubelle désaffecté, accédant au logement en foyer à force de ptits boulots d'intérim comme on peut les imaginer offerts à un philosophe musulman qui ne sait ni lire ni écrire, exécutés avec un amour stakhanoviste de la chose bien faite en soi avec la conscience du service de l'autre en bout de chaîne (pas du folklore non plus : des faits) ; sa réaction après les attentats de Bruxelles. Son rire. Sa phrase jovialement rigolarde "ah ah mes petits blancs, on commence à comprendre?.... ça fait peur, hein?...". J'ai moins ri, mais un peu quand même, car j'ai un peu compris : il est arrivé ici vers l'âge de 12 ans, depuis le siège arrière d'une land rover où sont restés ses parents perforés à la mitraillette depuis les bas-cotés, à travers le pare-brise dont il porte toujours la signature profonde en travers du front, par les bras de l'ONU (des faits).

J'ai repensé au rire de B.O. quand j'ai voulu parler du FN avec B.A., l'ex-officier. La position par rapport au FN aussi, c'est une question subséquente essentielle ici. Essentielle pour nous. Pas pour B.O. ni pour B.A. ni pour D.K, c'est ça que j'ai mesuré encore mieux samedi soir. B.A.. me dit à propos de Marine, en substance "qu'est-ce que vous avez à perdre à la laisser faire, on verra bien". B.O. me dit déjà exactement la même chose depuis qu'on parle politique, avant les attentats déjà. Et puis "d'une femme il sort plus de bien que de mal"... ce que je lui conteste facilement en parlant de Thatcher et de la spécialiste en sadisme des gardes de Guantanamo. Mais surtout je lui dis "mais c'est sur vous que ça va tomber en premier..." et aussitôt je réalise ma connerie, ou plutôt la non pertinence de ma position. Ce dont ils peuvent se sentir menacés ici, ce n'est pas grand chose en rapport à ce dont ils viennent, et ils le vivent déjà. On en vit une part quand on vit tout près de la Rue, on le voit venir gros comme une maison qui s'effondre sur nous dans la loi E.K. et la constitutionnalisation du lobbying et du secret des affaires sous n'importe quel gouvernement élu, ou un équivalent poutinien sous tension de guerre mondiale portée à exaspération du point G haut-stratégique français entre blocs monétaires. Ce sera toujours du néo-McCarthisme si on ne veut pas identifier grossièrement Walls à Laval ni référer bêtement le FN ou les autres au stalinisme, à la Chine ou au nazisme des années 30. Je me marre. Que d'imagination, que d'invention, dans les subtilités de variations de concepts justificateurs et descriptifs d'un régime identique du traitement des ressources humaines, même à travers les blocs politiques les plus militairement et idéologiquement opposés, décidément le sapiens au carré est admirable! Mais de là d'où je viens, cette part vécue dans la chair qui indifférencie ces distinguos en un gratouillement de cicatrices anciennement tatouées là où nous ressentons de vives blessures symboliques toutes fraiches et toutes saignantes, et des terreurs à degré cauchemardesque des nuits profonde de la petite enfance, on ne peut que la mesurer et en prendre acte.

Le face à face et le simple à simple des récits de vie suffisent à se déprendre de ses séparations mentales aliénantes, si déjà c'est bien ça et rien d'autre qu'on cherche réellement dans la relation, pas à résoudre les questions de politique internationale et de géo-stratégie économique qui les créent, les reconduisent et les manipulent. Ni modifier dirctement les plans d'urbanisme, ni les usages discriminatifs des ressources humaine selon leur provenance, leur couleur, leur religion, et tout détail de pancarte qui sera considéré idéologiquement utile à tenir des positions tactiques sur l'échiquier mondial.

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L'ouverture du commentaire dans le fil fait d'abord écho à des problématiques plus générales, survolant des liens postés par Patlotch, mais qui auraient été ici en chapeau un peu hors contexte :

Dé-réalisation du réel "jusqu'à l'absurde" dans les répercutions infinies, entre unités personnelles disjointes mises en réseaux, de fragments d'idées du réel projetant des kaleidoscopies entre les miroirs médiatiques et réseautiques, yohoho. Je suis tous un Beckett sans génie, un Cioran déraisonnablement optimiste, un Ionesco cul entre deux, un cafard sur le dos qui se sentirait pousser une âme de Kafka dans les spasmes, une Maya sans Kowsky. Un article ici dit très bien ça je trouve (ou plutôt en "délire" très justement une analyse subtile) sur un mode allégorique particulièrement pertinent : "La conscience des bananes qui nous échappent".

De la distinction que vous faites de "grands socles théoriques" à partir desquels se pensent ces mouvements, me saute aux yeux une très simple différenciation entre des théoriciens qui ont longtemps combattu pour une place d'élection au sein des labyrinthes institutionnels universitaires ou/et médiatiques, et d'autres qui ont longtemps combattu pour occuper des places d'élus ou de collaborateurs pesant directement sur les leviers d'intitutions de représentation politique, ou/et qui ont vécu des engagements de terrain de dimensions militaires. On peut supposer que pour les expériences d'intériorisation idéologique d'un Marx, destiné à la voie royale universitaire de son temps de par son appartenance de classe, l'épisode de la Tour de Londres (tout ce que cet emprisonnement concentre de son mode d'engagement militant dans les termes de son époque) vaut largement "place d'élu dans une institution de représentation". (Je suppose qu'opposer strictement deux socles de théorisation dès ce constat premier de son seul fait, est carrément contre-productif, c'est un autre débat mais je vous suppose d'accord -merci pour les arbres, en particulier les branches Raymond Williams ; je survole et pose la picore un peu par ci par là, je suis un oiseau, le temps est court-).

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