Le 19 février 2023, Gérald Darmanin, notre cher ministre de l’intérieur tweet :
« SÉCURITÉ ROUTIÈRE : Je veux supprimer les retraits de points pour les excès de vitesse de moins de 5km/h et ainsi être compréhensif avec ceux qui travaillent. À l’inverse, je veux retirer le permis de ceux qui conduisent sous drogue/alcool car ils sont des dangers en puissance. »i
A première vue vous me diriez pourquoi pas, en tout cas ce n’est pas son pire tweet ; pas d’évocation de l’islam, pas de référence à Zemmour ou Marine Le Pen, pas de défense de la police après un dérapage ; mais pourtant derrière une énième déclaration de Darmanin, se cache le monstre du démagogue. Et plus qu’un démagogue, je pars du postulat que Darmanin est un polémiste d’extrême droite, en réutilisant la grammaire « identitaire » établie par Edouard Drumont et réutilisé par Eric Zemmour ; et dont l’exhaussement analytique a été effectué par Gérard Noiriel, dans son ouvrage « Le venin dans la plume » aux éditions La Découverte en 2021, 254p.
Démagogue ce tweet l’est. Il ne fait que réagir à chaud face au cas « Palmade », pour ceux qui l’auraient raté, le comédien conduisait son véhicule, il s’est déporté sur la voie de gauche et a effectué un face-à-face avec une autre voiture ; provoquant la perte du bébé d’une femme enceinte de sept mois et plongeant dans un état critique le mari et l’enfant se trouvant dans le véhicule. Les journaux mainstreams n’ont fait qu’évoquer ce sujet en boucle durant un peu plus d’une semaine. Dans le même temps les déclarations du député Aurélien Saintoul ont fait beaucoup moins de vague sur le nombre de mort au travail. La seule chose ayant été retenue dans ces propos est le fameux « Assassin » à Olivier Dussopt, ministre du travailii.
Pour revenir sur le sujet du tweet, actuellement, la conduite sous l’emprise de stupéfiant ( Article L235-1 du Code de la route) et la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ( Article L234-1 du Code de la route) sont sanctionnées de deux ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende à laquelle il faut ajouter les peines complémentaires, c’est-à-dire des peines qui peuvent être ajoutées en plus de la peine principale, selon la décision prise par le juge. Juge qui décide de ses peines complémentaires par rapport aux circonstances de l’infraction et par rapport à l’auteur des faits ; quelle est sa condition économique, sociale, est-il déjà connu de la justice ? Ils prennent en compte un environnement global concernant les faits et l’auteur afin de prendre de la hauteur avant de prononcer une condamnation pénale qui pourrait durablement influer sur la vie de l’auteur. Car si l’individu a une situation stable, en particulier professionnel et qu’il a besoin de son permis pour aller travailler, lui prendre son permis de conduire, c’est le plonger dans le chômage et peut-être dans un cercle vicieux. Puisque la perte de son emploi peut avoir de nombreuses répercussions : divorce, perte de son logement, perte de lien social, etc. C’est pour cela qu’actuellement le juge a la possibilité d’annuler le permis de conduire mais n’a aucune obligation, c’est ce qu’on appelle la personnalisation de la peine.
Faire du retrait de permis en cas de conduite sous stupéfiant ou alcool une peine principale, en montant à un retrait de 12 points est une simple démarche démagogique. Ce n’est même pas faisable légalement, le maximum de points consécutif pouvant être retiré est de huit points. Et ça contreviendrait à ce principe de personnalisation des peines. On en revient au fameux sujet qui émoustille la droite, les peines planchers, et je vous invite à lire cette courte annexe du sénat sur les pleines plancher : https://www.senat.fr/rap/l04-171/l04-17115.html . Pourquoi s’embêter avec un juge, quand on peut juste condamné automatiquement ?
Il est donc important d’étudier Gérald Darmanin à l’aune de ceux qui l’ont précédé et d’étudier ses similarités avec les polémistes d’extrême droite, mais de constater aussi des différences, notamment du fait de sa position ministérielle, de ses responsabilités politiques et ainsi obtenir une réflexion globale sur le cas Darmanin, symptôme d’un malaise démocratique au sein de la Macronie.
En parlant de démocratie, rappelons nous du débat opposant Marine Le Pen à Darmanin où ce dernier a jugé qu’elle était trop « molle »iii. Enfin y-a-t’il débat quand les deux sont globalement d’accord ? L’ennemi selon eux avait déjà été nommé ce soir-là, l’Islam, épouvantail de l’extrême droite. Darmanin en a même fait un ouvrage, « Le séparatisme islamiste : Manifeste pour la laïcité ». C’est l’islam, les quartiers, ces gens qui ne souhaiteraient pas s’intégrer et qui seraient communautaristes selon Darmanin, propos que l’on retrouve en substance chez Zemmour. La même désignation d’un ennemi interne. A la fin du XIXe siècle et durant une bonne partie du XXe siècle, cet ennemi fut le juif, maintenant c’est le musulman. On est prêt à accuser cet ennemi de tous les maux pour le diaboliser, afin qu’on ne ressente plus de pitié pour lui, juste de la haine ; qu’on en oublie son humanité et même qu’on le lui refuse.
Pour créer cet ennemi, il faut manipuler une certaine vision du passé, de l’histoire afin de rechercher des conclusions sur le monde d’aujourd’hui. Si tout va mal selon Zemmour, c’est qu’on ne glorifie plus Pétain, réhabilitant dans ses ouvrages la théorie du Bouclier et de l’épée ; Pétain le protecteur de l’intérieur tandis que De Gaulle devait sauver la France grâce à l’aide extérieure. Mythe tombé en désuétude depuis longtemps, Robert Paxton ayant déjà dynamité cette thèse dans « La France de Vichy » en 1972.
Darmanin aussi a eu le droit d’être accusé d’un certain révisionnisme historique lorsqu’il a dit le 02 Février 2023 que c’est « La République qui a aboli l’esclavage » en parlant de nos colonies d’outre-mer dans les Antilles, devenu des département d’outre mer depuis, simple changement sémantique. Alors oui la seconde république, suite à la révolution de 1848, a bien aboli l’esclavage mais, et c’est ça que lui reprochent de nombreux Français d’outre mer, ça s’est surtout réalisé grâce aux insurrections d’esclaves, qui ont dû lutter pour qu’on leur daigne enfin, d’être considéré non plus comme des biens, mais bien des êtres Humains.iv
Ensuite, en tant que bon polémiste d’extrême droite, ils doivent aussi se nourrir d’une certaine forme d’anti-intellectualisme, en désignant le wokisme, un relativisme historique dirigé par des communautés et à qui il faudrait préférer le sens commun, ce que naturellement reconnaîtrait le peuple. Avec bien sûr une certaine vision de ce qu’est le peuple. Darmanin préfère donc le « bon sens du boucher-charcutier de Tourcoing »v, qui serait plus fidèle en terme d’analyse que des études de victimisation, qui démontre que la délinquance stagne. Et oui délinquance et sentiment d’insécurité ne sont pas forcément liés. Il suffit de regarder Cnews pour s’en rendre compte. Ériger chaque fait divers concernant des personnes de confession musulmane en sujet national n’apporte pas un aiguillage intéressant sur l’état de la délinquance. Écouter Zemmour sur les différents plateaux télé qu’il avait l’habitude de peupler durant la campagne électorale de 2022 et avant, n’aide pas non plus. Pourtant Darmanin aussi affectionne particulièrement les plateaux télé comme nous avons pu le constater lors de sa participation à l’émission de Cyril Hanouna « face à baba ». Toute une soirée rien que pour lui le 20 octobre 2022 où il a pu faire polémique, toujours, sur le thème de l’islam et du voilevi, entre deux récupérations médiatiques du meurtre de Lola et en évoquant ses propres histoires familiales, pour faire pleurer dans les chaumières.
Pourtant à la différence de Zemmour, Darmanin n’est pas un simple éditorialiste, écrivain de métier, polémiste par nature ; Il est ministre de l’intérieur. Un ministère régalien où il a en charge le maintien de l’ordre public et l’organisation des services de police dans sa globalité, c’est à dire dans ses missions administratives et judiciaires : lutte contre l’immigration clandestine, le trafic de stupéfiant, la sécurité routière, etc. Au vu de ses missions, est-il obligé de représenter l’ordre et le conservatisme ? Position qui sied si bien à la droite et à l’extrême droite. Est-il obligé d’être l’ardent défenseur de la police et d’en épouser les vues ? En 2020, Darmanin lui même évoqué le soi-disant « ensauvagement de la société »vii, propos souvent utilisé par l’extrême droite et défendu par les syndicats de police. Ces derniers semblent d’ailleurs satisfaits de leur ministre, puisqu’ils ont pu se réjouir suite à sa reconduction au ministère de l’intérieur en 2022viii Cela semble assez logique au vu de ses discours proche de l’extrême droite, en adéquation avec les idéaux politiques de la majorité des forces de l’ordre.ix
Mais est-ce rôle d’un ministre de devenir un représentant syndical de la police, réutilisant ses discours ? Ne devrait-il pas plutôt se mettre au-dessus des parti et tempérer leurs émoluments afin de les faire rentrer dans le cadre de la démocratie ? Quand on se rappelle les mouvements syndicaux de police le 19 mai 2021 qui évoquaient que « Le problème de la police, c’est la justice », on se demande encore qui commande la police. Étymologiquement, effectivement, le ministerium, c’est la fonction de servir, c’est le serviteur. Malgré tout, ça ne l’oblige en rien à devenir le serviteur de la police. Darmanin devrait plutôt être le serviteur de l’État, permettre le bon fonctionnement de la police, qui pourtant peine à recruter et à attirer les jeunesx. La Gendarmerie a été obligée de se tourner vers des publicitaires afin de lancer sa dernière campagne de recrutementxi
Darmanin plus prompte à défendre qu’à critiquer les forces de l’ordre, à accuser à tout va l’islam et les banlieues de tous les maux, à défendre une vision rigoriste de la laïcité, à se mettre en avant dès qu’un fait divers éclate ; ressemble à bien des égards à un polémiste d’extrême droite mais nous ne devons pas oublier que c’est un homme d’État, ayant une position importante dans le système régalien et qu’il n’est pas sans nous rappeler son père spirituel Sarkozy. Il peut faire beaucoup plus de mal qu’un simple polémiste, il est un homme beaucoup plus dangereux, qui peut influer directement sur les pratiques de la police et de l’Etat.
Par ces aspects, il est une pièce majeure du gouvernement Macron, qui veut brasser au plus large afin de susciter l’adhésion de la population.
Mais de quelle population parle-t’on ? D’une certaine vision des classes populaires, qui seraient xénophobes, aimant avant tout l’ordre et la sécurité. Darmanin au ministère de l’intérieur, c’est la mise en lumière du mépris de classe exercée par Macron. Ce dernier, qui rêverait de siphonner les voix de l’extrême droite, n’a fait que renforcer leur assise électorale durant son premier quinquennat. Darmanin au ministère de l’intérieur, c’est donc un appel de phare à l’électorat de l’extrême droite, une manière de dire je vous ai entendu.
Au lieu de proposer une vision alternative, un « projet » comme il promettait en 2017, Macron ne fait que s’inscrire dans la lignée traditionnelle de la droite Française, rassembleuse de la droite conservatrice traditionnelle, dont la frontière est poreuse avec l’extrême droite, à la droite libérale. Macron et Darmanin ne proposent pas d’alternative à l’extrême droite, ils essaient juste d’adopter le même langage aguicheur afin d’attirer une partie des classes populaires.
Ces classes populaires qui préfèrent délaisser les urnesxii, lassent d’une politique qui ne leur parle plus, qui n’essaie plus de les comprendre. Car ce n’est pas en levant l’épouvantail de l’étranger, du musulman, que les classes populaires vont retourner voter. Et là réside tout le mépris de classe de Darmanin et de Macron.
ihttps://www.francetvinfo.fr/faits-divers/pierre-palmade/affaire-pierre-palmade-gerald-darmanin-propose-le-retrait-des-12-points-du-permis-en-cas-de-conduite-sous-stupefiants_5667437.html
iiUsul pour Mediapart : « Morts au travail : qui est l’assassin ? », https://www.youtube.com/watch?v=z-HpT-20RWQ
iiihttps://www.mediapart.fr/journal/france/120221/darmanin-le-pen-un-debat-front-renverse
ivhttps://www.herodote.net/27_avril_1848-evenement-18480427.php
vhttps://www.huffingtonpost.fr/politique/article/darmanin-oppose-le-bon-sens-du-boucher-charcutier-aux-etudes-de-victimation_181183.html
vihttps://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/actu-tele/si-vous-ne-retirez-pas-ces-propos-je-vous-attaquerai-en-diffamation-accrochage-entre-gerald-darmanin-et-une-journaliste-dans-face-a-baba-20221021 / https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/gerald-darmanin-ce-meurtre-qui-a-dechire-sa-famille_489968
viihttps://www.i24news.tv/fr/actu/france/1668170428-figure-libre-france-gerald-darmanin-et-la-sarkostrategie
viiihttps://www.sudouest.fr/politique/gerald-darmanin/reconduction-de-gerald-darmanin-une-bonne-chose-selon-des-syndicats-de-police-11000808.php
ixhttps://www.liberation.fr/checknews/2020/06/10/est-il-vrai-que-les-policiers-et-gendarmes-votent-a-75-pour-l-extreme-droite-comme-le-dit-melenchon_1790710/
xhttps://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701234.html
xihttps://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/actualites/2023/une-meme-flamme-nous-anime-une-campagne-de-recrutement-pour-parler-a-la-gen-z
xiihttps://www.humanite.fr/en-debat/presidentielle-2022/pourquoi-classes-populaires-et-jeunes-s-abstiennent-ils-plus-746255