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Elia Imberdis

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Billet de blog 5 novembre 2015

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MEXIQUE, SQUAT WESTERN

A Durango au Mexique, les touristes se ruent vers les décors de cinéma western à shows programmés. Une injure aux authentiques vestiges de l'époque, où se sont enracinés des nostalgiques de la figuration. Moteur.

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Illustration 1
L'ancien saloon. © Elia Imberdis

Dans la poussière de la piste arrive un vieux pick-up déglingué ; l’une de ces caisses qui trimballe les mexicains jusqu’au cimetière et finit comme cible pour calibre 45. A notre hauteur, l’homme se lève de son siège en skaï d’où s’échappe un ressort. Il est taillé dans le monde d’hier. A son allure, on voit qu’il n’est pas un campesino comme les autres, c’est-à-dire, comme ceux d’aujourd’hui, coiffés d’une casquette en résille polyamide orange et verte John Deer.

D’un revers de manche l’homme essuie la poussière de son Stetson . Il s’agit bien d’un cow-boy d’antan, aux épaules fatiguées et aux mains calleuses.  D’après lui, aucun étranger ne s’aventure par ici. D’ailleurs, cette piste, sur laquelle ne passe qu’un cheval par semaine s’évanouit dans le désert, juste à l'entrée de ce qui fut un ranch.

Le portail en ruine de la propriété, surmonté d’un crâne de vache, tremble comme un mirage au bout de la ligne de chemin de fer. A une portée de balle de winchester de la gare ; un édifice à poutrelles de fer, aux murs de briques rongés par le temps. C’est dans cette gare, vestige de la grande époque de l’Ouest,  que vit notre homme, figurant déchu depuis le dernier « moteur » lancé dans les années 73.

Hérissé de cactus candélabres, meulé par les tourbillons de poussière, grouillant de scorpions et de serpents à sonnettes, l’endroit ne pouvait que séduire les gringos qui vissaient à coup sûr leurs caméras dans ce trou du cul du Mexique, ancien fief de Pancho Villa.

Pour sûr, le western ne fait plus recette, laissant une meute d’anciens éleveurs de chevaux comme lui, sur le carreau. Sept films ont été produits ici par John Wayne entre 1965 et 1973. Le héros fatigué se souvient surtout du  « Combat des Géants »,  des « Invincibles » et des « Chacals de l’Ouest ».

Illustration 2
Le train et la gare d'époque. © Elia Imberdis

Chez Ringo, le vétéran d'Hollywood.

Dans l'ancienne salle d’attente de la gare, une bannière de linge pend au-dessus de la table où gît une cerveza Carta Blanca et un reste de soupe aux haricots, figé dans une gamelle. Pour le reste: le hennissement lointain d’un cheval, les cris d’un paon, le goutte-à-goutte de la citerne d’eau, attestent effectivement d’une présence humaine. Ici, les jours doivent glisser le long  du cow-boy éreinté, sans qu’il s’en aperçoive. Mais il tient bon. On ne sait jamais, si les gringos revenaient et s’intéressaient encore à sa vieille carcasse, à sa gueule d’authentique cow-boy,  brûlée par le soleil impitoyable du désert.

 Ringo, c’est son dernier nom de rôle, a beau faire semblant d’essuyer un coin de table et chasser les mouches d'après lui, inhabituelles,  le serpentin englué de cadavres qui dégringole du plafond, atteste du contraire. Il a beau, en jurant, écraser un cafard « venu d’on ne sait où », sous sa botte, personne ne peut être dupe de la solitude de ce vétéran du western. Ses santiags rapiécées et éculées en ont vu d’autres. En particulier la charge des sioux, qu’il a réglé dans les années 60 pour John Ford, avec ses propres chevaux.. Car il a tourné, c’est sûr, avec les plus grands : Charles Bronson, Gleen Ford, Robert Mitchum, Rock Hudson. James Coburn….Ces souvenirs là lui collent à la peau et hantent ses nuits blanches, du fond de sont lit, installé dans le train ayant servi à d’innombrables poursuites.

Illustration 3
230mex-2 © Elia Imberdis

 Dans l’un des wagons ayant subi de plein fouet la dernière tempête, on fait l’inventaire. L’armoire à glace  provient du premier étage du saloon, dont il reste au loin, un pan de mur. Au fond d’une malle, quelques reliques :   l’escarpin d’une danseuse,  un colt sans son barillet, une winchester à la crosse en bouillie. « .Des armes  récupérées dans la Bank, dont il ne subsiste que la façade, juste avant que l’équipe de tournage ne mette la main dessus.A cette époque là, les peones cachaient encore les armes de la Révolution  entre les piles de draps. Il n’y avait aucun problème pour équiper les acteurs. Mais depuis, les gringos, ont fait une razzia dans les alentours,  ils ont tout raflé pour rien et ont revendu à prix d’or ».

Dehors, le paon fait la roue sur la banquette en skaï turquoise d’une vieille Cadillac dont l’essieu sert de perchoir aux poules. L'épave du plus gros cachet du vétéran d’Hollywood.

Toute la saga du western passe à travers ce conteur né, sans prendre une ride. Son vieux couvre-chef auréolé de sueur sur ses genoux, il évoque Géronimo,  son premier rôle, « quand il faisait le mort ». Puis Cananea, sa plus belle prestation à cheval, quand il devait dégainer en plein galop avec son copain Antonio en croupe.  Un septuagénaire comme lui, le crâne brûlé par le souvenir, échoué à deux heures de cheval d’ici, dans une baraque de shérif en bois, l’un des seuls décor avec l’église, la sellerie et quelques granges, à avoir résister aux incendies provoquées par les feux de cuisine. Dans l’avenue principale, bordée de maisons blanches traditionnelles en torchis,  les cochons s’ébattent dans le crottin des chevaux squelettiques. Le linge élimé, sèche dans le vent chaud et sec du désert,  entre les arcades d’une hacienda en ruine d’où s’échappent des rires d’enfants. 

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