Millions et milliers… L’Occident à côté de la plaque
A suivre la couverture médiatique internationale des tout récents événements en Egypte, il ne fait pas de doute que le pays a subi un coup d’Etat militaire. Cela paraît évident. En substance, Mohamed Morsi a remporté les élections présidentielles, devenant le premier chef d’Etat démocratiquement élu de l’histoire de l’Egypte moderne. Il a, certes, fait des erreurs, mais quel chef d’Etat n’en a pas fait ; le renverser ainsi est totalement contraire aux règles élémentaires de la vie politique en démocratie. Et l’armée, cette entité opaque qui a gouverné l’Egypte depuis l’après-guerre et qui a mal digéré sa mise à l’écart par le pouvoir civil, reprend ainsi son bâton de dictateur qu’elle n’aura lâché qu’une courte année.
Sur le terrain, cependant, aucune vraie enquête pour appuyer cette analyse, en tout cas aucune qui a pu avoir accès aux médias occidentaux. Les envoyés spéciaux se contentent de rapporter les déclarations des uns et des autres, surtout celles des manifestants pro-Morsi d’ailleurs, plus “vendeurs” puisque ce sont eux qui réclament « le respect de la démocratie et le retour du président démocratiquement élu », ce qui correspond aux schémas de pensée de ceux qui les interrogent. Sans compter que ce sont eux, aussi, qui font l’actualité puisqu’une cinquantaine des leurs sont tombés sous les balles des militaires, qui donneraient ainsi la preuve que ces derniers n’ont pas changé de mode opératoire. L'armée a beau expliquer, vidéos à l'appui, qu'elle a fait l'objet de tirs d'armes à feu, et que des "terroristes" ont tenté de donner l'assaut au siège de la Garge républicaine. Comme on ne déplore des morts, nombreux, que dans le camp intégriste..?.
Une remarque en passant : les envoyés spéciaux, tout comme les correspondants sur place, ne parlent ni ne comprennent la langue. Au mieux, certains ont étudié l’arabe à la fac, un arabe qui n’a rien à voir avec celui parlé dans la rue, comme à la radio ou à la télé, qu’elles soient publiques ou privées, sauf pour les bulletins d’information lus en arabe “littéraire”, en gros celui des livres
Sinon, le monde entier aurait appris des tas de choses, même anecdotiques parfois, mais permettant certainement un regard pour le moins nuancé.
Par exemple que juste avant et juste après l'intervention du président Mohamed Morsi lors d'un meeting de soutien aux rebelles syriens où étaient réunis ses partisans, l'imam qui a pris la parole à l'antenne es médias nationaux en présence du raïs s'est lancé dans de véhémentes diatribes contre l'opposition et a lancé une fatwa contre quiconque manifesterait contre le chef de l'Etat le 30 juin à l'appel du mouvement “Tamarod” (rebellion), en excomuniant par avance les manifestants, les accusant d'être des traitres à l'islam et des méréants. Quand on sait l'importance de la religion en Egypte...
Par exemple, que des prélats intégristes se sont félicités, en direct à l’antenne de l’une des chaînes fondamentalistes qui ont fleuri après la chute de l’ancien président Hosni Moubarak, du récent lynchage de toute une famille de chiites dans un quartier d’Alexandrie, pour la seule raison qu’ils sont chiites. Et que l’un de ces hommes de religion a pris soin de préciser qu’il était « très heureux que cette famille d’hérétiques soit décédée », mais qu'il déplorait la manière dont elle a été supprimée ! Au XXIe siècle, on nage en plein délire de chasse aux Cathares !
Par exemple, que ces chaînes prêchent la haine à longueur de journée : la haine des musulmans (dits “modérés”) qui ont une pratique différente, qui vénèrent des mausolées de certains saints, la haine des coptes, la haine des femmes non voilées, la haine des actrices de cinéma ou de théâtre, qualifiées de “ putes”, la haine de l’art sous toutes ses formes, la haine de la démocratie comme de tout système politique autre que la charia.
Par exemple, que l’on entend sur ces chaînes des discours très sérieux sur l’obligation de « démolir les pyramides et le sphinx, construits par les pharaons, qui étaient des idolâtres ».
Par exemple, que des responsables intégristes, toujours sur les ondes, accusent les coptes de différents complots, dont un visant à une partition du pays. Bien sûr, sans jamais apporter le moindre début de preuve.
Par exemple que de nombreux médias égyptiens (pas du tout intégristes, ceux-là) ont appelé les musulmans à aller devant l’immeuble cairote de la radio-télévision, rue Maspéro, « défendre les militaires, vos frères musulmans, qui se font assassiner par des coptes ! ».-
Par exemple, qu’en exprimant, toujours à la télé, son opinion quant à l’éventualité de voir un président copte à la tête de l’Egypte, un responsable frériste a répondu, en colère : « Bien sûr que non ! Les coptes sont une infime minorité. Demandez donc aux Français s’ils accepteraient de voir un candidat musulman se présenter aux élections présidentielles ! » Personne dans l’assistance n’a soufflé à ce monsieur, tout d’abord, que la religion ne figure pas parmi les conditions à l’éligibilité à la magistrature suprême en France, ensuite que si des musulmans vivent en France, en gros, depuis l’après-Guerre, les coptes sont les Egyptiens des origines (d’ailleurs “copte” et “Egypte” sont un seul est même mot étymologiquement parlant), c’est-à-dire depuis plus de sept mille ans ; ils ont été christianisés aux tout débuts de l’ère chrétienne. Les Arabes sont arrivés sept siècles plus tard, comme invités, en principe pour porter secours aux Egyptiens qui souffraient du joug romain.
Par exemple, lors d’une émission de télévision où l’animateur et l’animatrice avaient en face d’eux deux imams : un intervenant au téléphone s’est dit surpris que l’animatrice (qui était en pantalon) garde ses jambes croisées devant ces hommes de dieu. Que croyez-vous qu’elle fit ? Immédiatement, elle décroisa ses jambes, en sursautant comme piquée par une guêpe ! Et que croyez-vous que répondit son collègue animateur ? Qu’il défendit sa collègue attaquée en remettant gentiment l’impétrant à sa place ? Pas du tout. « Pardonnez-lui, elle ne l’a pas fait exprès », a-t-il bredouillé. Et ce n’est pas une obscure émission avec d’obscurs présentateurs, c’est au contraire une des émissions phares du PAF égyptien.
Hors du terrain, intellectuels, hommes politiques ou experts occidentaux, nourris d’analyses produites par des think tanks enfermés dans leurs laboratoires et leurs préjugés, répètent à l’envi sur les antennes médiatiques avides d’explications faciles leurs analyses aussi myopes que stéréotypées : la question qui importe, celle dont dépend l’évolution de la situation, c’est le bras de fer entre les deux seules forces qui comptent en Egypte (et en gros dans le reste du monde arabe), à savoir les Frères musulmans et l’armée. Quant à l’opposition, elle est impuissante à faire entendre sa voix, déchirée qu’elle est dans ses querelles intestines. Ils ont été (et sont toujours) très largement imperméables à la vraie portée des manifestations regroupant des dizaines de millions d’Egyptiens descendus dans la rue à partir du 30 juin – à savoir qu’elles disent leur volonté d’être, enfin, partie prenante dans les destinées de leur pays, et leur désir de vivre dans un Etat civil (sinon laïque) et démocratique ; qu’elles sont l’expression de leur prise de conscience que les Frères musulmans les ont trompés pour leur voler leur révolution et leur vote, et qu’une fois au pouvoir ils n’ont eu de cesse de commencer à mettre en place l’Etat islamiste gouverné par la charia, ce que l’écrasante majorité des Egyptiens rejettent.
Sous l’influence de tous ces “experts” et autres conseillers en retard d’une guerre, les Etats-Unis se sont inquiétés du “coup d’Etat militaire”, l’Union européenne également. Et leurs diplomaties d’insister sur le fait que Mohamed Morsi a été démocratiquement élu et d'inviter plus ou moins diplomatiquement les militaires à remettre au plus vite le pouvoir à des civils démocratiquement élus. Et les confrères y vont de leur couplet sur l’extraordinaire moyen de pression sur l’armée égyptienne dont dispose Washington pour lui faire entendre raison, à savoir l’aide militaire de 1,3 milliard de dollars/an, qui pourrait être suspendue si les putschistes n’obtempéraient pas, comme l'a proposé le sénateur John McCain, ex-candidat républicain à l'élection présidentielle américaine.
Quant aux estimations diffusées sur le nombre d’Egyptiens descendus dans la rue, elles sont symptomatiques de l’aveuglement occidental exprimé par les médias. Ces derniers, dans leur grande majorité, ont en gros renvoyé dos à dos les “anti” et les “pro”, avançant les mêmes estimations quant au nombre de personnes mobilisées de part et d’autre : « des milliers de manifestants », selon la plupart des médias, quelques-uns allant jusqu’à « des dizaines de milliers de manifestants ». Or les photos prises du ciel montrent bien que la mobilisation anti-Morsi a fait descendre dans la rue à plusieurs reprises plusieurs millions d’Egyptiens, contre plusieurs milliers de pro-Morsi aux meilleurs moments.
Des dizaines de millions de citoyens dans des manifestations politiques, cela s’est-il souvent produit dans l’histoire du monde ? Où ? Quand ? Ce chiffre devait à lui seul attirer l’attention des médias et susciter leur intérêt. Silence radio, pourtant !
Qui plus est, ni les uns ni les autres n’ont souligné le fait que les Frères musulmans, arrivés au pouvoir par les urnes, certes - mais ce fut également le cas pour Hitler et son parti nazi en leur temps –, ont tout mis en œuvre depuis qu’ils y sont pour faire en sorte que plus jamais les urnes ne puissent les en déloger. Comment ?
- En faisant passer en force une Constitution sur mesure, dont l'élaboration a pourtant été boycottée par tous les membres du Conseil constitutionnel ne faisant pas partie de la confrérie.
- En laissant Monsieur Morsi promulguer (le 22 novembre 2012) un décret l'autorisant à prendre " toutes les mesures nécessaires afin de protéger la révolution". Formulation suffisamment vague pour permettre tous les abus.
- En faisant main basse sur les médias par le limogeage d’une bonne centaine de rédacteurs en chef et leur remplacement par des membres de la confrérie ou des affiliés. Même stratagème appliqué à la tête des gouvernorats (départements) et de la magistrature. Idem pour les grandes centrales syndicales historiques.
- En faisant donner à longueur de journée prêcheurs et animateurs des chaînes de télévision à leur botte, qui ont "excommunié" à tour de bras les musulmans sunnites comme eux mais qui refusent de "s’intégriser" ; qui ont mis hors la loi l’islam traditionnel égyptien accusé d’idolâtrie parce que vouant un culte à certains saints ; quant aux chiites...
- En excitant la haine et le rejet des coptes, accusés des pires agissements, dont celui de kidnapper des jeunes filles musulmanes et de les séquestrer dans des monastères pour les convertir de force à la religion chrétienne. Aucune plainte, pourtant, d’une famille musulmane n’a été déposée, alors que des dizaines de plaintes sont déposées tous les mois – mais ignorées par la police – par des familles d’adolescentes coptes enlevées, brutalisées, converties de force et mariées de force à des musulmans.
- En faisant la guerre à toutes les formes d’art qui ne soit strictement religieux, au travers de leurs médias et de leurs prêches.
C’est contre tout cela que des dizaines de millions d’Egyptiens sont descendus dans la rue, pour exiger le départ de Morsi et la fin de la main mise des Frères musulmans sur leur présent, pour faire échec à l'agenda intégriste visant ouvertement à "wahhabiser" progressivement mais inexorablement la société égyptienne.
Quant aux militaires… Ceux qui qualifient le renversement de Mohamed Morsi de coup d'Etat militaire ont choisi d'ignorer l'importance et la signification du soulèvement populaire dont est témoin l'Egypte et de soupçonner l'armée de vouloir reprendre le pouvoir. Or les militaires sont bien ancrés dans l'économie du pays et leurs affaires ont prospéré sous Moubarak. Tant et si bien que leurs intérêts sont aujourd'hui extrêmement diversifiés (hôtellerie, transports, tourisme…) et que leurs activités représentent une part non négligeable du PIB du pays. Il se dit même que le Conseil suprême des forces armées (SCAF) a accepté de céder le pouvoir politique aux Frères musulmans contre deux garanties : que ces derniers ne s’immiscent pas dans la gestion du milliard et quelque de dollars d’aide militaire américaine à l'armée égyptienne ; et que leurs activités économiques restent un domaine réservé, pour lequel ils n’ont pas de compte à rendre aux civils. C'est du moins ainsi que les choses semblent se passer dans la réalité. Or il se trouve que cette alliance objective avec un régime Frère musulman devenu honni risquait de noircir encore l’aura déjà passablement ternie des militaires. Faut-il le rappeler, l’armée a accumulé un sacré passif avec le peuple égyptien lors de la “première révolution”, celle commencée le 25 janvier 2011 : dizaines de milliers de citoyens jugés par des cours martiales, femmes bastonnées et leurs vêtements arrachés dans les manifestations, tests de virginité sur les manifestantes arrêtées, et j’en passe. Tout cela n’était pas exactement une campagne de séduction. Les manifestations contre le "règne de la soldatesque" ont longtemps mobilisé les foules sur la place El Tahrir et ailleurs dans le pays. Tout cela s'est déroulé il y a à peine plus d'un an et tout cela reste dans les mémoires, même si l’Egyptien moyen persiste à considérer l'armée comme le héros de la guerre de 1973 qui a abouti à la récupération du Sinaï par l’Egypte. Pour l’armée, lâcher les Frères et se mettre résolument du côté du massif ras-le-bol populaire était donc incontournable pour pouvoir continuer à jouir de cette image positive de gardienne de l’Egypte, tout en menant à bien ses affaires par ailleurs.
Mais s’emparer du pouvoir ? Pourquoi ? Pourquoi s'aliéner l'opinion publique internationale ? Et pourquoi s'embarrasser de la direction d’un pays où l’économie est dans un état tellement catastrophique et les attentes de la population tellement importantes que les militaires ont toutes les chances de s'enliser et de perdre en peu de temps le capital de sympathie que leur a valu la destitution de Morsi. C’était sans tenir compte des schémas d’analyse éculés qui perdurent en Occident pour ce qui touche à l'Orient. Un Orient fantasmé, à la manière des orientalistes du XIXe siècle : ils avaient beau voyager, et même vivre sur place, ils racontaient une réalité orientale déformée par le filtre de leurs propres schémas de pensée, comme l'explique si bien Edward Saïd dans L'Orientalisme : l'Orient créé par l'Occident (éd. Seuil),
Le retour des militaires au pouvoir ne semble donc pas d'actualité. Pour l'instant du moins. Ce qui l'est, en revanche, ce sont les nombreuses questions en suspens concernant le devenir de cette colossale mobilisation populaire. Contraints et forcés par son ampleur, les différents partis ou formations anti-Morsi ont suivi la demande populaire qui a choisi de se débarrasser d'un pouvoir qui a fait la preuve de son incompétence et dont l'objectif prioritaire était d'engager le pays dans l'impasse intégriste. Opposants à Morsi et aux Frères musulmans, certes, mais pas du tout pour les mêmes raisons. Un point crucial, déjà, demeure non résolu et pour lequel le compromis semble impossible dans la mesure où l'antagonisme touche les fondements mêmes du vivre ensemble : droit civil ou charia ? Millions d'un côté, mais milliers de l'autre. Les salafistes du parti Al Nour, avaient abandonné le navire de l’alliance avec les Frères parce qu’il faisait eau de toute part, mais ils maintiennent inchangé leur objectif final de gouverner par la charia. Ils ont claqué la porte des tractations destinées à doter le pays d’un Premier ministre et d'un vice-président, les candidats proposés étant à leurs yeux trop libéraux ou liés aux libéraux. Du côté du Front de salut national (FSN), la principale coalition de l'opposition laïque, qui réunit El Baradei (libéral), Sabahi (gauche nasérienne) et Amr Moussa (que l'on peut qualifier de droite modérée), on n'a pas brillé par sa force de proposition. Du moins pour l'instant. Quant au mouvement “Tamarod” (rebellion) dont les millions de signataires sont descendus dans la rue pour se débarrasser de la dictature frériste, il n'a tout simplement pas été consulté pour l’élaboration du plan de transition, pas plus que le FSN. Apprentissage difficile du fontionnement démocratique, ou éternel dialogue de sourds ?
A l’heure où de trop nombreux commentateurs se contentent de discourir sur les intentions de l'armée ou sur le non-respect du processus démocratique, il est urgent de proposer des analyses un peu plus fouillées permettant une meilleure compréhension des enjeux et des forces en présence. Il est urgent, en tout cas pour les Egyptiens, de réussir à distinguer les impasses et les voies d'avenir qui s'ouvrent à cette Egypte de bientôt 100 millions d'habitants. Une Egypte qui est le plus gros importateur de blé au monde, dont l'économie est en déconfiture, qui ne dispose pas de la manne pétrolière permettant à d'autres dans la région d'anesthésier la soif de vivre de leurs populations. Une Egypte qui, à son corps défendant et à ses risques et périls, pourrait devenir encore un champ de bataille dans les luttes d'influence que se livrent l'Occident et certains pouvoirs de la région.
Mais ce travail ne semble pas intéresser ceux qui s'empressent de condamner l'expression de tout un peuple en n'y voyant qu'une entorse à la démocratie. Ou plutôt à un seul aspect de la démocratie, celui des urnes.
Les Frères musulmans ont été, certes, débarqués. Mais leur influence, tout comme celle de l'ensemble des courants intégristes, est loin d'être neutralisée. Et elle restera forte. Il ne faut pas perdre de vue la place de la religion dans le pays et l'activisme acharné de ces courants. Qu'il s'agisse des musulmans ou des chrétiens (majoritairement coptes, qui représenteraient entre 10 et 20% de la population – s’il existe un recensement, on se garde bien de le diffuser), les Egyptiens dans leur ensemble et plus particulièrement les couches les plus modestes de la population sont très religieux. Et face à l'incurie des dirigeants qui se sont succédé à la tête du pays, les islamistes ont adopté de longue date, Frères musulmans en tête, une stratégie extrêmement payante consistant à venir en aide aux familles dans le besoin (œuvres caritatives, ouverture de dispensaires, etc.) ; à prêcher que si le pays va mal, c'est que les dirigeants appliquent des recettes occidentales, donc impies ; à répéter à l'envi, y compris via les haut-parleurs des mosquées poussés à plein volume, des slogans tels que : "Séparer religion et politique est le plus sûr chemin vers la damnation", "La loi, c'est la loi d'Allah (comprendre la charia)", "Ni socialisme, ni communisme, ni libéralisme, ni démocratie, l'islam est la solution " ; enfin, à solliciter les suffrages en travaillant leur voisinage au corps à corps et au quotidien. Un militantisme d'où la violence n'est nullement exclue - avec, chez les plus fanatiques, une disposition clairement affirmée à prendre les armes. Une violence qui peut même, quand la vox populi leur est défavorable, permettre aux milliers de soumettre des millions. Cela s’est déjà vu, et au cœur même de l’Europe.
Enfin, et pour revenir aux militaires, une inconnue de taille demeure. Comment se comporteront-ils si l'Etat insiste un jour pour que l'ensemble de leurs revenus et de leurs activités économiques soit soumis au même droit de regard de la société civile auquel est soumise toute entreprise ? Dans l'hypothèse, bien sûr, où l'Egypte finit par se doter d'un nouvel Etat, avec une Constitution viable, un système politique garantissant les libertés individuelles communément reconnues pour tout citoyen d'un pays moderne et l'égalité de tous devant la loi.
On peut dire qu’il reste du pain sur la planche. Et la question égypto-égyptienne se double d’une dimension régionale dont le poids est tout sauf marginal. Le Qatar vient de prendre la porte, avec ses largesses tapageuses, sa chaîne Al-Jazeera et son instrumentalisation de personnalités influentes au profit des Frères musulmans, égyptiens entre autres. La même porte par laquelle est revenue l’Arabie saoudite, à l’expérience plus ancienne et à l’intervention plus feutrée mais tout aussi lourde. Avantage à Riyad, donc, qui vient de damer le pion à Doha dans la lutte d’influence régionale que se livrent les deux pays. Il reste que l’un comme l’autre sont des pétro-monarchies wahhabites, mais pour des raisons historiques elles soutiennent des intégristes différents (en substance, le Qatar avec les Frères et l’Arabie avec les salafistes). Et l’une comme l’autre ont des visées plus ou moins hégémoniques sur l’ensemble arabe. Avec son économie au bord du gouffre et face à un Occident donneur de leçons politiques mais aussi chiche en aide économique qu’exigeant sur les conditionnalités – prêt conditionné du FMI, entre autres, qui n’en finit pas de se faire désirer –, l’Egypte n’est pas forcément en position de rejeter une aide de “pays frère” qui, aussi généreuse soit-elle, n’est jamais dépourvue d’arrières pensées.