« Avant, je portais un jilbeb avec des gants. Mais depuis un an, j'ai opté pour le niqab avec une sitar ». Pardon ? « Pour moi, je me satisfais pleinement d'un hijab. Pas besoin de plus ». Plait-il ? Mais vous ne lisez pas les journaux ?
Bon, il fallait le dire tout de suite ! Normal que vous n'arriviez pas à suivre. Je vous conseille un des derniers numéros du Nouvel Observateur qui dresse un rapide aperçu des différentes options. Bon, d'accord, on reste un peu sur sa faim mais pour les débutants, ça donne déjà une idée. Burka, sitar, niqab, abaya, hijab, jilbeb ne devraient bientôt plus avoir de secrets pour vous ! C'est quand même curieux comme certains mots viennent se glisser dans notre vocabulaire quotidien. Et au bout de quelques temps, ils nous paraissent déjà tellement familiers...
Ca me rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, je me moquais de ma mère quand elle confondait Budapest et Bucarest. Autre époque ! Aujourd'hui, Budapest est à une heure et demie d'avion avec EasyJet et Bucarest est une capitale très à la mode chez les jeunes expatriés. Impossible de les confondre. Mes enfants se moqueront sûrement de moi quand je confondrai naïvement l'abaya avec le jilbeb. Et je devrai leur rappeler que je suis issue d'une autre génération et qu'à mon époque, on ne parlait que de « voile ». Oui, « le voile », c'est tout. Ah, on n'était pas gâté comme maintenant...
Le Turc moyen sait-il par exemple qu'au-delà d'être en général sunnite, l'Islam qu'il pratique fait partie de la famille hanafite ? Avec la guerre en Irak, le monde occidental a pu découvrir deux grandes familles : les sunnites et les chiites. Aujourd'hui, tout lambda qui se respecte est capable de faire la distinction. Pour épater la galerie lors de « dîners en ville », il faut donc aller beaucoup plus loin : « Comment votre concept hanafite à tendance sunnite coexiste-t-il avec la vision sub-chiite que vous faites de l'existence intra-alévie ? » (pour paraphraser Sempé).
Mais revenons à nos foulards. Le débat sur la burka disparait heureusement de nos toiles et de nos canards. Dieu, qu'il était fatigant ! Certes, il a laissé place à une autre discussion tout aussi passionnante, celle de l'identité nationale. Mais ne nous plaignons pas trop, on ne peut pas tout avoir... Il ne s'agit pas ici de défendre ce type d'habillement au nom de principes supposés humanistes ou de lancer un cri devant une marque criante de discrimination en cas d'interdiction de son port. Non, restons plutôt silencieux, car il s'agit une nouvelle fois de « beaucoup de bruit pour rien ». Certains hurleront à l'abandon du combat pour l'émancipation de la femme. Pourtant il n'est pas question de l'abandonner, si combat il y a encore.
Seulement ce n'est plus le tissu qu'il s'agit de combattre, objet d'emportements passionnels de part et d'autre. Une majorité de femmes expliquera porter le voile en raison de convictions religieuses. D'autres discuteront de l'interprétation des sources pour démontrer qu'il ne s'agit pas d'une prescription islamique. Plus qu'un problème de religion ou de croyance en soi, c'est un problème de prescriptions auquel on se heurte, à partir du moment où celles-ci, visibles, entrent dans le domaine social et donc dans la sphère publique. Mais toute prescription se situe, en particulier lorsqu'elle relève du domaine religieux, dans le registre de l'interprétation et non dans l'objectivité tangible. Alors, on creuse les sources, on tente de percer le vocabulaire. Djihad, ijtihad, etc. On cherche l'origine.
Personnellement, je préfère me placer dans une démarche sociale de la religion. Je ne prétends pas à une analyse herméneutique des sources, dont je laisse le soin à d'autres. D'un point de vue social, on peut simplement dire que le voile représente une ligne de démarcation physique entre hommes et femmes. Toujours sur le plan social, si on accepte qu'il faille se protéger de manière physique du regard de l'homme, alors on accepte aussi d'avoir échoué dans l'entreprise d'imposer le respect par la réflexion et l'émancipation. Sans vouloir choquer personne, je me contente de dire que les sourates, hadiths et autres versets me laissent de marbre dès lors qu'on évolue dans le domaine public et la société de manière générale.
A propos du voile intégral, Alain Finkelkraut parle de son caractère étranger. Caractère étranger dans quel sens ? Le voile intégral serait une prescription suivie par des membres déclarant appartenir au courant rigoriste salafiste yéménite. Pourtant, c'est ici qu'il existe, en France, souvent chez un public de jeunes converties. Donc il est bien d'ici, il n'est pas étranger. Il est français, subjectif et problématique. Mérite-t-il cependant l'attention qu'on lui a accordé au cours des dernières semaines ? On me reprochera de minimiser la question de l'islamisme, des pratiques radicales et incompatibles avec un Etat laïc. Et pourtant, je ne minimise rien. Je pense seulement que la fin ne justifie pas les moyens, mis en œuvre dans un but indiscutablement politique. Honnêtement, je me moque de savoir que 367 femmes portent le voile intégral en France.
S'il est question d'intégration, je préfère qu'on parle de l'état de la parité dans le monde du travail, de l'exclusion sociale dans les banlieues, du racisme ordinaire, du chômage des jeunes, et des moyens pour lutter contre. Je me pose des questions dont on dit qu'elles appartiennent à un autre âge : à quand le droit de vote des « immigrés », par exemple ? Ce genre d'interrogations relève peut-être de l'époque du Paléolithique supérieur, mais je crois sincèrement que le débat sur la burka ou autre identité nationale est une chimère, certes alléchante dans une période post-11 septembre, mais cruellement éloignée de ce qui devrait nous révolter ou au moins nous interpeller.