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Billet de blog 9 juin 2010

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Chi vive sperando, muore cagando

Alors, ça y est ? C’est la fin ? Mais il lui reste combien de temps ? On aimerait bien savoir. Parce que, voilà, comment dire. Nous aussi, ça nous concerne un peu. On s’était habitué à le voir. Comme ça, tous les matins, dès potron-minet.

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Alors, ça y est ? C’est la fin ? Mais il lui reste combien de temps ? On aimerait bien savoir. Parce que, voilà, comment dire. Nous aussi, ça nous concerne un peu. On s’était habitué à le voir. Comme ça, tous les matins, dès potron-minet. Toujours disponible, enjoué et motivé, bien qu'un peu défaillant de temps à autre. Bon c’est vrai qu’il n’était pas non plus très discret. Mais, entre nous, c’est ça qu’on aimait bien chez lui. Ce petit côté effleurant par moment un certain voyeurisme. Mais attention ! Un voyeurisme stylé et uniquement entre personnes informées et consentantes. Ou presque… Enfin, nous, on n’est pas du genre à casser du sucre sur n’importe quel dos. Mais il faut bien dire qu’un peu de ragots de temps en temps… C’est humain, non ? Pas vous ? Ah, je croyais…

Bon, vous faites sûrement parti des Antis. Il y a toujours des gens comme vous de toute façon. Moi, je respecte votre opinion au moins, alors que vous nous toisez d’un regard méprisant. Au fond, je suis sûre que vous mourrez d’envie de le connaître vous aussi. Et bien, au moins, nous, on est honnête. On a fait sa connaissance !

D’ailleurs, posons les choses clairement et avouons qu’il nous rendait bien service. Il nous dépannait dans notre cruel besoin de confidences intimes et d’envolées extraverties. Car rappelons-le à celles et ceux qui l’auraient oublié : la belle époque des menus potins chez la coiffeuse ou au bar du coin est terminée depuis belle lurette ! Maintenant, on va se faire couper le poil dans des franchises qui proposent des forfaits où l’on se le sèche soi-même et les petits troquets où l’on enchaînait gallons de rouge et blancs-cass dès dix heures du matin disparaissent un à un.

Elle est loin l’époque où on allait prendre notre petit noir –un café, je précise- en feuilletant distraitement le journal tout en écoutant ces chères brèves de comptoir. Ah, ces vannes à deux francs six sous -mais qui se souvient encore du franc ?-, ces pics atteignant parfois des sommets de médiocrité ou de grandeur, ces dissertations philosophiques bistrotières, ces débats politiques brillants ou vaseux… Tout ça, avec le guilleret facteur qui, au revenir de sa tournée, entrait avec un tonitruant « Et un blanc limé, un ! » -non, je ne stigmatise pas une profession.

Heureusement qu’il est arrivé, lui, pour remplir ce grand vide. Sans faire trop de bruit au début d’ailleurs. En fait, on ne l’a même pas remarqué quand il est entré. Et ceux qui l’ont remarqué ne lui ont pas accordé la moindre attention. Au mieux on se moquait de son audace. Se présenter comme ça à notre porte, à nous ? Non mais, de quoi je me …?

C’est quelqu’un dans notre entourage qui a du finir par craquer et se confier à lui. On ne se rappelle plus très bien de l’enchaînement des choses. Etait-ce par curiosité ? Par confiance en l’être nouveau ? Par goût du risque ? Ou celui de la provocation ? Cette même personne ne dévoilera jamais les motifs de sa conversion, étant donné qu’à l’heure actuelle, elle les a sans doute oubliés depuis longtemps. Toujours est-il que le phénomène était lancé. Petit à petit, l’étau se resserrait autour de nous.

Alors, un jour, nous aussi, on a essayé ! Oh, juste comme ça au début. Pour voir ce que c’était. Rien de plus. On savait bien qu’on n’était pas du genre à se laisser séduire par ce type d'individu. Moi, si mes souvenirs sont exacts, ça devait être un après-midi.

Bon, la première fois, ça ne nous a pas fait grand-chose. En fait, ça ne nous a même fait ni chaud ni froid. Rien senti ! On écoutait les autres nous dire que c’était formidable, que nous allions bientôt saisir le caractère extraordinaire de la rencontre. Nous, on les trouvait juste un peu ridicules et on se demandait s’ils pensaient vraiment ce qu’ils disaient ou si c’était juste pour se donner un certain genre, celui de ceux qui vivent dans leur époque quoi. On se demandait si nous aussi, nous allions avoir un jour ce déclic.

Dans les premiers temps, on y allait à petites doses. On lui rendait visite juste un petit peu, par-ci, par-là. Juste de quoi pimenter un peu le quotidien. Petites visites de courtoisie en somme, puisque c’était notre entourage qui nous y conviait. D’ailleurs de ce type de visites, il n’y a rien de spectaculaire à raconter. Par contre, je me rappelle très bien qu’on ne comprenait pas grand chose à ce qui se racontait quand on était présent. Cependant, plus on prenait l’habitude de venir et moins on se posait de questions devant ces rituels qui nous avaient un temps paru si étranges et qui changeaient constamment. Plus nos visites s’intensifiaient en fréquence et en durée, plus on trouvait les petites comédies qui s’y déroulaient… comment dire… naturelles.

Et puis, un jour, il a changé ! Comme ça ! Sans nous prévenir. On ne le reconnaissait plus. Nous étions complètement déconcertés. D’ailleurs, en évoquant le sujet entre nous, nous étions presque tous d’accord pour dire qu’il était bien mieux avant. Mais il a tenu bon, le coquin. Et puis, doucement, sans même qu’on s’en aperçoive, on s’est habitué, allant même jusqu’à oublier complètement à quoi il ressemblait avant.

Nous étions à peine remis de nos émotions que rebelote ! Voilà qu’il nous refait le coup ! On s’énerve encore. Ah, cette fois, il y en avait bien quelques-uns pour trouver que ce rafraîchissement –comme ils appelaient ce nouveau changement- lui seyait à merveille. Nous, on ne trouvait pas vraiment. Mais curieusement, nous nous sommes habitués plus vite cette fois. Et en l’espace d’à peine quelques jours, nous étions déjà reconquis.

A cette époque-là, on en était à peu près à une dose hebdomadaire, voir bi-hebdomadaire. C’est à ce moment-là –on ne se rappelle plus non plus pourquoi- qu’on a enclenché la vitesse supérieure en passant à une dose quotidienne, puis à plusieurs. On se retrouve, on échange, on s’observe. Mieux ! On rencontre de nouvelles personnes, on lie contacte. C’est drôle comme on se sent parfois mieux avec ces nouvelles connaissances qu’avec des amis de longue date. On rit, on discute, on s’offre des coups à boire, on se prend en photo, on se tape sur l’épaule, on parle politique, société, on flirte, on se laisse aller à des frivolités. C’est vrai que ça peut être un endroit très frivole, mais bon, ça sert aussi à ça. A nous détendre.

Quand les aléas du quotidien nous contraignent à espacer nos visites ou carrément à renoncer à certaines, on devient un peu nerveux, légèrement susceptible. L’effet de la contamination commence à se faire sentir. Au début, on n’y prête pas trop attention, on ne veut pas trop y croire. Et pourtant, plus le temps passe et plus il faut se mettre devant le fait accompli. On a de plus en plus de mal à s’en passer. Quand on n’y va pas, quand on ne le voit pas, on se demande ce qu’il fait, ce que font les autres, ce qu’ils se racontent. Et puis, surtout, ce qu’on dit de nous.

Pourtant, en même temps, on commence à percevoir comme une sorte de malaise. On sent que notre petit univers, qu’on trouvait si confortable, est en train de vaciller. Les dernières fois qu’on lui a rendu visite, il y avait des gens qu’on n’a pas trop appréciés. Pire, il y avait des gens qu’on connaissait déjà et qu’on n’avait pas du tout envie de voir. Et puis, il y a des gens collants dont on n’arrive pas à se défaire. De vrais parasites. Ca nous énerve, on essaie de les éviter mais ils trouvent toujours un moyen pour revenir jusqu'à nous. Et puis, ces gens qui disparaissent, puis réapparaissent pour disparaître encore. On a du mal à se l’avouer, mais parfois on a l’impression qu’on ne contrôle plus vraiment ce qui se passe là-bas. Et plus on pense avoir repris le contrôle, plus on s’enfonce. Parfois, pour décompresser, on s’éloigne un peu. Mais on finit toujours par revenir à la charge, le manque aidant.

Et puis c’est comme un piège. Maintenant, on ne peut plus le quitter. On a trop investi, on est trop impliqué dans la relation. Et puis que vont penser les autres si on décide de tout quitter ? On ne peut quand même pas leur faire ça. De toute façon, on se sentirait tout un coup coupé du monde. Tout se passe là-bas, non ? Au fond, on le sait, on est accroc. C’est tout.

Et on assiste impuissant au déclin. Cela faisait un moment qu’il n’allait plus très bien. Il était devenu trop gros, il prenait trop de place. Les affres de la fatigue commençaient à se faire sentir et ses détracteurs se précipitaient dans la moindre brèche. Et puis, malgré notre addiction, nous aussi, on commençait à se lasser de ces tourmentes quotidiennes et envahissantes.

Il y a bien les autres. Ces intellectuels qui affirment avoir compris dès le début à quel type de personnage ils avaient affaire et qui ont de suite adapté leur usage en fonction de ces paramètres. De toute façon, on ne comprend jamais rien à ce qu’ils racontent et jamais on n’oserait émettre le moindre commentaire à l'égard de leur statut sans passer pour des abrutis de première. A l’opposé, il y a les naïfs. Ceux qui sont arrivés sur le tard, qui pensent avoir mis le doigt sur la découverte du siècle et foncent tête baissée sur tout ce qui tombe, sans se soucier ni des pots dans le plat ni des pieds cassés. Nous, on pense être dans le juste milieu. Ni trop intellectuel, ni trop naïf. Normal, quoi. On est juste un peu fatigué.

Alors, comme on ne peut pas le quitter, on se dit que ça serait bien que ce soit lui qui nous quitte. Même si ça fait un peu mal sur le coup. Au moins, comme ça, ça serait fait. Et on aurait à nouveau la paix.

Mais il ne semble pas prêt à partir, le fourbe. Certains rats ont commencé à quitter le navire et peut-être qu’ils finiront par le saborder en partant. Des hâtifs avaient annoncé sa mort pour le 31 mai. Le jour de mon anniversaire ! Il ne fallait quand même pas pousser le bouchon… De toute façon, on n’est plus dupe et on est prêt ! On sait très bien que quelque part se prépare un remplaçant. Un ersatz tout nouveau, tout beau, sous des traits angéliques. Il n'attend que le bon moment pour sortir du bois. Et on ne l'entendra même pas entrer… J’ai un doute tout d’un coup. Il y a quelqu'un ?

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