
Agrandissement : Illustration 1

Tout d'abord, qu'est ce que le vote au Jugement Majoritaire ?
Il s'agit d'évaluer toutes les propositions, ici des candidatures, en attribuant une mention pour chacune (5 à 7 nuances, généralement de "Très Bien" à "A Rejeter"). Le gagnant est celui à obtenir la meilleure mention médiane, qu’on appelle mention majoritaire puisqu'au moins 50% des votants partagent au minimum cet avis.

Agrandissement : Illustration 2

Comme le dit le vidéaste Science Étonnante dans une vidéo souvent reprise par les partisans du vote au Jugement Majoritaire :
"Si votre candidat a obtenu une mention majoritaire "Assez Bien", que vous ayez voté "Bien", "Très Bien", ou "Excellent", et ben ça change rien." (1)
C'est ici le premier problème, comme on ne regarde que la médiane (sauf en cas de même mention majoritaire entre deux candidats, on va y venir), seul le soutien global à hauteur de cette mention médiane est déterminant, et ce peu importe la quantité et la qualité des autres mentions. Autrement dit, toute nuance apportée, autre que celle arrivant à la médiane, n'est absolument pas prise en compte.
Ainsi, un candidat perçu comme au moins "Assez Bien" par 87% des gens, dont 45% d'un plébiscite marqué, peut perdre face à un candidat perçu comme au moins "Assez Bien" par 84% des gens (-3), dont seulement 16% avec ferveur (-29) . Seule compte la mention à hauteur de la médiane.

Agrandissement : Illustration 3

Cela signifie qu'un candidat globalement mieux vu et avec un plébiscite beaucoup plus fort, peut perdre face à un candidat “moins bon” mais obtenant une meilleure mention médiane.
Le second problème -qui en découle- est que dans les cas d'égalité de mention majoritaire, le déterminant est soit le cumul des mentions meilleures que la médiane, soit le cumul des mentions moins bonnes que la médiane.
Explications : Lorsque deux candidats obtiennent la même mention majoritaire, on coupe cette mention en 2 pour déterminer sa proximité d’opinion. Si la mention médiane est plus proche des mentions meilleures on la complète d’un “+”, et si la mention médiane est plus proche des mentions moins bonnes on la complète d’un “-”.
Lorsque deux candidats obtiennent la même mention majoritaire il n’existe que trois possibilités :
1- Une mention “+” bat une mention “-”
2- Deux mentions “-”, on compare le pourcentage de mentions moins bonnes.
3- Deux mentions “+”, on compare le pourcentage de mentions meilleures.

Agrandissement : Illustration 4

Problème, comme on ne regarde que le pourcentage, la nuance au sein des mentions "moins bonnes" ou "meilleures" n’est toujours pas prise en compte.
Pire encore, avec une égalité de mention “-” c’est la détestation qui sera déterminante, peu importe les mentions positives.
Deux exemples.
1.Dans cette simulation, même si les deux candidats sont très rejetés, ce n'est pas la personne qui a le plus d'avis positifs qui l'emporte, mais celle qui a le moins grand pourcentage de la pire mention. La proportion et la nuance des avis positifs n'entrent plus du tout en compte.

Agrandissement : Illustration 5

2.Dans une autre simulation, un candidat ayant obtenu un fort plébiscite de près de 40% des électeurs (ce qui est énorme), tout en étant majoritairement bien reçu à 53.5%, perd face à un candidat ayant obtenu certes 60.7% d'avis au moins “Bien” (+7pts), mais seulement 7% de fort plébiscite (-33pts).

Agrandissement : Illustration 6

On rejoint dans ces deux exemples le premier problème évoqué : la proportion et la nuance des avis positifs peuvent n’avoir absolument aucun impact, même dans des situations où l'écart de plébiscite entre deux candidats est extrêmement significatif.
Le résultat peut être encore plus risible en cas d’égalité de mention “+”.
Dans cette simulation, le candidat obtenant le plus de mentions au moins “Assez Bien”, “Bien”, et "Excellent", mais aussi le moins de mentions négatives, perd car il a un cumul moins bon des mentions meilleures que la médiane.

Agrandissement : Illustration 7

Ici c’est donc le pourcentage de mentions meilleures que la médiane qui permet de trancher, mais comme on ne regarde toujours pas les variations internes à ces mentions meilleures, 40% d’avis “Très bon” permettent d'écraser 36.4% d’avis ‘Excellent", peu importe le reste.
On pourrait alors considérer que le vote au Jugement Majoritaire met en avant la quantité avant la qualité, tout en prenant autant (voire parfois plus) en considération les avis négatifs que positifs.
On pourrait également avancer l'idée que, le Jugement Majoritaire ne s'intéressant qu'à la médiane, les avis de fort plébiscite n'ont quasiment aucune chance d'être pris en compte. Un avis “Excellent” peut même être pénalisant puisqu'il n'a presque aucune chance d'être donné par la majorité des électeurs***, et donc ne sera jamais valorisé alors qu'il s'agit pourtant de la mention la plus difficile à obtenir.
***Sur une échelle nationale, l'immense majorité des scrutins à 7 mentions ne placeront pas le choix le plus positif à hauteur de la médiane.
On pourrait enfin trouver que, le Jugement Majoritaire ne regardant que les “blocs” meilleurs ou moins bons que la mention majoritaire en cas d’égalité, il est plus important d’être globalement apprécié/détesté, que foncièrement apprécié/détesté, ce qui signifie être le moins clivant possible.
Autrement dit, il est plus intéressant de plaire au plus grand nombre (ou d'être le moins détesté) plutôt que de chercher un fort plébiscite. Ainsi, un candidat de "consensus mou", ou "mal aimé" (c'est-à-dire bien vu sans pour autant recevoir de plébiscite), sera favorisé dans un grand nombre de situations.
Le but n'est pas ici de dire que le Jugement Majoritaire est médiocre, simplement qu'il a ses défauts, comme tous les modes de scrutin, et contrairement à ce qu'affirment la Primaire Populaire et l'organisme Mieux Voter qui en font indiscutablement "la méthode de vote à ce jour la plus fiable pour mesurer l’opinion". (2)
Il est en revanche très important de noter que ce choix de scrutin est avant tout idéologique, puisqu'un candidat consensuel aura plus de chances d'obtenir une bonne mention médiane, et que les mentions polarisées, même positives, peuvent n’avoir aucun impact.
Ce choix reste “compréhensible”, et n'a rien d'étonnant à apparaître dans ces milieux de la Primaire Populaire, puisqu’il va effectivement dans le sens de la démarche : Trouver un candidat capable d'unir la “gauche”, ce qu’'un candidat consensuel semble plus à même de faire.
Cependant, ce choix idéologique peut paraître discutable au-delà même de ces défauts techniques, car il est légitime de penser qu’un programme de rupture y serait défavorisé, alors qu’un candidat attrape-tout, vague, central et donc centriste pourrait plus facilement s’en sortir.
Est-ce vraiment la solution quand le Macronisme de 2017 jouait déjà la carte du candidat unificateur, "anti-extrêmes", pour finalement berner les plus crédules ? Dans un contexte nécessitant la plus grande clarté, et alors que des changements radicaux doivent être appliqués, il n'est pas certain que la réponse soit ici.
Complément :
Un autre défaut du vote au Jugement Majoritaire est la reconnaissance de vote blanc/neutre envers un candidat, c'est à dire la possibilité de ne pas exprimer d'avis sur toutes les candidatures.
Un bulletin est normalement accepté que lorsque l'électeur apporte une mention à tous les candidats, ce qui nécessite à la fois de tous les connaître, mais aussi d'avoir l'envie et la capacité de donner une appréciation à tous. Il peut pourtant être difficile de bien juger un candidat inconnu ou sur lequel on ne saurait s'exprimer, d’autant plus lorsqu’une élection propose d'ordonner ses préférences sur plus d'une dizaine de candidats, alors que le Jugement Majoritaire ne propose que 5 à 7 mentions.
La solution ne peut pas être d'accepter les bulletins à trou, c'est-à-dire où tous les candidats ne sont pas notés, ni même d’ajouter une mention “neutre”, puisque dans ces deux cas un candidat méconnu pourrait obtenir une meilleure médiane sur bien moins de votes qu'un gros candidat. Il faudrait alors pondérer le nombre de voix obtenues par mention, ce qui serait inapplicable.
SOURCES :
(1) : Vidéo de Science Etonnante : Réformons l'élection présidentielle
(2) : Site de Mieux Voter : "Le Jugement majoritaire est la méthode de vote à ce jour la plus fiable pour mesurer l’opinion..."
Sur les égalités : Vidéo : Départage des mentions égales au jugement majoritaire & Règlement du vote de la Primaire Populaire (explications de mentions "+" / "-")
Petite blague pour terminer :
Le site de la Primaire Populaire renvoie vers une vidéo explicative sur ce mode de scrutin dans laquelle il est dit :
"Les primaires c'est l'élimination de certains candidats par une part très réduite de l'électorat, pas très démocratique, n'est ce pas ?"