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Billet de blog 2 décembre 2015

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Les éclairs bleus

Deux éclairs bleus m'accueillent dès que je rentre dans la chambre. Un lumière, un geste d'envol : « je sors le 10 ! »

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Illustration 1
pierrot © elisa

Deux éclairs bleus m'accueillent dès que je rentre dans la chambre. Un lumière, un geste d'envol : « je sors le 10 ! »

Ravie, je souris à mon père. Ouf ! Il est sur la voie de la guérison. Tous ces moments passés entre la réa, l'opération, les soins vont être vite oubliés et relégués bien au fond de la mémoire.

Il réagit comme un enfant qui va sortir de l'internat. Il est volubile, explique les préparatifs, compte les jours... « alors, celui-là il est fini on le compte pas. Le 10 non plus, je sors le matin... Samedi et dimanche non plus... » J'ai envie de lui dire, comme à un enfant : « voilà. Il te reste huit dodos à faire et t'es tranquille... » Bien sûr je me tais. Je sais pas si ça l'amuserait. Il me demande encore un livre... « tu vois, pour finir »

J'acquiesce à toutes ses demandes. Il parle, parle encore. «  Je t'ai pas dit, ce couillon, tu sais celui du déambulateur, il s'est endormi sur le vélo dans la salle de rééducation ! Tout le monde rigolait ! » Il fait de grands gestes pour m'expliquer la blague du jour. Son voisin de chambre essaie de dormir, et de temps en temps soulève une paupière. Lui, il n'est pas encore sur le départ. On voit bien que ça l'agace un peu. Je lui souris, essayant d'adoucir son amertume. Il tend le bras pour saisir ses écouteurs calés derrière le lit. Je l'aide, il me remercie. Et referme les yeux.

Mon père raconte plus calmement sa journée, me remontre sa cicatrice, parle de sa « pile » qui vient en aide à son cœur. Il demande des nouvelles des chats, des tourterelles à qui il manque, de la maison, des hérissons qui sont partis dormir. La Vie lui a fait cadeau de jours, de mois, d'années supplémentaires. Il en a fortement conscience, même s'il ne le dit pas. « Comment tu me trouves ? » Mais beau et en forme bien sûr, je luis réponds à la question posée mille fois...

18 heures. L'heure du repas dans la salle à manger. Je l'accompagne, je vois qu'il attend ce moment avec impatience. Il a de la visite, lui.

La salle n'est pas encore ouverte. Des chaises dans le couloir. Deux petites dames serrées l'une contre l'autre nous regardent avancer. Elles me font penser à celle que j'ai vu arriver tout à l'heure dans un taxi. La portière ouverte, ses deux jambes ressemblaient à deux branches mortes prêtes pour le petit feu de la cheminée. Seule, elle arrivait et l'infirmière qui l'accueillait semblait si pressée que j'ai cru un moment qu'elle allait la porter comme un enfant.

Au bout de la rangée de chaises, son pote d'hospitalisation et de table. Le dormeur du vélo. Un vrai boxeur en déambulateur, carré, massif, un regard brun d'ours en peluche, tout coiffé de frais. A l'autre bout, un petit bonhomme chétif et tout content : lui sort le 4. Et voilà que tous se mettent à donner leurs dates : « moi le 15 ! moi le 4 ! moi le 17 ! »

Un homme assez jeune, en fauteuil roulant, corseté jusqu'au cou veut en faire un loto ou un tiercé de toutes ces dates. Il est paralysé des jambes et tellement cassé partout que j'ai oublié toutes les fractures dont il m'a parlé. Tout ça en descendant de voiture, et en se prenant le pied dans le trottoir. Il connait la clinique par cœur, me la fait visiter juste en racontant.

Je fais signe à mon père que je m'en vais. Je les laisse entre adolescents d'après les cours... Fier devant les autres de sa fille, il m'embrasse, et me demande quand je reviens, tout en soulevant une épaule, juste pour dire « t'es pas obligée, je sors le 10 ! » Mais quand je lui réponds que je reviens dans deux jours, un grand sourire illumine les éclairs bleus...  

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