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Billet de blog 5 mars 2016

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Son rêve, en souvenir

(je me souviens de tous vos rêves – René Frégni)

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Illustration 1
livre © elisa

Benoîte exulte. Ce soir, elle rencontre enfin celui qui lui a donné l'envie de travailler en tant que bénévole au sein de la prison de Luynes, et d'organiser avec les détenus des ateliers d'écriture. Elle attend ce moment depuis deux longues années.

Elle est assise au premier rang, entre deux amis, et elle sautille sur sa chaise, d'impatience et d'émotion. Elle se retourne sans arrêt vers la porte de la librairie, elle a quinze ans, dix-huit ans, dix ans peut-être. Enfin, il arrive. René Frégni a traversé la place de l'Hôtel de Ville à Manosque et entre dans la librairie le Poivre d’Âne. Une bonne soixantaine de personnes est là, aussi impatiente que Benoîte.

René vient présenter son dernier livre « Je me souviens de tous vos rêves » Le bandeau de chez Gallimard est explicite : « Une mélancolie solaire » Comme tous ses livres, celui-ci est certainement plein de tendresse, d'anecdotes, de petites et grandes aventures humaines et parfois félines...

Je ne vais pas en parler. Je ne l'ai pas encore lu. Il est là, posé à côté de moi, et notre histoire, entre ce livre et moi, ne commencera que lorsque nous serons prêts tous les deux, à partager des heures d'exaltation ensemble, comme pour une aventure amoureuse naissante. Le mot « fin » est toujours compliqué à appréhender.

La soirée se déroule dans une joyeuse discussion, et René s'adresse à chacun de nous. Nous sommes entre amis, avant l'apéritif, nous parlons avec lui et entre nous, nous écoutons, l'humour et le rire sont présents, tout autant que la gravité et l'émotion.

Lorsque René commence à évoquer la correspondance entre prisonniers et « gens libres » le cœur de Benoîte tressaute et elle est au bord des larmes... A travers les mots, celle-ci reconnaît son histoire.

Comme l'héroïne du récit de René, elle aussi a entretenu une correspondance avec un détenu. Des années à s'écrire, à se raconter les joies et les chagrins. Des années de réconfort et de présence. Des années de douceur des mots, qui roulent sur la feuille de papier et qui arrivent à l'autre, colorés parfois de rose et parfois de noir. Des feuilles tachées de larmes d'émotion, ou de simple bonheur. Ou de tristesse. Des mots qui racontent l'extérieur, la chaleur du soleil, le vol de la pie, la pluie qui tombe. Les mots du quotidien, ou de l'exceptionnel... Une présence, une forte absence, mais toujours derrière, la vie et le plaisir de se parler, de se toucher, entre les mots. Et Benoîte tombe amoureuse. Son correspondant a quelques années de moins, peut-être vingt, peut-être plus, mais peu importe. La vie leur fait le cadeau de l'amour, malgré la situation, l'éloignement ou même la différence d'âge. Ils se rencontrent, s'apprivoisent encore, s'aiment. Il lui dit « merci d'être là, merci d'être toi » Benoîte a encore dix-huit ans, mais peut-être plus, ou seulement dix.

 Benoîte a tout simplement dans quelques jours quatre-vingt-treize ans.  

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