Monsieur Félix n'en revenait pas. Elle l'avait encore attrapé ! Pourtant il se méfiait, depuis la dernière fois. Il n'avait pas apprécié du tout de se faire engouffrer dans un espèce de sac tout avachi, grillagé, dans lequel il pouvait à peine remuer.
Et la suite ! Je vous raconte pas... Des heures et des heures de transport, et pour finir, vous savez quoi ? Une semaine, oui, une semaine entière renfermé dans une chambre, sans avoir le droit de mettre ne serait-ce qu'une moustache dehors. Il en était ébouriffé de rage, rien que d'y penser...
Heureux qu'il était, de rentrer à Paris ! Il ne sortait pas plus, mais au moins il était chez lui.
Et voilà que de nouveau le sac était d'actualité. Il ne se préoccupait pas trop de ce qu'elle faisait, rangeant des vêtements, des valises. Il s'était retrouvé enfermé sans pouvoir dire un seul miaou de protestation.
Cette fois-ci, arrivé sur place et ayant d'un seul coup d’œil évalué la dangerosité de l'habitante des lieux, Mimine, il avait eu le droit de se promener dans un appartement tout entier ; de profiter d'une terrasse ouverte... mais au premier étage. Il avait du se contenter de circuler dans la gouttière (même s'il ne reniait pas son état de chat de gouttière!) exaspéré de voir que nombre de ses semblables évoluaient tranquillement sur le sol, dehors. Même Mimine d'ailleurs, qui avait hautainement refusé la cohabitation.
Il s'était creusé les méninges, des après-midi entiers, afin de comprendre comment descendre. Il y avait bien un arbre, mais par où l'atteindre ? Il en avait pris son parti, et de nouveau il était rentré chez lui, à Paris, ronronnant de plaisir.
Alors, quand encore une fois, il était arrivé sur le lieu des vacances -comme elle disait- il devint fataliste. Chambre ? Appartement ? Peu-importe, il lui faudrait de la patience et il retrouverait Paris.
Pourtant, il sentait qu'un léger doute s'insinuait dans la tête de sa maitresse ; et la copine semblait insister pour qu'on lui accorde une certaine liberté. Il se surprit à prier le dieu des chats, dépositaire de toute la mémoire de la gent féline.
Qu'arriva-t-il ? Il n'en croyait pas ses pattes. Il foulait l'herbe du jardin, mâchait une brindille, respirait le basilic et la terre, grattait de ses griffes l'écorce de l'arbre et surtout il courait partout, passait sous les haies, traversait des jardins, chassait les lézards et les oiseaux. Il s'était même essayé à grimper aux arbres, comprenant tout à coup comment passer du balcon à la terre ferme. Quel plaisir de voir de haut, de croquer les cigales, et de sauter en fermant les yeux ! Le vent l’enivrait, il en miaulait de bonheur.
Le dieu des chats l'avait exaucé. Il était libre. Les autres, chats libres comme lui, le snobaient un peu. Il essayait bien de discutailler, d'échanger des informations, mais ses miaous restaient sans réponse, et quelquefois il se prenait un coup de pattes sur le museau... Surtout lorsqu'il s'essayait à grapiller quelques croquettes dans une des gamelles. Qu'importe ! Même sans eux, il se faisait une idée de tout, pour tout. Il savait l'eau, savait le soleil et la tiédeur du vent.
Et les nuits... Les nuits de folie. La nuit, tout le monde le sait, appartient aux chats. Il y a une légende* qui dit qu'un jour Apollon voulut faire perdre son sang froid à sa sœur, Artémis. Il créa donc le lion. Animal aussi solaire qu'Apollon lui-même, diurne, masculin et superbe avec sa crinière de feu et ses rugissements. Artémis ressentit plus d'agacement que de peur et se hâta de répliquer à l'insolence de son frère en produisant un animal qui soit à l'opposé du lion et c'est ainsi qu'elle créa le chat. Créature d'essence lunaire comme Artémis. Créature nocturne, avec ses yeux qui permettent de voir dans l'obscurité. Créature fascinante et mystérieuse, symbole de fécondité et de féminité. Les Grecs disaient que la lune a accouché d'un chat. D'ailleurs c'est bien connu ! Si les chats sortent la nuit, c'est qu'ils ont rendez-vous avec leur mère la lune...
Et des rendez-vous, il en avait toutes les nuits. Il se faufilait à travers les stores ouverts, entendait bruisser les feuilles, et pris d'une joie immense, d'un bond, il passait au-dessus du grillage de la voisine, et parcourait son nouveau territoire, museau dressé, oreilles pointées, moustaches frémissantes. L'échine ondoyante, caché parmi les hautes herbes, Monsieur Félix redevenait ce qu'il n'avait cessé d'être tout au fond de lui : un être de la nuit ; fauve parmi les fauves, comme les héros qu'il avait rencontré dans ses rêves.
Ne soyez pas surpris de la connaissance des légendes par monsieur Félix. Une des minettes, un soir qu'il rentrait de ses balades nocturnes, lui a feuilleté et lu quelques passages d'un livre de contes* magnifiques sur les chats. Il avait adoré l'histoire de la fée qui se pique les doigts sur les épines des roses, se fait griffer par la créature qu'elle vient de créer, le chat. Et qui a cette réplique sublime : « eh oui ! Tout comme les roses, les chats ne griffent que ceux qui ne savent pas les prendre. »
Rentré à Paris, Monsieur Félix se délecte de poésies et de contes. Si vous avez envie de lui faire plaisir, envoyez-lui par ce fil quelques histoires de chats. Je suis sûre qu'il va adorer.
Il suffit de croiser son regard avec celui d'un chat pour mesurer la profondeur des énigmes que chaque paillette de ses yeux pose aux braves humains que nous sommes.
Jacques Laurent (préface de l'Histoire secrète du chat)
Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux, le soleil y resta.
Voilà pourquoi le soir quand le chat se réveille,
J'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. Maurice Carême.
* Les enfants de la Lune – Eve Lagarde dans le roi des chats.