
Je me croyais fille de vent. Le mistral grand joueur m'a fait croire à des chimères, en soulevant ma jupe et en emmêlant mes cheveux. Il s'est allié au soleil qui brûle mes lèvres et mon visage tendu vers la chaleur de sa morsure.
Je me croyais fille de la sécheresse. Marcher dans le thym et le romarin parfumé, faire fuir les sauterelles et les cigales, écouter crisser les grillons, fermer les yeux devant le Garlaban ou la Sainte Victoire pour ne pas fondre devant leur beauté majestueuse, trompée que j'étais par le lieu de ma naissance.
Je me croyais fille de la Méditerranée. Son regard bleu turquoise, surgissant des calanques escarpées me noyait aussi sûrement que si j'avais plongé du haut de l’œil de Verre, tant de fois égratigné par mes randonnées maladroites.
Je me croyais fille de la ville. Une ville bruyante et téméraire, une ville-danger, une ville rebelle, des ruelles où les chaises et les discussions les soirs d'été ont fait monter les cris et les rires jusqu'aux étoiles qui essayaient de briller parmi les lumières des lampadaires.
Je me croyais métissée, de cet étrange mélange méditerranéen, un peu d'Italie, de ces montagnes de Toscane où mes souvenirs restent assis sur un banc à côté d'une Alida, chignon et sourire tendres, aux formes rebondies, recouvertes d'un éternel tablier noir sur lequel je posais ma joue.
Ils s'appelaient Célestin, Adonis, John, George, ces gènes qui courent sous ma peau. Ils étaient blonds ou roux, la peau criblée des points de repère de leur naissance. Eux étaient fils de pluie et de brouillard ; aux yeux couleur de mer profonde, verte et sombre.
Je les devine, devant le feu de tourbe, buvant à même la bouteille le whisky de leur savoir-faire, brassant peut-être une bière brune et goûteuse. Je les ressens, dans le non-dit de cette filiation, je les idéalise, je voudrais être leur pays, je voudrais vivre dans leur trace, marcher au bord du Lough Neagh pas à pas avec eux, je voudrais qu'ils me connaissent enfin, qu'ils me racontent cette histoire bouleversante de ce jeune Irlandais sans prénom, cet homme Alpha, engrossant une petite anglaise, offrant son nom à l'enfant, avant d'être balayé par la vie, disparaître, victime de l'immigration, d'un combat, ou de la misère.
Je suis leur sang, je suis leur mémoire sans souvenir et sans trace, mais ils existent aujourd'hui, ces femmes et ces hommes qui ont, au delà du temps, participé à ma naissance, à ce métissage qui fait de leur descendante une fille du vent, du soleil, de la sécheresse, mais aussi de la pluie, des arcs-en- ciel et des orages.