La petite fille émerge lentement du tunnel sombre dans lequel elle était, une fois encore, plongée.
Elle a mal au cœur et elle est...ter-ro-ri-sée. Ce mot, avec les tirets, elle savait bien qu'elle aurait un jour l'occasion de s'en servir. Elle l'a noté consciencieusement dans son carnet, entre doryphore et scopitone, lorsqu'elle l'a découvert dans un des livres qui trainent dans la bibliothèque de son père.
Penser aux livres la fait pleurer. Elle voudrait se retrouver sur les genoux de son grand-père, ou mieux encore, sur l'arbre du pré, là où elle aime se réfugier pour lire.
Mais elle n'ose pas ouvrir les yeux. Elle voudrait savoir si elle est encore là, la vache qui lui dépose cet énorme pot de fleurs sur la poitrine, pour l'empêcher de respirer...
Elle sait qu'il lui est arrivé quelque chose, « quelque chose de grave » comme disent les adultes. D'ailleurs, elle aimerait beaucoup qu'il y ait un adulte avec elle, là, tout de suite.
Elle entr'ouvre alors lentement les yeux et découvre un visage qui la regarde. Ses yeux s'écarquillent : elle le reconnaît ! C'est lui qui, habillé d'une blouse blanche, tout doucement, l'a conduite sur ce fauteuil, et comme chaque fois, lui a dit que tout allait bien se passer, qu'elle n'aurait pas mal.
Elle réfléchit : non, elle n'a pas mal. Juste un très mauvais goût dans la bouche, et les lèvres poisseuses, encore un mot de son carnet secret. Mais elle se sent sale et elle a terriblement peur. Alors elle hurle et se met à pleurer à chaudes larmes...
Aussitôt le monsieur ouvre la porte et appelle :
- « Madame, venez récupérer votre petite fille. Elle a eu peur et l'anesthésiant l'a un peu endormie, mais elle va bien, ne vous inquiétez pas. »
- « Merci beaucoup docteur, je prends rendez-vous pour dans une semaine ? »
- « Parfait, madame, et comme cette fois-ci, laissez-la-moi. Les enfants sont beaucoup plus calmes sans les parents ou les grands parents, vous avez dû vous en rendre compte ! Nous avons encore quelques séances avant que toutes ses dents soient soignées. Regardez cette jolie petite fille. Bientôt son sourire éblouira votre maison ! »
Le monsieur la pousse vers la porte. Mais la petite fille sait bien que non. Elle n'a plus envie de sourire. Elle veut garder ses dents de lait, même si sa grand-mère dit "qu'il faut ab-so-lu-ment les soigner". Elle ne veut plus venir ici. Elle l'a déjà raconté et raconté et raconté ! Tellement de fois !
Mais personne ne veut croire qu'une vache lui dépose un énorme pot de fleurs sur l'estomac, qui l'empêche de respirer...
Une horrible vache qui lui dit, avec la voix du monsieur, « tiens, jolie fillette, prends le gros sucre d'orge... »
La petite fille est seule, terriblement.